NI LE NOMBRE des chiens dangereux ni celui des morsures et des accidents ne semblent avoir diminué depuis la mise en application de la loi du 6 janvier 1999, censée pourtant les réduire, sinon les éradiquer. Tout au contraire, la chronique de l'accidentologie canine, depuis cet été, fait état d'une recrudescence spectaculaire des incidents. L'émotion a atteint son paroxysme la semaine dernière, avec le décès d'une fillette attaquée à son domicile par les deux dogues allemands de la famille.
Le gouvernement a donc décidé d'élaborer une nouvelle loi qui devrait être présentée au Conseil des ministres le 10 octobre, puis au Sénat le 25 octobre. «Nul ne peut détenir un chien dangereux s'il n'est titulaire d'un certificat d'assiduité attestant le suivi d'une formation spécifique.» C'est la principale nouveauté que devrait instaurer la future loi, indique-t-on au ministère de l'Intérieur. De son côté, le ministre de l'Agriculture, Michel Barnier, évoque la création d'un «permis de détention» des chiens dangereux.
Pour les chiens appartenant à la première catégorie, dont les pit-bulls, l'importation restera interdite et la stérilisation obligatoire, comme le prévoit déjà la loi de 1999. En revanche, le législateur reconsidérerait le cas des chiens de deuxième catégorie, dits de garde ou de défense, avec un contrôle strict des importations, imposant la production en douane d'un pedigree. Par ailleurs, les croisements des chiens dangereux, dont le nombre s'est accru ces dernières années pour contourner la loi de 1999, jusqu'à être multipliés par cinq, feront l'objet d'une interdiction afin d'empêcher la création de nouvelles races dangereuses et de faire en sorte que l'extinction des chiens de première catégorie soit effective. Enfin, l'encadrement de la détention des chiens dangereux serait renforcé, les propriétaires devant produire, lors de la déclaration du chien dangereux en mairie, un certificat vétérinaire qui assure que l'animal appartient bien à la race annoncée.
Deux règles d'or.
A cet ensemble de mesures coercitives, Michèle Alliot-Marie, consciente que «beaucoup dépend de l'attention et de la prudence des maîtres», ajoute un vibrant « appel à la responsabilité et à la vigilance, en particulier lorsque des enfants sont mis en présence (des chiens) ».
«C'est le bon sens, commente sur ce dernier point Charles Pilet, directeur honoraire de l'école vétérinaire d'Alfort et ancien président de l'Académie de médecine, «la première règle d'or est de ne jamais laisser un bébé seul avec un chien, quel qu'il soit. La seconde est de veiller à ne pas laisser un enfant seul avec un chien dangereux».
Pour le reste, les avis sont partagés. Qu'une formation des maîtres ou détenteurs de chiens soit instaurée, quitte à ce qu'elle soit obligatoire et sanctionnée par un « certificat » d'aptitude, les vétérinaires comportementalistes s'en félicitent, eux qui préconisent depuis longtemps de développer l'éducation pour les catégories les plus exposées, comme les enfants, et qui proposent la création de journées ou de semaines de sensibilisation. « Il est vrai, remarque l'un de ces vétérinaires, que beaucoup d'idées fausses circulent sur la psychologie canine, tant dans le public que parmi les supposés professionnels. Par exemple, tel éleveur interrogé sur France2 recommandait dimanche de distribuer les mêmes gratifications à un enfant et à un dogue allemand, sous peine de provoquer la jalousie du chien. Mais c'est une aberration pour qui sait que la jalousie est un sentiment qui n'est pas répertorié dans la psychologie canine, laquelle s'inscrit dans un monde de stricte hiérarchie.»
La discrimination par race n'est pas pertinente.
Réunis dans l'association Zoopsy, les quelque 120 praticiens titulaires du diplôme de « vétérinaire comportementaliste » délivré par les quatre écoles nationales vétérinaires françaises ont créé l'an dernier l'Orca (Observatoire de recherche et de contrôle de l'agressivité), pour «recueillir des données fiables, proposer des mesures concrètes et vérifier la pertinence des dispositions réglementaires et législatives». En l'occurrence, ces vétérinaires s'insurgent contre la future loi, dont «l'architecture, estiment-ils, repose tout entière sur le déterminisme génétique et trie la dangerosité selon l'unique critère de la race. Quand on sait que, chez la souris, la seule agressivité territoriale dépend de 26gènes différents, explique le Dr Claude Beata, on comprend à quel point la problématique de l'agressivité chez les chiens est polyfactorielle. Et la race n'est pas le facteur déterminant, affirme le président de Zoopsy et d'Orca. Quand des études pointent la fréquence particulière d'une race, c'est généralement le berger allemand qui est le plus représenté et cela est tout naturellement dû à sa forte population dans le monde, de même que le labrador. Pointer une race comme fautive d'accidents ne repose donc pas sur un réel fondement scientifique».
Pour ce qui concerne les croisements et les dangers qui leur seraient liés, le Dr Beata se montre encore plus réservé : «Par définition, analyse-t-il, les croisements ne sont pas enregistrés et deux chiens semblables peuvent provenir de mélanges très différents. Deux chiens de races non visées par la loi peuvent tout à fait donner par croisement un type morphologique proche des chiens de catégorie1. Ainsi, si un croisement boxer/ beagle peut aboutir de façon involontaire à un animal de type pit-bull, à l'inverse, un croisement d'american staffordshire terrier n'aboutit pas forcément au même résultat! Le chien de type pit-bull est en effet un petit dogue et, si l'animal est d'un grand gabarit, il n'entre plus dans les critères morphologiques de la première catégorie, alors qu'il est plus puissant.»
«La discrimination par race n'est donc pas pertinente, assure le vétérinaire comportementaliste, qui préconise, à sa place, «une approche globale de santé publique»: «Les accidents de ces derniers jours corroborent ce qu'attestent toutes nos études: 80% des accidents graves surviennent avec un chien connu de la victime à l'intérieur de lieux privés; dans notre pratique, les propriétaires du chien qui a commis une agression nous disent souvent que l'accident est arrivé d'un coup, sans facteur déclenchant, et qu'ils ne comprennent pas. Or, lors de la consultation, nous trouvons dans quasiment tous les cas des éléments annonciateurs de cette agressivité. Dans les autres cas, nous rencontrons des animaux qui ont été rendus incohérents par des pathologies que seul un vétérinaire peut diagnostiquer.»
Bref, ce que reconnaissent unanimement les vétérinaires, et pas seulement les comportementalistes, c'est la grande diversité des races rencontrées dans l'évaluation de la dangerosité. A leurs yeux, les critères édictés par la loi de 1999 sont faux.
Plutôt que de se polariser sur des races spécifiques, ils en appellent donc à «un système prophylactique qui alerte sur les signes avant-coureurs, quelle que soit la race de l'animal. Il faut exercer la vigilance au sein des familles d'une manière pluridisciplinaire, insiste le Dr Beata . A cet égard, le médecin généraliste, fin observateur de ces contextes, représente un acteur-sentinelle de premier plan». Les responsables de Zoopsy, qui ont été reçus la semaine dernière par le conseiller scientifique de Nicolas Sarkozy, le Pr Arnold Munnich, ne cachent pas leur déconvenue de ne pas avoir obtenu un rendez-vous au ministère de la Santé.
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