DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
«EN 2004, une importante épidémie de chikungunya a touché le Kenya et s'est ensuite rapidement répandue en Somalie et aux Comores. Le taux d'attaque particulièrement élevé (75 % de la population atteinte) et l'apparition des premiers cas à Mayotte et à l'île Maurice ont incité à la mise en place, dès le mois de mars 2005, du programme de veille sanitaire préconisé par l'OMS», analyse pour « le Quotidien » le Pr Gilles Brücker, à la veille de quitter son poste de directeur général de l'InVS. Comme le détaille le Dr Vincent Pierre, coordinateur de la CIRE de la Réunion-Mayotte, «pour chaque signalement effectué après résultat de l'analyse PCR, une équipe de lutte antivectorielle était dépêchée pour démoustiquer les dix maisons voisines de celle du patient index. On sait en effet que l'Aedes ne parcourt au cours des 50 à 70jours de sa vie qu'une cinquantaine de mètres. Ces mesures initiales étaient donc parfaitement adaptées pendant l'été austral, où le nombre de cas a culminé à cinq cents par semaine, puis s'est stabilisé à cent par semaine».«Mais nous aurions dû être alertés par différentes données qui, au cours du développement de la deuxième phase épidémique, sont apparues comme cruciales. D'une part, le taux d'attaque était supérieur à 50% dans les pays voisins et le taux de transmission à la Réunion même était élevé (trois ou quatre personnes infectées pour un cas déclaré) . D'autre part, la diffusion du virus a toujours continué, même pendant l'hiver austral. Enfin, certains praticiens rapportaient des cas de douleurs persistantes et invalidantes, mais l'incidence des formes atypiques restait faible. A la fin de septembre 2005, les premiers cas graves et des transmissions mère-enfant ont été signalés. Le dispositif de surveillance a donc été complété par des investigations sur les formes graves décrites en milieu hospitalier», continue le Pr Brücker.
Une mission DGS-InVS-IRD (Institut de recherche pour le développement) a été dépêchée sur place en novembre 2005. Mais avant même que le rapport de mission ait été rédigé, l'épidémie a pris un tout autre visage. «Au cours des deux dernières semaines de 2005, les données épidémiologiques dont nous disposions –grâce au travail constant des médecins du GROG (groupe régional d'observation de la grippe) présents sur l'île– étaient manifestement sous-estimées par rapport à la réalité clinique. Le nombre de cas effectifs, qui, dans leur très grande majorité, étaient bénins et n'entraînaient que des consultations de médecins généralistes, était en moyenne 67fois supérieur à celui recensé. Le nombre de cas est passé brutalement à 2000 par semaine et la surveillance ne pouvait plus être effectuée selon les mêmes modalités. Avant que l'ensemble des données dont nous disposions ne soient validées et qu'un système de surveillance faisant appel à une lutte antivectorielle systématisée et à une surveillance fondées sur les médecins Sentinelles et d'autres indicateurs (arrêt de travail, hospitalisation, mortalité…) ne soit mis en place, trois semaines se sont passées», continue le Dr Pierre.
«Une mission d'urgence a été envoyé par la DGS et l'InVS dès le début de janvier, des renforts de l'InVS ont été associés au travail de la CIRE au début de février. Ils ont pu effectuer un travail de toxicovigilance dans cette période où la lutte antivectorielle était particulièrement intensifiée. Le pic épidémique a été atteint au cours des premières semaines de février, avec plus de 40000 cas hebdomadaires, analyse le Pr Brücker. La situation était assez imprévisible, puisque différents facteurs ont joué un rôle de façon concomitante: une mutation du virus a permis son adaptation parfaite au vecteur A. albopictus, un taux de transmission élevé, des formes cliniques étaient globalement plus graves que celles qui avaient été décrites habituellement. Les populations étaient particulièrement inquiètes, puisque aucun traitement préventif ni curatif ne pouvait être proposé et que toutes les mesures de lutte étaient fondées sur la démoustication.»
Recherche et veille.
A partir de la fin mars 2006, le nombre de cas a baissé régulièrement et les opérations de lutte antivectorielle ont porté leurs fruits. Kass Moustik, par exemple, la campagne de démoustication des habitations, qui a permis de réduire le nombre de gîtes larvaires à proximité des habitations de près de 80 %. Mais la vigilance reste de mise. Pour le Pr Brücker, «la crise du chikungunya a permis de tirer des leçons pour l'avenir de la surveillance des maladies émergentes. Notre dispositif de veille a fonctionné, mais il doit encore être renforcé et associé à une veille entomologique. La structure CRVOI mise en place récemment à la Réunion répond parfaitement à ces besoins». Le Dr Françoise Weber, la nouvelle directrice générale de l'InVS, souligne que «seul le renforcement des dispositifs de maillage du territoire et une majoration des capacités de modélisation de la diffusion des maladies émergentes pourront nous permettre de disposer d'une veille épidémiologique adaptée».
La démarche diagnostique
Aujourd'hui, on recense encore une centaine de cas suspects de chikungunya chaque semaine. Devant tout syndrome dengue ou chikungunya-like, défini par une fièvre brutale associée à une douleur musculo-articulaire et/ou douleur rétro-orbitaire et/ou éruption maculo-papulaire et/ou manifestation hémorragique et/ou céphalée et/ou signes digestifs et/ou asthénie, et en l'absence de tout autre point d'appel infectieux, une sérologie IgG et IgM dengue et chikungunya est recommandée dans tous les cas, et une RT-PCR dengue et chikungunya est préconisée si les symptômes datent de moins de cinq jours. Si les résultats de la première sérologie sont douteux, une deuxième sérologie (IgM et IgG) est recommandée quinze jours plus tard. Devant un tableau de méningo-encéphalite, outre ces examens, deux sérologies West Nile à quinze jours d'intervalle doivent être effectuées.
Un centre pour l'océan Indien
Le Centre de recherche et de veille sur les maladies émergentes dans l'océan Indien (CRVOI) est un groupement d'intérêt scientifique qui a été créé en janvier 2007 sous l'égide de différents ministères, du conseil régional et du conseil général, de l'université, de l'IRD et de huit partenaires institutionnels de recherche. Il a pour objet de mettre en place une recherche multidisciplinaire sur les différents aspects relatifs aux maladies émergentes, humaines et animales, en mobilisant les organismes de recherche, d'enseignement, et les hôpitaux. Il contribuera à la veille sur les maladies infectieuses émergentes à la Réunion et à Mayotte, ainsi que dans l'océan Indien, en partenariat avec les agences sanitaires nationales et les autorités sanitaires des Etats concernés. Son directeur est le Pr Koussay Dellagi.
Les chiffres de la maladie
– Taux d'attaque : 35 %, soit un total de 266 000 cas.
– Formes émergentes hospitalières : 834 (3 %), principalement chez des sujets vulnérables (jeunes enfants, personnes âgées, patients atteints de comorbidité).
– 224 cas pédiatriques.
– 44 formes néonatales.
– 247 formes sévères des adultes, dont 24 % en réanimation (encéphalopathies, syndrome de Guillain-Barré, myocardite, hépatite fulminante, choc septique).
– 68 décès (0,36 % des cas recensés dans la population).
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