DEPUIS 1968, la mortalité par cancer a baissé de 13 %. Chez les femmes, la diminution atteint 24 % entre 1950 et 2004, tandis que, pour les hommes, le nombre de décès a augmenté de 47 % de 1950 à 1985, avant de connaître une chute. Cette évolution globale, relevée par les académies de médecine et des sciences dans le rapport consacré aux « Causes du cancer en France » (voir encadré), réalisé avec le Circ et la Fnclcc, recouvre des variations importantes. Le cancer de l'estomac, par exemple, bête noire en 1950, a vu sa mortalité divisée par cinq en plus d'un demi-siècle.
Tabac-alcool : 28 % de la mortalité par cancer.
Le rapport examine d'abord les causes avérées de cancers, au premier rang desquelles le tabac. Responsable, en 2000, de 29 000 décès chez les hommes (soit 33,5 % de la mortalité par cancer) et 5 500 chez les femmes (10 %), c'est la plus meurtrière des substances cancérogènes. L'alcool entre pour 10 % dans la mortalité masculine par tumeurs malignes et pour 3 % chez les femmes. Les deux produits réunis sont à l'origine de 28 % des décès par cancer. Viennent ensuite les agents infectieux, les expositions professionnelles, l'excès de poids et l'insuffisance d'exercice physique.
La part de la pollution eau-air-alimentation dans la mortalité par cancer est évaluée à 0,5 %. Elle pourrait atteindre 0,85 % si les effets de la pollution atmosphérique étaient confirmés. Mais aucun consensus n'existe, ni aux Etats-Unis ni en Europe, quant à l'influence de cette dernière sur les cancers des poumons. Dans ce secteur, comme dans bien d'autres, de nombreuses enquêtes rapportent des résultats contradictoires ou discutables. A l'instar de ce qui se fait pour les changements climatiques, «il faudrait envisager la création de groupes internationaux et le lancement d'études sur cohortes suffisamment vastes en profitant d'expériences passées». Idem pour les facteurs nutritionnels : il faut lever les incertitudes, suggèrent les auteurs du rapport, en multipliant des investigations plus approfondies. Par ailleurs, soulignent-ils, de même qu'il «existe, au cours de la cancérogenèse, de multiples interactions entre différents agents (alcool-tabac, tabac-radon, VHB et aflatoxine, etc.) » , il y a éventuellement des interdépendances entre agents oncogènes, exogènes et endogènes. En revanche, en l'état actuel des connaissances, l'effet carcinogène des agents polluants en tant que tels n'est pas établi. Les deux académies parlent d'hypothèse «très peu vraisemblable» pour les nitrates et les pesticides.
Au chapitre des causes hypothétiques de cancers figurent de nombreux agents physiques, chimiques ou biologiques. Le rapport conclut que l'habitat proche de sources de pollution (industrielle, dépôts de déchets, incinérateurs), les dioxines, les rayonnements non ionisants autres que les UV, les téléphones portables et les antennes de téléphonie mobile ne peuvent être considérés comme des facteurs cancérogènes avérés. Dans d'autres cas, l'effet est trop minime pour être quantifié (l'arsenic de l'eau de boisson) ou les incertitudes sont trop grandes pour que l'effet puisse être calculé (faibles doses de rayonnements ionisants).
Restent les causes de cancers inconnues. Chez les personnes n'ayant jamais fumé, pour 85 % des cancers, aucun facteur de risque lié au mode de vie ou à l'environnement n'a été scientifiquement établi. Cela s'expliquerait notamment par le fait que des cancers sont susceptibles de naître et d'évoluer en dehors de facteurs exogènes, et aussi en raison d'une sous-évaluation de certains facteurs, notamment les infections et de la nutrition. En définitive, dans la France de 2007, on ne trouve une cause spécifique qu'à un cancer sur deux.
«Il est classique de distinguer deux types d'agents cancérogènes», rappellent les auteurs : les agents mutagènes, qui causent l'initiation cellulaire, et ceux responsables de la promotion. Or l'épidémiologie montre que les agents non ou faiblement mutagènes, comme l'alcool, les hormones ou l'amiante, sont «beaucoup plus souvent incriminés dans la cancérogenèse masculine que les mutagènes». Le tabac, lui, est à la fois un agent de mutation et de promotion (irritation, inflammation), ce qui explique la baisse rapide de l'incidence des cancers du poumon après arrêt du tabagisme. Aussi, l'étude pour chaque agent cancérogène de la relation dose-effet est-elle indispensable de manière à «éviter des inquiétudes injustifiées». Dans cet esprit, il convient d'orienter particulièrement les recherches vers le rôle des agents infectieux, de la nutrition durant l'enfance, de l'effet des stress oxydatifs et des phénomènes inflammatoires pendant la cancérogenèse.
Au total , lerapport confirme «l'extrême importance de quelques facteurs liés aux comportements individuels» contre lesquels la prévention peut se révéler efficace. Le tabac et l'alcool en témoignent. Plus d'attention devrait être accordée aux expositions pré- et postnatales à des facteurs de risque exogènes et endogènes et aux maladies chroniques susceptibles d'intervenir dans ce processus. Des observations à long terme, avec le suivi de la personne depuis la vie in utero jusqu'à 50-60 ans, offriraient une meilleure compréhension des facteurs influençant la santé. Le rôle du hasard et des fluctuations statistiques, à l'origine de faux positif ou de faux négatif, est à prendre également en considération. Des études fondamentales et épidémiologiques caractérisées par une étroite coopération entre biologistes, épidémiologistes et cliniciens sont indispensables. Enfin, rappellent les auteurs, il faut sensibiliser le public afin qu'il puisse apprécier les risques du canceret donc les prévenir. L'éducation à la santé dès l'école répond à cette nécessité. En 2002, la France comptait 278 000 nouveaux cancers et accusait 150 000 décès de malades cancéreux.
Deux ans de travail
Le rapport « Les Causes du cancer en France - Nouvelles données scientifiques »a été voulu par le Pr Maurice Tubiana, en tant que membre de l'Académie de médecine et de l'Académie des sciences. Il est le résultat d'une autosaisine des deux institutions. Pendant deux ans, elles ont travaillé au côté du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de Lyon et de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (Fnclcc), avec le concours de l'Institut national du cancer et de l'Institut de veille sanitaire. M. Tubiana et P. Boyle en ont assuré la conduite, entourés de P. Autier et P. Boffetta (Circ), A. Aurengo, R. Masse et G. de The (Académie de médecine), R. Monier et A.-J. Valleron (Académie des sciences) et C. Hill (Fnclcc).
Le rapport est publié en anglais (275 pages). Une version abrégée est disponible en français (45 pages).
* Le rapport est accessible sur les sites : www.academie-medecine.fr ; www.academie-sciences.fr ; www.IARIC.fr.
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