DANS SON LIVRE le plus récent (1), François Heisbourg, président de l'International Institute for Strategic Studies, peu suspect de dire autre chose que les faits, estime que la menace d'un bombardement de l'Iran par les Occidentaux doit être maintenue, ne serait-ce que pour faire comprendre au régime iranien qu'il court un risque rédhibitoire.
Bernard Kouchner, interrogé dimanche dernier dans le cadre d'une émission hebdomadaire, a déclaré que, pour éviter le pire, c'est-à-dire la guerre, il fallait multiplier les pressions et les sanctions contre Téhéran.
Que n'a-t-il pas dit ! Tout un pan de la France, tous les pays musulmans, la Russie et d'autres se sont levés comme un seul homme pour condamner les propos du ministre, lequel, en l'occurrence, n'avait fait que présenter au sinistre président Ahmadinejad les termes d'une alternative.
Le mot et la chose.
Le comble, c'est qu'on se fâche, en France, beaucoup plus contre le mot que contre la chose. Peu importe que des conflits sauvages se poursuivent partout sur la planète ; peu importe que la Tchétchénie soit asservie, que les réfugiés du Darfour soient menacés d'extinction, que l'Afghanistan risque de tomber de nouveau sous la coupe des talibans, que les terroristes d'Al Qaïda mettent l'Algérie à feu et à sang, que le Liban sorte à peine d'une terrible bataille, qu'une guerre civile ravage l'Irak, que le conflit israélo-palestinien continue à faire des victimes, le mot guerre serait imprononçable. Du coup, M. Kouchner et son président seraient les vassaux des néoconservateurs américains, ceux-là même qui n'ont plus aucune influence à Washington ; et ils contribueraient, notamment en réintégrant la France dans l'Otan, à la « dérive » atlantiste de la France et de l'Europe.
On suppose que les vrais amis de la France sont l'Iran des ayatollahs, la Russie de Poutine et les pays arabes qui ont dénoncé les propos de M. Kouchner. Pour la bonne compréhension du dossier, il faut savoir que les pays les plus épouvantés par les progrès nucléaires de l'Iran ne sont pas seulement les Etats-Unis et Israël, ce sont l'Arabie saoudite, la Jordanie, l'Egypte et les Emirats arabes. Il faut savoir aussi que, en dépit des contrôles de l'Agence nucléaire internationale, personne ne peut dire quand les Iraniens auront la bombe, dans un an, ou deux, ou trois. Tout ce qu'on sait, c'est que les efforts industriels de l'Iran sont extrêmement intenses, que le régime iranien est irrationnel et a menacé de rayer Israël de la carte et que l'Iran dispose déjà de missiles capables d'atteindre le coeur de l'Europe.
Autrement dit, à cette menace follement inquiétante, nous ne saurions opposer le vocable guerre. Qu'est-ce qu'il faut dire aux Iraniens ? Que nous respecterons leur souveraineté jusqu'à ce qu'ils nous fassent chanter au moyen d'un engin nucléaire ?
IL N'Y A RIEN DE SOT NI DE MALADROIT DANS LA FERMETÉ À L'ÉGARD DE L'IRAN
En même temps, notre politique iranienne n'aurait aucune crédibilité si elle n'était assortie d'une menace de représailles, laquelle serait d'ailleurs sans valeur si nous ne montrions pas à Téhéran que nous avons le courage d'aller au bout de cette affaire. C'est en réalité le seul moyen d'éviter la guerre et toute autre attitude serait considérée par l'Iran comme un feu vert.Quant au rapprochement de la France avec les Etats-Unis, il ne nous empêche nullement de garder notre libre arbitre. C'est seulement la bienséance diplomatique qui empêche M. Kouchner de dire ce qu'il pense de la politique désastreuse de M. Bush. Mais, d'une part, le président actuel des Etats-Unis gouvernera jusqu'au 20 janvier 2009, et on ne peut ignorer ce fait, pas plus qu'on ne peut ignorer M. Poutine ni même M. Ahmadinejad. D'autre part, il faut bien que le gouvernement mette un terme à cette illusion qui a duré un demi-siècle et en vertu de laquelle la France ne pourrait se distinguer qu'en se dressant contre l'Amérique.Dimanche dernier, sur France 5, Philippe Sollers a dit à Dominique de Villepin qu'il était fier d'avoir entendu le ministre des Affaires étrangères de l'époque prononcer à l'ONU, en 2003, un discours inoubliable contre l'intervention américaine en Irak. Il demeure que si, dans ce monde très dangereux, nous comptons sur la Russie de Vladimir Poutine pour notre sécurité, inutile de dire que nous faisons fausse route. Il est clair que Jacques Chirac et Dominique de Villepin nous ont évité ce bourbier sanglant qu'est l'Irak, mais ils nous l'auraient évité tout autant s'ils avaient simplement refusé de participer à l'expédition et de s'abstenir au Conseil de sécurité. En revanche, pour ma part, j'aurais été fier qu'ils convainquent Bush de ne pas y aller. C'est d'ailleurs par dépit que M. de Villepin s'est lancé dans son morceau de bravoure lyrique à l'ONU.
Rassurez-vous.
On ne voit pas ce qu'il y a d'insensé dans la démarche sarkozienne de renforcement de l'Europe et de rapprochement avec les Etats-Unis. On ne voit pas ce qu'il y a de sot ou de maladroit dans la fermeté à l'égard de l'Iran. On peut même se demander si, en réalité, ce ne sont pas les courants de pensée les plus résignés à la nucléarisation de l'Iran, aux conséquences politiques catastrophiques qu'elle entraînerait, et à la disparition d'Israël, ce pays si encombrant, qui critiquent l'actuelle diplomatie française. Rassurez-vous, braves gens : ce n'est pas demain la veille d'un bombardement français de l'Iran. En attendant, on a le choix entre un sens de la souveraineté française qui se résume à laisser faire les dictatures de ce monde et un sens de la dignité française qui consiste à se dresser contre l'obscurantisme, la violence et le chantage.
(1) « Iran, le choix des armes ? », Stock.
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