UN QUART de la population mondiale, dont tous les pays de l'Union européenne, est soumis à un décalage d'une heure (DUH) deux fois par an, institué initialement pour mettre en place une heure d'été qui permette une économie d'énergie. La polémique sur l'intérêt de la mesure va bon train, pour une part alimentée par des observations subjectives.
Thomas Kantermann et coll. se sont efforcés d'apporter des données objectives. «Nos données indiquent que le système circadien ne s'ajuste pas aux DUH. Et que le mécanisme d'adaptation aux modifications des périodes d'exposition à la lumière [photopériodes] saisonnières est désorganisé par le passage à l'heure d'été», expliquent-ils au terme de leur travail.
Il existe un certain nombre de recherches sur les effets comportementaux et physiologiques du DUH, rappellent-ils.
Une étude chez 65 personnes a par exemple montré que l'ajustement des heures de réveil se faisait en cinq jours. Une autre, s'appuyant sur des EEG, a conclu à une adaptation de l'architecture du sommeil en peu de jours. L'étude la plus longue (quatre semaines autour du DUH de printemps) jusqu'à aujourd'hui met en évidence des différences interindividuelles dans l'ajustement, qui peuvent aller d'un jour à deux semaines. Les auteurs concluent à l'existence de « chronotypes », c'est-à-dire de différences interindividuelles qui sont sous la dépendance de l'âge, du genre, de la génétique et de l'intensité lumineuse. Pour tenir compte de cela, Thomas Kantermann et coll. (Allemagne et Pays-Bas) ont développé un outil simple, le Munich ChronoType Questionnaire (MCQT) pour évaluer l'impact du chronotype dans l'adaptation de l'horloge circadienne biologique humaine, d'une part aux saisons et, d'autre part, aux DUH imposés. Le MCQT prend en compte les durées de sommeil, l'heure d'endormissement et de réveil (aux jours ouvrés et pendant les congés), la qualité du sommeil (éveils, sensation de repos), mais aussi la qualité de l'activité (horaires, vigilance aux différents moments).
Horaires du sommeil en fonction des saisons.
L'étude s'est adressée à des Européens (dans les régions tropicales, les horaires de l'aube et du crépuscule changent peu au cours de l'année et influent donc peu sur l'adaptation chronobiologique, contrairement à nos régions). On a analysé les horaires du sommeil spontané pendant les jours de repos en fonction des saisons, chez 55 000 personnes. Il apparaît que «le rythme du sommeil lors des jours de congé suit la progression du crépuscule au fil des saisons. Mais que cela n'est pas le cas lors des DUH» : il y a une variation de 3 h 30 dans les répartitions des horaires dans cette deuxième situation, que l'on n'observe pas quand on fait la relation avec les saisons. Le rythme du sommeil pendant les jours de congé est en corrélation avec les variables physiologiques (cortisol, mélatonine, température corporelle). Il reflète bien le chronotype du sujet et permet de corriger pour cette variable.
On note que le passage à l'heure d'été ne modifie pas la durée du sommeil, tandis que le retour à l'heure d'hiver retarde l'endormissement. Ainsi, lorsque les humains n'ont pas de décalage horaire, «la synchronisation est d'une grande exactitude, permettant de s'adapter de manière précise à la progression du crépuscule».
La deuxième étude est un travail longitudinal mené pour décrire les adaptations individuelles aux DUH, à partir d'une évaluation des rythmes respectifs d'activité et de sommeil, pendant quatre semaines avant et après les transitions d'automne et d'hiver (chez 50 personnes en 2006 et en 2007). Les sujets ont été équipés d'actimètres pour mesurer leurs mouvements.
Les résultats montrent que les deux paramètres (sommeil et activité) «s'ajustent facilement au DUH en automne, tandis que le paramètre activité seul ne s'ajuste pas au passage à l'heure d'été imposé au printemps».
Ce qui voudrait dire que les DUH affectent sévèrement nos rythmes saisonniers. «Comme d'autres animaux, les humains sont saisonniers [taux de natalité, mortalité, suicide, etc.] . Toutefois, la saisonnalité a été très perturbée par l'industrialisation depuis une soixantaine d'années», écrivent les auteurs. «Les DUH imposés peuvent accentuer la dissociation entre la biologie humaine et les saisons.»
« Current Biology » n° 17, novembre 2007 (édition avancée en ligne).
Dimanche, à 3 heures...
Le dimanche 28 octobre, comme chaque dernier dimanche d'octobre, nous remettrons nos pendules à l'heure : à 3 heures du matin, il sera 2 heures. Retour à l'heure d'hiver pour cinq mois, jusqu'au dernier dimanche de mars (à 2 heures du matin, le 29, il sera 3 heures).
Toute l'Union européenne est depuis les années 1980 au régime de l'heure d'été, instituée en France en 1975, à la suite du choc pétrolier. Le calendrier en est fixé jusqu'au 30 octobre 2011.
Dans les premières années, assez nombreux et virulents, les opposants à l'heure d'été ne comptent plus que quelques irréductibles. L'Association contre l'heure d'été double (ACHED), par exemple, qui fait valoir ses arguments à chaque changement d'heure : pics d'ozone plus élevés l'été à cause de la circulation et de l'activité industrielle qui commencent plus tôt ; petites économies d'énergie le soir, surconsommations le matin pour le chauffage et le soir pour le trafic ; difficultés à s'endormir ; travail scolaire perturbé ; augmentation de la fatigue des conducteurs et donc des risques d'accidents... Soulignant la situation particulière de la France, qui, comme l'Espagne, a déjà une heure de décalage par rapport au méridien central du fuseau horaire géographique, elle demande une heure d'été « simple », soit GMT+1.
La nouvelle étude devrait lui donner matière à relancer le combat, ainsi qu'à d'autres opposants mis en sommeil par le relatif consensus sur la mesure. Car les Français apprécient pour la plupart leurs longues soirées d'été avant que la nuit ne tombe.
Gardes : mauvaise pioche
A l'hôpital, l'organisation des services ne semble pas particulièrement perturbée par le changement d'heure. «Même pour les trithérapies, que l'on institue beaucoup dans mon service et qui nécessitent deux prises à douze heures d'intervalle, on n'est pas à une heure près», témoigne le Dr Gérald Kierzek, praticien hospitalier aux urgences-SMUR de l'Hôtel-Dieu, à Paris.
En revanche, que la nuit dure une heure de plus n'est pas sans conséquence pour ceux qui sont... de garde. Comme l'explique avec humour le Dr Kierzek : «Celui qui prend la garde à ce moment-là n'a pas de chance. Quand on arrive à repérer l'heure d'hiver sur le planning, on évite de s'inscrire. C'est comme pour la Fête de la musique! Il y a quelques dates, comme ça...» Payés à la demi-journée, les médecins qui travailleront dimanche à trois heures ne vont pas gagner davantage qu'une autre nuit. «C'est travailler plus pour gagner autant», remarque Gérald Kierzek, qui confie que, évidemment, les candidats à la garde sont bien plus nombreux lors du passage à l'heure d'été.
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