À LA VEILLE de la Journée mondiale du sida, les propos de Pr Bernard Hirschel, chef de l'unité VIH/sida aux Hôpitaux universitaires de Genève, avaient fait l'effet d'une «petite bombe». Le traitement par trithérapie des patients séropositifs correctement suivis réduit le taux de virus dans leur sang (charge virale indétectable) et dans leurs sécrétions génitales. Cet effet préventif a des implications importantes pour les patients et pour la société. «Aujourd'hui, nous pouvons dire à un couple dont l'un des partenaires est séropositif traité avec un taux de virus indétectable qu'ils peuvent avoir un enfant sans avoir à s'inquiéter de la contamination du partenaire non infecté. Après une prise de risque, on peut renoncer à un traitement préventif coûteux et grevé d'effets secondaires si la personne avec laquelle a eu lieu le contact critique ne présente pas de charge virale. Ce sont des pratiques qui se sont déjà installées. On peut aller plus loin», expliquait-il dans le quotidien « le Temps ». Selon lui, l'éradication du VIH pourrait être envisagée dans les pays développés «si l'on traitait toutes les personnes infectées et non les 30% qui présentent des symptômes comme aujourd'hui».
Abandon du préservatif.
Des déclarations jugées quelque peu prématurées et même «dangereuses» par certaines associations, comme SIDA Info Service, mais qui ont été relayées par Survivre au sida, à qui le Pr Hirschel a accordé un entretien la semaine dernière. Il y réitère ses propos : «Si le traitement abolit la contagiosité, il a aussi un effet sur les épidémies et sur les nouvelles infections. C'est très important», assure-t-il. S'il partage la crainte qu'une telle annonce risque de conduire à un relâchement des comportements de prévention et à un abandon du préservatif, il affirme aussi : «Prétendre que celui qui est traité et n'a plus de virus est autant contagieux que celui qui n'est pas traité est une contre-vérité. On ne peut fonder une bonne communication sur quelque chose qui n'est pas vrai.» Selon lui, les messages de prévention doivent rester «crédibles et bien ancrés dans des faits que l'on peut vérifier».
A Survivre au sida, ces propos sont perçus comme une révolution et l'association demande aux autorités, INPES (Institut national pour la prévention et l'éducation à la santé), CNS (Conseil national du sida) et ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida) d'organiser une table ronde avec les personnes atteintes pour revoir de fond en comble les politiques de prévention, à commencer par celles qui concernent les couples hétérosexuels vivant avec le VIH.
Alors le message de prévention va t-il changer ? Rien n'est moins sûr. Les déclarations du Pr Hirschel, quelque peu provocatrices, ont le mérite de mettre l'accent sur l'effet préventif du traitement antirétroviral, comme en convient le Pr François Delfraissy, directeur de l'ANRS. «Le traitement antirétroviral doit être bien sûr considéré avant tout comme un traitement de la personne elle-même, mais aussi comme un nouvel outil de prévention puisqu'en réduisant la charge virale on réduit le risque de transmission.»
Les données ne sont pas nouvelles. La première étude sur le sujet date de 1999 (Quinn TC et al., « New England Journal of Medicine » 200 ; 342 (13) : 921-9) et d'autres données sont venues la confirmer. Les dernières recommandations américaines (NIH), datant de décembre 2007, admettent que la réduction de la transmission pourrait être un des bénéfices secondaires des traitements antirétroviraux. «Lorsde la conférence de l'IAS à Sidney, une session était consacrée au problème à la fois scientifique, technique et éthique posé par l'utilisation du traitement comme moyen de prévention», souligne pour sa part le Pr Willy Rozenbaum.
Dans le sang et dans le sperme.
Cependant, précise au « Quotidien » le directeur de l'ANRS, s'il y a bien réduction du risque de transmission chez les patients qui reçoivent un traitement antirétroviral efficace, «Il n'y a pas de parallélisme complet entre la présence du virus au niveau du sang et sa présence au niveau du sperme. On peut trouver du virus dans le sperme alors même que la charge virale est indétectable, et c'est très variable d'un éjaculat à un autre. Cela dépend notamment d'un éventuel état inflammatoire du tractus génital mais aussi du type de molécules utilisées, certaines passant mieux la barrière génitale.» Des données bien documentées, y compris par une étude française réalisée par Christine Rouzioux sur la quantification du virus dans le sperme. De même, des cas, certes rares, ont déjà été observés de «personnes ayant une charge virale indétectable et qui ont transmis le virus».
Le Pr Delfraissy est clair : les trithérapies doivent être considérées comme un nouvel outil de prévention qui vient s'additionner à d'autres outils, comme la circoncision, mais «qui en aucune façon ne remet en cause le préservatif. En aucune façon, il ne remet en cause la politique de prévention», insiste-t-il. Même réduit, le risque n'est jamais nul parce que «l'adhésion au traitement n'est pas de 100%, mais se situe plutôt autour de 70-80% et, dans toutes les grandes séries, on sait qu'il existe de façon intermittente de petites poussées de la charge virale, connues sous le nom de “blips” . Ces blips existent au niveau du plasma mais aussi au niveau du sperme».
Traitement « altruiste ».
En termes de santé publique cependant, l'action préventive des antirétroviraux a des implications : «Si l'on traite plus tôt et de façon plus large, le risque de transmission sera moindre.» L'indication du traitement, qui jusque-là reposait sur le bénéfice individuel pour les patients, pourrait tenir compte d'une dimension plus collective.
Le Pr Rozenbaum va jusqu'à parler de «traitement altruiste. La nécessité du traitement ne serait justifiée que par le fait que le patient ne soit plus contagieux, comme pour les primo-infections tuberculeuses». Le débat mérite d'être mené et le CNS va lancer une réflexion sur le sujet. Mais il n'y a aucune urgence en la matière et les conclusions ne seront connues que dans plusieurs semaines. En tant que praticien, il tient à souligner la différence entre les recommandations collectives et le discours individuel, qui doit tenir compte des désirs et des demandes de chaque patient. «Les patients me posent souvent la question: “Avec une charge virale sous le seuil de détection est-ce que je transmets encore le virus ? ” Je leur dis qu'à titre individuel on ne sait pas répondre même si en termes de population, on sait que sur 100
patients traités, 60% ne transmettront pas le virus. Mais, ne nous y trompons pas, les personnes contaminées, pour la majorité d'entre elles, notamment pour les couples sérodifférents, ont intégré cet aspect et certains choisissent d'abandonner le préservatif. Le risque est alors de 1 ou 0, ceux qui transmettent et ceux qui ne transmettent pas.»
L'exemple de la Guyane
La Guyane est le département français le plus touché par l'infection par le VIH. Les trithérapies y sont utilisés depuis près de dix ans. Le dernier rapport du CISIH (centre d'information et de soins de l'immunodéficience humaine) sur la prise en charge du VIH/sida, intitulé « Traiter pour prévenir », pose clairement la question de l'effet préventif des antirétroviraux. «L'épidémie en Guyane est mature. Dans ce type d'épidémie, la transmission des nouveaux cas repose largement sur la transmission au sein des couples sérodiscordants. Or l'on sait qu'il existe un gros problème de prévention auprès des patients suivis (16 % ne le disant pas à leur partenaire, 47 % des patients haïtiens utilisent inconstamment des préservatifs lorsque le partenaire est de statut négatif ou inconnu) .» A l'heure où l'on rediscute de plus en plus des trithérapies plus précoces pour des raisons individuelles, «l'indication préventive des trithérapies altruistes est une piste sérieuse à évaluer, en particulier lorsqu'on se trouve face à des personnes qui ont des conduites à risque malgré les tentatives de changer leur comportement».
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