PARTOUT Où l'on se bat sur la planète, des populations entières sont prises en otage. En 2007, sur 10 millions de réfugiés*, 30 % ont été victimes de sévices et de violences d'Etat, directs ou indirects. Cinq mille entrent en France, clandestinement, tous les ans, pour y demander l'asile. Dans un état de stress post-traumatique, induit par des séquelles de tortures, ils connaissent des difficultés de concentration et de mémorisation, sont habités d'angoisse et de cauchemars. Grâce à des médecins et à des travailleurs sociaux, quelques-uns se retrouvent dans des centres médico-sociaux spécialisés. Il en existe deux à Paris, Primo Levi et Parcours d'exil*, qui voient respectivement 300 et 500 victimes par an. A Marseille, il y a Osiris (100), tandis que Lyon disposera d'une structure le mois prochain, associant Parcours d'exil à Forum réfugiés. Restent 3 500 victimes qui, avec de lourds traumatismes, ne trouvent pas d'aide.
Comme les french doctors.
«Il faut bien comprendre à qui nous avons affaire», dit au « Quotidien » le Dr Pierre Duterte, médecin-directeur du centre Parcours d'exil. «Les victimes de tortures n'ont pas choisi leur immigration. Pour eux, fuir est la seule chance de survie», dit le généraliste.Il l'a rappelé à la délégation aux victimes du ministère de l'Intérieur, qui l'a reçu en mars, et il pense avoir été entendu, puisqu'on lui a demandé, pour la formation de policiers, cinq brochures réalisées par Parcours d'exil, intitulées « Victimes de traumatismes. Clés pour l'accompagnement professionnel ».
On est loin du «concept d'immigration choisie», souligne le Dr Duterte, qui organise ce 26 juin une table ronde sur les « Torturés, rejetés, intégrés ». Pour Parcours d'exil, mouvement associatif créé en 2001, doté d'un centre de soins en 2004, la tâche à accomplir est identique à celle des french doctors. Ses intervenants mettent les pieds là où les droits de l'homme sont bafoués, tout en assurant un accompagnement thérapeutique, allant jusqu'à dénoncer des comportements frileux d'une France qui laisse «s'étioler le système de soins quand il en va de la santé des victimes de tortures». Ainsi, 10 % des patients de Parcours d'exil sont privés de CMU ou d'aide médicale d'Etat, contre 1 à 2 % dans les années 2001-2002, car ils sont souvent mal dirigés et finissent par abandonner. En 2006, sur une file active de 830 personnes, le centre a accueilli 507 nouveaux patients, 14 % de plus qu'en 2005. Quatre-vingt pour cent viennent d'Afrique, 10 % de l'ex-Union soviétique, 5 % d'Asie, 2 % du Maghreb, 1,78 % des Amériques et 1,38 % du Proche-Orient. Quarante-huit nationalités sont représentées, avec, en tête, des ressortissants de Guinée-Conakry (31 %) et de la République démocratique du Congo (21 %). On compte 3 hommes pour 2 femmes, âgés de 26 ans en moyenne, dont 23 % de mineurs, 83 % résidant en Ile-de-France et 17 % en province. Plus de 9 sur 10 demandent l'asile politique. La prise en charge se veut «la plus globale possible». Reçu d'abord par le Dr Pierre Duterte, formé à la psychothérapie et à la thérapie familiale, le patient est confié ensuite à un psychologue ou à un psychothérapeute. Arrêté en pleine nuit et libéré trois ans plus tard, D., un Irakien de 23 ans, en est au point de se demander s'il n'a «pas rêvé (ses) années de tortures». L., guinéen de 22 ans, gagné par la terreur, court se réfugier dans un coin du centre Parcours d'exil et reste accroupi derrière un canapé, lors de ses trois premières visites, plutôt que de s'asseoir dans la salle d'attente, car il associe la chaise à un objet de torture.
Le Dr Duterte évoque aussi P., 16 ans, qui a fui la Sierra Leone et qui est arrivé dans un état épouvantable, choqué par le meurtre de ses parents. Il ne mange plus, ne parle pas, ne fait rien. Au bout de six mois, il apprend le français, puis tout s'enchaîne. Il obtient un emploi dans les services généraux d'un cabinet d'avocats, où il accède rapidement au poste de bibliothécaire. Puis il préside aux destinées de Parcours d'exil, jusqu'à ce que son cabinet d'avocats lui offre une formation en droit international aux Etats-Unis, d'où il propose à l'association d'ouvrir une antenne, en Virginie, afin de collecter des fonds, ce qui est en cours. Le parcours exceptionnel du jeune Sierra-Léonais montre combien la victime de tortures peut garder de ressources, de forces physique et psychologique, que l'équipe du médecin a pour mission de réveiller. Comme P., la plupart des demandeurs d'asile viennent de milieux sociaux favorisés. Ils sont armés pour recouvrer leur dignité d'antan, prêts à ressusciter s'ils bénéficient d'un accompagnement thérapeutique.
Il existe 200 centres de soins pour les victimes de tortures dans le monde, fédérés par le Conseil international de réhabilitation pour les victimes de la torture (Irct).
* Parcours d'exil : tél. 01.45.33.31.74, www.parcours.asso.fr.
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