MANGER est un plaisir, contre manger est un « travail » (a task). Voici en substance une des principales différences qui opposent Français et Américains dans leur rapport à l'alimentation, et, de manière plus générale, Européens continentaux et Anglo-Saxons.
La manière dont sont organisés, pensés, consommés les repas est un des aspects du « rapport à l'alimentation » auquel se sont intéressés Claude Fischler, sociologue au CNRS et auteur de « l'Homnivore » (2001), et Estelle Masson, maître de conférences en psychologie sociale à l'université de Brest. Ils ont conduit pendant deux ans une enquête comparative dans six pays (France, Angleterre, Italie, Allemagne, Suisse, Etats-Unis), à laquelle se sont prêtées 7 000 personnes.
Déroulée en trois phases, l'étude auprès des « mangeurs » a permis de dessiner leurs «représentations de l'alimentation en général, ainsi que la réalité alimentaire contemporaine». Les résultats de cette enquête ont donné lieu à la publication d'un livre, « Manger - Français, Européens et Américains face à l'alimentation », aux Editions Odile Jacob*.
A cette occasion, un déjeuner-débat a été organisé à Paris. Un repas convivial, au menu « imposé », entrée, plat, dessert, café, rythmé par la conversation des personnes présentes, pendant deux heures… Rien d'étonnant pour nombre d'Européens, mais un exemple typiquement français de notre «rigidité dès qu'il s'agit de se nourrir» selon les termes du sociologue américain Daniel Lerner (1956).
Cinquante ans plus tard, ce déséquilibre est toujours présent, l'Américain a toujours besoin d'avoir le choix, le plus de choix possible. Celui de la nourriture, de l'heure du repas, de la manière dont il va le consommer, de sa durée. «L'obéissance implicite à des règles ordonnant le rituel de la table et du manger» représente un carcan, une entrave à ses libertés, quand elle participe chez nous «à rendre l'acte alimentaire un acte social, un acte à dimension publique», explique Claude Fischler.
Le modèle culturel.
Les spécificités culturelles et sociales identifiées dans cet ouvrage permettent d'établir un tableau de comparaison unique et original du rapport entretenu avec l'alimentation et de s'interroger sur l'impact du modèle traditionnel, culturel, dont la France est le premier représentant. «La commensalité, le fait de partager le moment du repas, n'est pas si mal, conclut le sociologue. Cela joue certainement un rôle dans l'état de santé des Français», en référence à l'exemple du maintien d'une relativement faible proportion de personnes obèses, en regard de la situation aux Etats-Unis (prévalence trois ou quatre fois supérieure) et surtout de l'augmentation qui avait été promise de longue date à la France. Les produits n'étant pas radicalement différents, les préoccupations de santé très marquées quel que soit le pays, une des explications de cette disparité pourrait trouver corps dans «l'importance» qui est prêtée à l'alimentation de manière générale. Aussi, l'individualisation et la banalisation de l'alimentation n'apparaissent pas comme les modèles à suivre aveuglément. Et Claude Fischler de souhaiter voir développés par les industriels des «modèles de convivialité innovants» pour continuer à «bien manger».
* 336 pages, 25 euros.
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