A 60 ANS, cela fait bientôt vingt-cinq ans que le Dr Thierry Gamby est au contact des patients infectés par le VIH. «Je fais partie de ces médecins qui sont sur le terrain depuis toujours», confie-t-il au « Quotidien ». En 1982, dermatologue spécialiste des infections sexuellement transmissibles, il est très vite sollicité par le centre de transfusion sanguine pour suivre les premiers patients. A cette époque, il affiche volontiers son homosexualité et, à la demande de Daniel Defert, crée la délégation départementale d'AIDES dont il préside les destinées pendant cinq ans (1985-1990). «J'ai démissionné au moment où un certain antimédicalisme se faisait jour dans l'association. Je ne voulais pas que mon nom y soit associé. Mais à Marseille, j'ai gardé de très bons contacts avec AIDES», dit-il. Là s'arrête son activité de militant associatif, mais pas son combat contre le VIH.
Chef de service de dermatologie-IST à l'hôpital Saint-Joseph de Marseille, il partage son temps entre l'hôpital le matin, son cabinet de ville l'après-midi et ses vacations à l'hôpital Sainte-Marguerite, dans le service du Pr Jean-Albert Gastaut. Pour lui, les journées sont longues, se terminant souvent à plus de 21 heures. La prise en charge d'un patient VIH est une activité prenante et difficile, et le domaine évolue très vite : «Je suis dermatologue, interniste et spécialiste des IST, mes lectures bibliographiques concernant le VIH sont trois fois plus importantes que pour les autres spécialités dont je m'occupe. J'ai constamment l'impression d'être anachronique», reconnaît-il.
L'association des sidénologistes.
Depuis 1985, il préside l'Association des sidénologistes libéraux de Provence (ASLP) afin de regrouper des médecins acteurs de terrain, qui se réunissent chaque mois afin de faire le point sur un thème précis avec un spécialiste reconnu : «C'est un peu un enseignement postuniversitaire de haut niveau. Au début, il était ouvert aux médecins libéraux, mais peu à peu y sont venus des médecins du réseau ville-hôpital et de CHU, des cadres de la santé, des infirmières, des associatifs, des dentistes et des malades», explique-t-il. Une association originale, unique en France, selon lui. Et si le terme de sidénologiste n'est pas reconnu par l'Académie, il a le mérite d'affirmer une des revendications des membres de l'association : l'infection par le VIH doit constituer une spécialité à part entière, la sidénologie.
Car, dit-il, «depuis vingt-cinq ans que je suis dans le VIH, que je participe aux réunions de l'ASLP, des CISIH et maintenant des COREVIH, je m'aperçois que nous nous connaissons tous. Les vieux partent et la relève n'arrive pas». La spécialité n'existe pas en tant que telle, et les jeunes qui désirent s'occuper de patients VIH sont souvent découragés, sauf s'ils jouent la carte des autres maladies infectieuses ou de tel ou tel aspect de l'infection.
«J'ai 60ans, dans mon service, quatre praticiens prennent en charge 650patients. Personnellement, j'assure le suivi médical de 250patients en plus des autres patients atteints de mélanome, de lupus… Je m'interroge. Qui va me remplacer dans cinq ans?» Très peu de médecins se sentent capables de suivre les patients VIH et beaucoup ont des difficultés à appréhender la marginalité. Ceux qui le font, en particulier au sein du réseau ville-hôpital, ne sont pas récompensés de leurs efforts.
Le 21 mars, le Dr Gamby a alerté le ministère de la Santé à ce sujet. Dans sa lettre restée à ce jour sans réponse, il demandait la reconnaissance de la spécialité et appelait à une prise de conscience des autorités afin que des pistes soient recherchées. Notamment, le cursus universitaire devrait, selon lui, donner une vraie place à l'infection par le VIH/sida et les étudiants en médecine devraient être mieux formés à l'approche psychologique des patients.
Et, bien sûr, la solution passe par une plus grande reconnaissance et une meilleure rémunérations des médecins généralistes. «Il y a urgence. Nos files actives grossissent», insiste-t-il. L'espérance de vie des patients s'améliore et les nouvelles contaminations continuent.
6 nouveaux patients en 3 mois.
Si les dernières données montrent une certaine stabilisation de l'épidémie, lui préfère se fier à la réalité du terrain : «Depuis la rentrée de septembre, j'ai six nouveaux patients. En trois mois, c'est beaucoup», note-t-il. Lui aussi souligne les problèmes de dépistage tardif : «La semaine dernière, encore, j'ai vu arriver un homme de 65ans, avec 18CD4 et amaigri de 10kg. Il ne s'était jamais fait dépister.» Et puis les données sont souvent en retard par rapport à l'épidémie et, pour le spécialiste, le risque de sous-déclaration est plus qu'hypothétique : «La procédure est compliquée. Je m'astreins à le faire pour le VIH, mais j'avoue que, pour la syphilis, je ne le fais pas. Quand on est seul dans son cabinet et qu'on n'a déjà pas le temps de faire ce qui est capital pour le malade, cela peut se comprendre», conclut-il.
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