HIER APRÈS-MIDI, téléconférence de crise à l'ECDC, dans la salle IT-Network du Centre des opérations d'urgence. Reliés à Paris et à plusieurs capitales européennes, les responsables de la sécurité sanitaire humaine et vétérinaire de l'Union ont fait le point sur les dernières informations disponibles concernant les trois cas de rage canine signalés en France. A la manoeuvre, le Dr Denis Coulombier, un tropicaliste français (voire encadré), directeur de l'unité de préparation et de réponse aux crises, l'un des quatre départements qui se répartissent la surveillance sanitaire de l'Europe.
L'ECDC a vu le jour en 2005, suite à une décision prise en 2003 par la Commission de Bruxelles et ratifiée la même année par le Parlement de Strasbourg. «A l'époque, il s'agissait de tirer en urgence les enseignements pratiques de la crise du sras, qui avait démontré la nécessité d'un suivi de crise entre les différents Etats européens, explique le Dr Coulombier au “Quotidien''. Depuis, en 2005, la grippe aviaire et, en 2007, le chikungunya déclaré en Italie ont achevé de convaincre les gouvernements de la nécessité d'une intelligence épidémique commune, sur le modèle du dispositif créé dès les années 1950 aux Etats-Unis, avec le CDC d'Atlanta.»
Planisphère GPS et mur d'écrans.
L'ECDC a inauguré cette semaine son centre des opérations d'urgence. Au sein de l'unité préparation et réponse aux crises, il assure la détection, l'alerte et le suivi de toute épidémie, dès lors qu'elle est susceptible de présenter des prolongements internationaux – quelques cas de salmonellose signalés dans une métropole ne nécessitant pas un suivi. Avec son mur d'écrans, le centre permet de suivre l'ensemble des programmes d'information télévisés susceptibles de se faire l'écho d'une crise sanitaire où qu'elle éclate dans le monde. Un planisphère doté de dispositifs GPS complète cet observatoire planétaire des maladies et des épidémies. «En temps de paix, c'est-à-dire hors période d'alerte, explique le Dr Coulombier, le suivi est assuré par un manager et son équipier, présents le jour au centre et joignables la nuit à leur domicile. En temps de guerre, des effectifs plus importants sont mobilisés selon la situation et ils assurent la vigie 24heures sur 24. Quelle que soit l'actualité sanitaire, les responsables se réunissent chaque jour à 11h30 et analysent le bulletin édité quotidiennement à partir de toutes les alertes lancées dans le monde, de toute nature.»
Deux catégories d'incidents.
Deux types d'urgence sont prises en considération :
– Des incidents qui n'exposent pas forcément à des risques à grande échelle, mais dont le suivi mobilise des moyens humains et technique très lourds. En dernier lieu, ce fut le cas pour le patient atteint d'une tuberculose ultrarésistante qui emprunta deux vols internationaux en mai 2007, entre Atlanta et Paris, puis entre Prague et Montréal. Il a fallu identifier et contacter l'ensemble des passagers, dans 25 pays, pour les soumettre à un dépistage (« le Quotidien » du 1er juin 2007). Le suivi des cas de rage animale sont également sources de branle-bas sanitaire spectaculaires.
– Des événements locaux peuvent aussi présenter un risque majeur en termes de santé publique. Par exemple, les cas de chikungunya signalés l'automne dernier dans la région de Ravenne (Italie). Des moyens ont été dépêchés depuis Stockholm, mais aussi Paris, pour renforcer les équipes de la péninsule.
Car il ne s'agit pas seulement, pour le centre des opérations d'urgence, d'assurer une circulation ultrarapide de l'information. Des renforts peuvent aussi être adressés aux pays victimes d'épidémie. Et même hors Union européenne, des Etats d'Amérique latine et d'Afrique ont bénéficié à plusieurs reprises de moyens humains en provenance de Stockholm.
Pas de scénario apocalyptique.
Dernière mission impartie au Centre des opérations d'urgence, l'organisation d'exercices. Si la Commission européenne garde la haute main sur des exercices de grand format qui impliquent des moyens logistiques lourds en provenance de nombreux pays, le centre cible, quant à lui, des actions sur des scénarios plus réduits. «Cette année, annonce le Dr Coulombier, nous en programmons deux: l'un d'usage interne pour vérifier le bon fonctionnement de notre structure, l'autre pour mettre à contribution plusieurs Etats, sur une contamination épidémique d'origine alimentaire. Mais nous ne jouerons pas de scénario apocalyptique.» Quand on interroge le chef d'unité de l'ECDC sur ses craintes à cet égard, il reconnaît que la pandémie grippale reste en tête des inquiétudes : «Ce n'est pas sombrer dans le catastrophisme, commente-t-il, que de constater que, chaque siècle, deux ou trois séquences de ce type sont inéluctables; en revanche, nous pouvons être exposés à une pandémie dont les conséquences pourront être plus proches de celles d'une forte grippe saisonnière que de celles de la grippe dite espagnole, en 1918. De toutes manières, l'intelligence épidémique nous enseigne que l'on n'a jamais vu venir les plus grandes crises sanitaires. C'est de l'inconnu que surgit la catastrophe. Et c'est pourquoi aucun expert ne pourra jamais garantir à aucune gouvernement que tout est paré en matière de risque épidémique. Il nous faut donc en permanence améliorer nos stratégies de protection et de signalement.»
250 personnes réparties en 4 unités
Loin des 10 000 collaborateurs du CDC d'Atlanta, l'ECDC de Stockholm emploie 250 salariés à son siège et autant de correspondants qui interviennent à l'extérieur.
Quatre unités organisent le suivi :
– l'unité des avis scientifiques, dirigée par le Pr Johan Glesecke, fournit aux Etats les expertises sur tous sujets qui leur sont soumis ;
– l'unité de surveillance, dirigée par le Dr Andrea Ammon, collecte les informations sur les 49 maladies transmissibles pour lesquelles existe en Europe une obligation de notification ;
– l'unité de communication, dirigée par le Pr Karl Ekdahl, est en charge des alertes auprès du public (par les moyens du Web), des médias et des dispositifs d'eurosurveillance ;
– l'unité de préparation et de réponse aux épidémies est dirigée par le Dr Denis Coulombier. Après avoir exercé comme clinicien dans différents pays d'Afrique, il a suivi les MDO (maladies à déclaration obligatoire) au sein du Réseau national de santé publique, puis dirigé le bureau OMS de Lyon. De 1997 à 1995, il a collaboré au service d'Epidemic Intelligence du CDC d'Atlanta.
Santé publique et subsidiarité
Les mesures qui relèvent de la police sanitaire restent dans l'Union européenne l'apanage des Etats membres. Ceux-ci peuvent donc se prévaloir du principe de subsidiarité pour concevoir et appliquer leurs propres politiques de protection contre les épidémies.
Une obligation toutefois leur incombe quant au signalement des cas de 49 maladies transmissibles. La notification doit en être faite à l'Union, en l'occurrence, à l'ECDC. A charge pour celle-ci de communiquer, en retour, les éléments scientifiques et les informations en provenance des autres pays de l'UE.
Evidemment, entre des pays comme la Pologne et le Royaume-Uni, l'Allemagne et la Grèce, la culture de santé publique peut s'exprimer selon des modalités très diverses. «Nous ne disposons pas de moyens coercitifs, constate le Dr Denis Coulombier, mais, jusqu'à ce jour, nous n'avons jamais eu de réelles difficultés à mettre en ligne les uns et les autres sur les grands dossiers. Somme toute, la situation n'est pas politiquement très différente de celle que connaissent les Etats-Unis avec le CDC: les Etats américains disposent d'une très grande autonomie en matière de politique de santé publique, et, même au sein d'un Etat, les marges de manoeuvre des comtés sont importantes.»
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