EN NOVEMBRE 2006, le Conseil national du sida (CNS) publiait un rapport sur « L'évolution du dispositif de dépistage de l'infection par le VIH en France ». Ses recommandations visaient à élargir l'offre de dépistage, jugée insuffisante. Bien que la France se situe au deuxième rang européen pour le nombre de tests pratiqués, une partie de la population échappe au dépistage et ne peut bénéficier d'une prise en charge précoce en cas d'infection : «Quarante-huit pour cent des personnes malades du sida ignorent leur séropositivité», une proportion qui s'élève à 52 % parmi les personnes infectées lors de rapports hétérosexuels. Selon les estimations, 40 000 personnes ignoreraient qu'elles sont séropositives. Une situation qui se traduit par une perte de chance pour les patients et qui favorise la transmission du virus. Dans ces recommandations, le CNS proposait que l'offre soit mieux adaptée aux populations à risque concernées et demandait qu'une réflexion soit menée sur l'utilisation des tests sanguins rapides. Dans le cadre d'une « délégation des tâches », le CNS envisageait qu'ils soient réalisés par des associations médicales humanitaires et les associations de lutte contre le sida, sous responsabilité médicale.
Impasse préventive.
Des associations de patients entendent aujourd'hui s'emparer du sujet et se disent prêtes à mettre en oeuvre des programmes pilotes de dépistage avec des tests réalisés «hors les murs». La journée de réflexion organisée par Sidaction* était l'occasion pour elles de discuter de cette problématique en présence de soignants, de chercheurs et de représentants des autorités de santé. La France est l'un des très rares pays à imposer la réalisation systématique sur le même prélèvement d'un double test dont un Elisa, rappelle le Pr Willy Rozenbaum, président du CNS. Une recommandation justifiée par le souci de réduire au minimum le nombre de faux négatifs et qui, selon le groupe d'experts de l'ANAES** (recommandations sur les stratégies du diagnostic biologique de l'infection au VIH, janvier 2000), devait être réactualisée dans un délai de deux ans au maximum pour tenir compte de l'évolution des techniques diagnostiques. Sur ce plan, la France est en retard.
Les règles de bonnes pratiques qu'elle a mises en place interdisent l'emploi des nouveaux tests rapides en tant que test unique, alors que des expériences réalisées dans certains pays européens ont démontré leur intérêt, notamment chez les homosexuels, un groupe particulièrement exposé. Selon le baromètre Gay 2005, 16 % des gays franciliens ne connaissaient pas leur statut et 44 % d'entre eux déclaraient avoir eu une pénétration anale non protégée avec un partenaire occasionnel au cours des douze derniers mois. «L'enjeu est de taille, explique France Lert, directrice de recherche à l'INSERM. Il s'agit de mieux adapter le dépistage aux personnes rétives aux tests pour des raisons que l'on connaît mal.» Une population «pour laquelle on est, poursuit-elle , dans une sorte d'impasse préventive».
Sensibilité et spécificité.
Simples à réaliser à partir d'une goutte de sang prélevée au bout du doigt, les tests rapides permettent d'obtenir un résultat en 15 ou 20 minutes sans équipement sophistiqué. Utilisés aujourd'hui dans les laboratoires privés (en plus du test ELISA) pour une délivrance rapide des résultats (le jour même contre en général une semaine dans un CDAG, centre de dépistage anonyme et gratuit) mais, la plupart du temps, sans aucun accompagnement, ils pourraient être particulièrement adaptés à une utilisation «hors les murs», par exemple dans les lieux de rencontre gay. L'expérience genevoise conduite par l'association Dialogai qui, en 2004, a créé un « Chekpoint » où elle propose aux gays une consultation d'une durée d'une heure en moyenne comprenant la réalisation d'un test rapide, des entretiens pré- et posttest. En cas de résultat positif, un Western-Blot (test de confirmation) est immédiatement réalisé et envoyé au laboratoire. Une procédure qui offre une plus grande cohérence, améliore le conseil, notamment sur la réduction des risques (counselling), et favorise la récupération des résultats : 94 % des personnes dépistées positives reviennent chercher leurs résultats contre 45 % avec un test traditionnel.
L'expérience genevoise et celles conduites aux Pays-Bas ou à Londres ont démontré la faisabilité d'une utilisation en dehors des laboratoires. D'autant plus que la fiabilité de ces tests n'est pas remise en cause. Avec une sensibilité de 100 % et une spécificité de 99,7 %, le risque de faux négatif est nul et celui de faux positif est minime, même s'il oblige à un deuxième test de confirmation.
«Les données de performance de ces produits sont connues et les différents contrôles effectués ces dernières années n'ont révélé aucun problème particulier de conformité», confirme Jean-Claude Ghislain, responsable de l'évaluation des dispositifs médicaux à l'AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) et président du Groupe technique européen qui vient d'actualiser les spécifications européennes auxquelles les fabricants de tests rapides doivent se soumettre. Les disparités constatées par rapport aux tests classiques quant à la durée de la période de séroconversion (période entre la contamination et l'apparition des anticorps), n'interdit pas leur utilisation. «Les discussions actuelles portent sur une utilisation en dehors des laboratoires car les produits ont été conçus pour un usage professionnel. L'AFSSAPS projette de mener des projets dans ce sens, dans les CDAG ou dans d'autres contextes, comme cela avait été fait lors de l'étude menée pour vérifier la faisabilité de l'utilisation au quotidien des tests angine par les médecins généralistes. L'idée est d'aider à sélectionner les tests les plus adaptés pour un usage en dehors du cadre prévu.»
Une déclaration de la ministre attendue.
Reste donc à faire évoluer la législation. La Haute Autorité de Santé conduit actuellement, à la demande de la Direction générale de la santé (DGS), une réflexion dans ce sens. De nouvelles recommandations devraient être publiées à la fin du premier semestre 2008 pour ce qui est de la place des tests rapides dans le dépistage et des modalités d'utilisation. Une deuxième série de recommandations sur l'évolution de la stratégie de dépistage elle-même sera disponible à la fin de l'année 2008. Un délai jugé trop long par les associations, compte tenu du retard déjà pris et des différents projets pilotes sur le point d'être lancés. Elles réclament des dérogations à la réglementation et à la législation actuelles. Interpellé lors des débats, le représentant du ministère de la Santé, le Dr Pascal Chevit, chef du bureau VIH-IST-hépatites à la DGS, a reconnu que «l'exploration de nouvelles voies de dépistage apparaît indispensable» et a indiqué que des discussions sont en cours, que la situation pourrait être bientôt débloquée et que l'utilisation des tests rapides hors laboratoires éventuellement par des non-professionnels pourrait être possible à court terme : «La ministre devrait s'exprimer sur le sujet dans les jours qui viennent, à l'occasion de la Journée mondiale du sida» (le 1er décembre).
*Le bimestriel « Tranversal », édité par l'association, publie un dossier spécial dépistage dans son numéro de décembre (n° 39).
** L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé est devenue la Haute Autorité de Santé.
L'autotest reste interdit
Les tests rapides sont déjà disponibles sur Internet. Certains permettent l'autoanalyse et un l'autoprélèvement. Le Conseil national du sida, à la demande de la Direction générale de la santé, s'est prononcé contre ces « autotests » en mars 2005. Une pratique qui resterait proscrite même si l'utilisation « hors les murs » des tests était autorisée. Le dépistage doit s'inscrire dans une démarche de prévention et de soins.
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