LES RÉCENTES CONCLUSIONS de la consultation internationale organisée par l'OMS (Organisation mondiale de la santé) et l'Onusida (Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida) continuent de soulever controverses et débats quant à la mise en oeuvre et la place du recours à la circoncision comme moyen de prévention de l'infection par le VIH/sida. Dans ce contexte de «forte médiatisation des résultats des recherches» et de «confusion», le Conseil national du sida émet un avis suivi d'un rapport où il rappelle que la circoncision ne peut être promue isolément et que, «en cas de relation sexuelle, le préservatif est le seul moyen efficace de prévention individuelle, que les hommes soient circoncis ou non».
Les membres de la commission sur la circoncision, présidée par le Pr Willy Rozenbaum, ne remettent pas en question «les résultats concordants des études qui ont fait l'objet de procédures de vérification» et précisent que «la réduction du risque de transmission lié à la circoncision semble bien réelle». Les études menées par l'Anrs (Agence nationale de recherche sur le sida) à Orange Farm, en Afrique du Sud, et par le National Institutes of Health (NIH) à Kisumu, au Kenya, et à Rakai, en Ouganda, ont en effet révélé une réduction de 50 à 60 % des risques (« le Quotidien » des 8 janvier et 29 mars). Cependant, soulignent les membres du CNS, d'autres études ont montré que la prévalence du VIH pouvait être élevée dans une population où la circoncision est importante. C'est le cas au Cameroun, où 93 % des hommes sont circoncis et où la prévalence du VIH est de 4,1 % chez les circoncis contre 1,1 % chez les non-circoncis. Dans les études Anrs et NIH, des nouveaux cas d'infection par le VIH ont été décrits dans les groupes circoncis et non circoncis. Ce qui montre bien que, «si elle réduit le risque de transmission», la circoncision «ne protège pas totalement», insiste le CNS.
De la théorie à la pratique.
Plus que les résultats, ce que dénonce le CNS, ce sont «les extrapolations» quant à l'impact sur l'épidémie . Elles s'appuient sur un modèle mathématique «discutable» qui prédit la réduction d'environ 2 millions du nombre de nouvelles infections et de 300 000 du nombre de morts dans les dix prochaines années.Mais le modèle ne tient pas compte des données sociologiques ou anthropologiques et intègre des résultats obtenus au cours d'expériences encadrées, ce qui soulève la question du passage de la théorie à la pratique. Ainsi, en cas d'exposition répétée, même s'il a moins de risque de contracter une éventuelle infection, un homme circoncis peut s'infecter, même si cela prend plus de temps. Une étude réalisée à Rakai, en Ouganda, montre que les hommes circoncis augmentent leur fréquence de rapports sexuels dans les 12 mois qui suivent la circoncision et peuvent accroître leur nombre de partenaires de plus de 25 %. Ces facteurs comportementaux peuvent annuler le bénéfice escompté à l'échelle de la population. Des recherches complémentaires en sciences sociales sont donc nécessaires. L'Anrs conduit d'ailleurs une nouvelle étude sur cinq ans dans la région d'Orange Farm, qui concernera au moins 30 000 personnes.
Les membres de la commission mettent aussi en garde contre les dangers de la promotion affirmée de la circoncision. Les messages de prévention existants risquent d'être brouillés, notamment certains peuvent se considérer, à tort, totalement protégés et avoir moins recours au préservatif. «Comment expliquer clairement qu'il faut se faire circoncire pour diminuer les risques de transmission, mais que le recours aux autres modes de prévention demeure malgré tout nécessaire (abstinence, fidélité, préservatif ...) ?», interroge le CNS.
Dans le contexte africain, ce sont en général les praticiens traditionnels, appelés «coupeurs», qui pratiquent la circoncision dans des conditions d'hygiène et de sécurité parfois douteuses – des cas de décès ont été décrits, de même que des cas d'infections par le VIH chez les enfants. Cela pose non seulement le problème de la sécurité de l'acte lui-même, mais aussi de la place des praticiens traditionnels face aux hospitaliers, dans une situation de pénurie du personnel médical. Cela soulève aussi la question de la médicalisation d'un acte qui est souvent associé aux autres mutilations corporelles, comme l'excision chez les femmes – le même terme «couper» est utilisé dans les deux cas. «La promotion de la circoncision masculine pour raisons médicales et non pour raisons traditionnelles pourrait aussi fragiliser la politique de lutte contre l'excision», déplorent les auteurs du rapport.
Enfin, malgré la prudence de l'OMS, qui a rappelé que la circoncision devait faire partie d'un ensemble complet de prévention, le CNS regrette la forte médiatisation qui en a fait «une solution miracle».
Accès aux ARV.
Le CNS insiste sur le renforcement de l'accès aux antirétroviraux, qui, outre leurs effets curatifs, permettent une réduction des risque de transmission du VIH importante, de 50 à 80 % au sein des couples sérodiscordants. Les politiques actuelles de prévention reposent sur des mesures qui permettent à chacun d'éviter de se contaminer : usage du préservatif ou abstinence. «La circoncision ne protégeant pas totalement de l'infection, elle ne peut être considérée comme un moyen de prévention indivi-duel», réaffirme le CNS. De plus les femmes ne sont pas protégées par ce moyen. «En tout état de cause, elles ne doivent pas accepter de rapport sans préservatif avec un homme sous prétexte qu'il est circoncis», est-il précisé.
Dans les pays du Nord, qui ne sont pourtant pas concernés, puisque les recommandations de l'OMS ne s'appliquent que dans les pays à forte prévalence, certains messages erronés circulent. A New York, un quotidien annonçait même l'organisation d'une campagne qui visait à encourager la circoncision chez les hommes à haut risque ; en France, certains jugent qu'il serait intéressant de réfléchir à une éventuelle recommandation pour les personnes qui sont amenées à voyager dans les pays à forte prévalence.
Le CNS rappelle que les résultats ont été obtenus dans le cadre de relations hétérosexuelles vaginales et que rien ne permet de les extrapoler aux relations entre hommes.
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