LES KURDES ONT CONSTRUIT au nord de l'Irak un mini-Etat où ils mènent une vie relativement paisible : non seulement leur économie se développe rapidement, mais le nombre des attentats commis par des sunnites ou des membres d'Al-Qaïda est limité au sud de la région, principalement à Mossoul, où les sunnites irakiens disputent aux Kurdes l'exploitation des puits de pétrole. Le président irakien, Jalal Talabani, est un Kurde. Il n'a que faire des menées du PKK indépendantiste dès lors que se construit au nord de l'Irak un Kurdistan déjà autonome et prospère, inséré dans ce qui est appelé à devenir une fédération de trois Etats irakiens, kurde, sunnite (Bagdad) et chiite (sud).
Contamination de la violence.
Les Etats-Unis, trop contents que le Kurdistan soit la seule région pacifiée d'Irak, ne souhaitent pas qu'il soit contaminé par la violence, d'où qu'elle vienne, du sud ou du nord. Ils ont obtenu non seulement du Premier ministre Al-Maliki, mais aussi du président Talabani, un désaveu du PKK. Ce qui est tout à fait remarquable, s'agissant notamment de M. Talabani, mais ne peut se traduire par aucun acte concret. Les Kurdes ne veulent pas que l'armée irakienne pénètre dans leur territoire et elle a déjà beaucoup de travail ailleurs ; et ils ne sauraient désavouer complètement le PKK, certes « terroriste », mais aussi « combattant de la liberté » : les Kurdes, en effet, ne se trouvent pas qu'au Kurdistan , ils forment de fortes minorités, surtout en Turquie, mais aussi en Iran et en Syrie. En fait, s'il fallait créer un Kurdistan libre et indépendant, il faudrait amputer les territoires de quatre pays, tous aussi peu accommodants les uns que les autres. Le gouvernement turc n'est pas à la noce : son comportement est dicté par des provocations meurtrières du PKK, qui a infligé des pertes sévères à l'armée turque. Bien entendu, le peuple turc est profondément uni contre le sécessionnisme kurde et réclame vangeance.
Le Premier ministre (islamiste), Recep Tayyip Erdogan, qui gouverne avec une forte majorité issue de récentes élections, n'ignore pas toutefois qu'il risque de tomber dans un piège. Bien qu'il défende un islam modéré par opposition aux partis kémalistes et laïcs, il a fourni d'énormes efforts pour rassurer les Européens sur ses intentions. Il entend bien négocier jusqu'au bout l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, fût-ce dans dix ou quinze ans. Jusqu'à présent, l'armée turque n'a pas fait d'incursions en profondeur et elle a surtout utilisé son aviation pour bombarder les positions du PKK. Mais, forcément, le risque existe d'une extension de la guerre au Kurdistan irakien et peut-être au reste de l'Irak, déjà dévoré par la violence.
M. Erdogan aurait sans doute préféré s'en tenir à de fortes déclarations sur l'unité indestructible et sur la souveraineté de la Turquie. Mais les pertes subies par l'armée turque (plusieurs soldats turcs ont été enlevés) l'ont conduit à durcir sa position. Washington négocie la libération des militaires turcs dans l'espoir de calmer le jeu. Personne, dans la région, ne souhaite que les Turcs envahissent le nord de l'Irak car une telle invasion entraînerait un embrouillamini indescriptible. Mais personne non plus ne contrôle le PKK, considéré comme terroriste par à peu près tout le monde, les Etats-Unis, le gouvernement irakien, la Turquie, la Syrie et l'Iran. Ankara refuse de négocier avec le PKK et détient son chef, Abdullah Ocalan. De sorte que ni le PKK ni les Turcs n'entendent renoncer à l'usage de la force.
Anti-américanisme.
Cette soudaine complication de la crise irakienne montre en outre l'absence d'influence des Etats-Unis. Quand George W. Bush a décidé d'envahir l'Irak, les Turcs lui ont refusé le passage des troupes américaines et de leur logistique par la Turquie. C'était un défi grave, pour un pays considéré alors comme un ami des Américains. Cependant, M. Bush n'en a pas tenu rigueur à la Turquie et il l'a toujours soutenue contre le PKK. Ce qui n'enlève rien à l'anti-américanisme croissant du peuple turc. Il se confirme, en tout cas, que Washington n'a d'influence ni sur le PKK ni sur le gouvernement turc. En effet, M. Erdogan préfère de toute évidence un rapprochement avec l'Union européenne à son engagement pro-américain au sein de l'OTAN. La crise déclenchée par le PKK sonne le glas de l'amitié turco-américaine et peut-être du kémalisme, désormais minoritaire en Turquie.
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