Des influences très précoces
Ainsi, les nouveau-nés dont la mère a consommé des produits anisés pendant la grossesse préfèrent l'odeur d'anis à une odeur témoin. De même, l'alimentation des premiers mois influence les préférences ultérieures : des bébés nourris par un hydrolysat de protéines acceptent mieux les goûts acides et les saveurs amères que ceux qui ont eu un lait de soja. Par ailleurs, après une étude allemande, les enfants ayant reçu un lait maternisé aromatisé à la vanille préfèrent un ketchup légèrement aromatisé à la vanille à un ketchup normal, qui est lui choisi par les enfants qui ont été alimentés au sein. Enfin, les modalités de la diversification alimentaire ont, elles aussi, un effet sur les goûts ultérieurs. En Allemagne et aux Etats-Unis, les nouveaux aliments sont introduits un par un ; pendant une semaine, le bébé ne goûte qu'à la purée de carottes, puis la semaine suivante aux haricots verts ; alors que, en France, la diversification se fait en alternance. Or on observe que les enfants qui ont eu une diversification « alternée » acceptent mieux les nouveaux aliments.L'ensemble de ces travaux suggère donc qu'il existe une mémoire acquise inutero et dans les premiers mois de vie, que celle-ci a une influence sur les préférences alimentaires ultérieures.
Mise en place d'un observatoire
Pour évaluer de façon plus précise l'importance de ces apprentissages précoces, un Observatoire des préférences alimentaires de l'enfant a été mis en place par l'INRA, l'INSERM et l'Agence nationale de la recherche, avec le soutien du conseil régional de Bourgogne et des entreprises mécènes.
Cette étude, baptisée Opaline 1, a pour objectif la mesure de l'impact de l'exposition à certains arômes sur les préférences et les aversions des jeunes enfants. Cent trente couples mère-enfant ont été suivis du 7e mois de grossesse aux 2 ans de l'enfant. Les participantes ont rempli tous les mois un questionnaire alimentaire. L'analyse est en cours et, d'ores et déjà, Opaline 2 est en cours de recrutement.
Deux sortes de mémoire
Mais tout ne se joue pas dans la petite enfance, les expériences ultérieures guident également nos choix. «Quand, sur la route des vacances, nous entrons dans la cafétéria de l'autoroute, qu'est- ce qui détermine la composition de notre repas?», interroge Claire Sulmont-Rossé. Un certain nombre de souvenirs : «Non, pas cette andouillette, qui, l'an dernier, s'était révélée quelconque et surtout difficile à digérer…»
Deux systèmes mnésiques sont mis en jeu : la mémoire épisodique stocke les souvenirs autobiographiques (comme pour l'andouillette de la cafétéria) et la mémoire sémantique qui stocke les connaissances générales (par exemple, les huîtres sont des fruits de mer, au goût salé, et se mangent généralement crues). «Lorsque nous sommes face à un aliment, la mémoire peut intervenir à deux niveaux. Avant sa consommation, la confrontation entre cet aliment et les expériences antérieures génère un état d'attente. Il peut s'agir d'une attente sensorielle; par exemple, “je m'attends à ce qu'un aliment parfumé à la fraise soit sucré, car, dans le passé, tous les aliments parfumés à la fraise que j'ai consommés étaient sucrés”; ou d'une attente hédonique; à un instant “t”, je m'attends à ne pas aimer les huîtres, car, dans le passé, j'ai consommé des huîtres qui m'ont rendu malade. Lors de la consommation, la mémoire donne du sens; l'information brute est transmise par les systèmes sensoriels périphériques au cerveau et contribue à l'élaboration de la perception», explique Claire Sulmont-Rossé.
Les recherches menées dans ce département de l'INRA s'intéressent au fonctionnement des mémoires sensorielle, épisodique et sémantique, mises en jeu lors de la consommation des aliments, mais aussi à leur impact sur les réactions des consommateurs, leurs attentes et leurs perceptions.
Les déterminants de la satiété
La mémoire des aliments a, en outre, un rôle fondamental pour la survie de l'organisme, puisque le rappel d'une expérience désagréable (malaise) conduit à l'évitement, tandis que le rappel d'une expérience agréable (rassasiement, plaisir) conduit à la consommation de l'aliment. Des études menées à l'INRA ont montré que, à l'inverse des domaines visuel et verbal dans lesquels on observe une meilleure détection des ressemblances que des différences, la mémoire des aliments semble davantage sensible aux différences qu'aux ressemblances.
Si la mémoire sensorielle guide les comportements de choix alimentaire, qu'est-ce qui détermine l'arrêt de la prise alimentaire ? «J'arrête de manger, car je n'ai plus faim»: une évidence ? «Pas pour les 10% de Français obèses ni pour le tiers de la population en surpoids», répond Charles-Henri Malbert (INRA, Rennes). «Pas non plus pour les scientifiques qui étudient les multiples facteurs mis en jeu dans le contrôle de l'ingestion, mécanisme pour partie conscient et pour partie inconscient», poursuit-il. On a longtemps pensé que le comportement alimentaire était sous l'influence unique de l'hypothalamus, commandant à la fois la faim et la satiété ; en fait, ces deux sensations sont issues de circuits différents. La perception de la satiété provient de l'interprétation inconsciente de multiples signaux venant du cerveau, mais aussi des organes digestifs, estomac, intestin grêle et foie, dotés de millions de récepteurs.
Le programme Nutrisens
Les travaux menés dans le cadre du programme Nutrisens ont d'ores et déjà apporté quelques précisions sur les rôles respectifs du tube digestif, du foie et du cerveau. L'imagerie par PET-scan a montré que la distension de l'estomac active le globus pallidus, zone limbique impliquée dans les processus de récompense. Les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de modifications du comportement alimentaire sont sans doute liées à cette implication des processus de récompense.
Une expérience réalisée chez des animaux soumis pendant trois semaines à un régime très riche en lipides a mis en évidence la disparition de l'effet satiétogène normal des lipides. Cette disparition est-elle réversible ? Et par quels mécanismes l'estomac a-t-il opéré cette désensibilisation aux lipides en un laps de temps si court, des travaux en cours devraient permettre de répondre à ces questions. n
D'après une conférence de presse organisée par le département alimentation humaine dirigé par Patrick Etiévant .
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