«AVANT la création de la CAMAD, les associations se débattaient dans des difficultés sans nom pour réussir à se procurer du matériel, se souvient Jean-François Charrier, logisticien et vice-président d'ADS (Association développement solidarité), une ONG principalement implantée à Madagascar et au Niger. Dans les hôpitaux, quelques correspondants d'ONG trustaient tout le matériel obsolète et on n'obtenait rien sans identifier le bon médecin ou la bonne infirmière susceptible de délivrer son accord.» Quelques privilégiés s'y retrouvaient peut-être, mais, dans la majorité des cas, le matériel renouvelé, technologiquement obsolète, comptablement dépourvu de valeur, bien qu'il soit encore, le plus souvent, en parfait état de fonctionnement, prenait le chemin de la benne. «Un gigantesque gâchis», estime le logisticien. Rien que pour l'AP-HP, en effet, le budget annuel de renouvellement de matériel avoisine les 100 millions d'euros.
Introduire justice et transparence.
«C'est pour mettre un terme à cette situation et introduire de la justice et de la transparence dans les procédures que nous avons imaginé et mis en place au sein de l'AP-HP la CAMAD», explique son créateur et président, le Pr Bernard Delaitre, PU-PH de l'hôpital Cochin. Pour fonctionner, la commission a mis au point une base de données, la GESMAD (gestion du matériel disponible). «C'est un tableau Excel, explique Boumédienne Medini, responsable informatique de l'AP-HP, alimenté par les ingénieurs biomédicaux des établissements de l'AP, qui y enregistrent la liste de leurs équipements renouvelés, matériels médicaux, hôteliers et logistiques en tout genre, avec les précisions utiles sur leur état de fonctionnement. Les associations ont la faculté de le consulter en ligne pour s'approvisionner.»
Deux procédures ont été instaurées suivant les cas : le petit matériel (groupes 1 et 2) est directement attribué aux associations, alors que les équipements plus conséquents (groupes 3 et 4) font l'objet d'un examen en commission, lors des réunions mensuelles. A ce jour, la CAMAD a agréé 36 associations, sur la base de leurs bilans et de leur aptitude à mettre en oeuvre les moyens logistiques appropriés. Celles qui ne sont pas retenues peuvent cependant bénéficier d'un parrainage, qui leur permet, par le truchement d'une association agréée, de se pourvoir également en équipements.
Entrée en activité l'an dernier, la commission totalise 60 matériels de catégorie 3 et 4, qui, pour 51, ont trouvé preneurs, et un peu plus de 300 produits de catégorie 1 et 2 ; la moitié des demandes les concernant ont été satisfaites.
Quantité de défibrillateurs, séquenceurs ADN, chromotographes en phase gazeuse, automate de biochimie, mais aussi simples lits hospitaliers, tous comptablement amortis et technologiquement obsolètes, mais révisés et en état de fonctionnement pour des années encore, sont livrés à des établissements démunis de tout, en Afrique (Sénégal, Congo, République centrafricaine), mais aussi en Asie (Afghanistan, Cambodge) et même en Europe (Roumanie, Bulgarie).
Pour « gratuite » qu'elle soit, cette nouvelle vie nécessite toute une chaîne de compétences, en amont comme en aval. «En aval, nous devons, à chaque livraison, former les utilisateurs sans lesquels ces opérations ne pourraient être pérennisées, souligne Jacques Robin, ancien technicien biomédical à Broussais qui intervient pour la Chaîne de l'espoir dans des établissements d'Afrique et d'Asie. Et ce transfert de compétence doit s'accompagner d'une rétribution correspondante.»
En amont, la viabilité du système est tributaire des ingénieurs biomédicaux qui, au sein de chaque établissement de l'AP-HP, doivent renseigner le logiciel GESMAD avec leurs données actualisées. «Evidemment, constate Jean-François Sauvat, chargé de mission à la direction de la politique médicale de l'AP-HP, il est beaucoup plus simple de faire procéder à l'enlèvement du matériel pour la casse. La mise à jour de la banque de données, aussi simplifiés que puissent être les formulaires, prend du temps, de même que le démontage et la préparation des matériels.»
C'est justement parce qu'il est bien conscient de la nécessité de stimuler les énergies que le Pr Delaitre s'apprête à prendre son bâton de pèlerin pour effectuer une tournée des 32 établissements de l'AP, où il rencontrera les ingénieurs biomédicaux. A ce jour, seulement 14 d'entre eux ont enregistré des données sur GESMAD.
Le combat pour le recyclage humanitaire passe par la mobilisation bénévole des « biomed' ». A l'instar de leur correspondants, au sein des ONG, où les logisticiens ne ménagent pas leur peine pour aller récupérer le matériel sur site, le réviser, le conditionner, l'embarquer dans des containers de 60 m3, veiller aux formalités douanières, sans oublier la réception par l'établissement bénéficiaire. Un ensemble d'opérations complexes, engagées toujours sous la même menace, confie Jean-François Charrier : «Si nous n'agissons pas avec suffisamment de célérité, tout est mis à la casse.»
La charte des DM
L'AP-HP a édicté une « charte des dons matériels (DM) à des fins humanitaires », pour établir les meilleures conditions de collaboration avec les ONG qui bénéficient de ses matériels de réforme. Elle stipule que les buts poursuivis doivent être humanitaires, à l'exclusion de toute activité lucrative, religieuse ou politique. Ces deux derniers buts peuvent toutefois être acceptés, sous réserve que l'association n'exerce aucun prosélytisme.
Les associations s'engagent à démonter, enlever, transporter le matériel ; elles doivent reconstituer la documentation nécessaire à l'utilisation, former, si nécessaire, le personnel, s'assurer de l'approvisionnement en consommables et de la maintenance technique.
La charte interdit la réintroduction des DM en France.
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