DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
L'INAUGURATION du site égyptien est une première à l'Anrs (Agence national de recherches sur le sida et les hépatites virales). Si l'agence compte déjà un réseau de sept sites dans les pays en développement (Côte d'Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, Cameroun, Vietnam, Cambodge et Brésil), celui qui vient d'être créé en Egypte est «le premier consacré essentiellement aux hépatites virales», a souligné le Pr Jean-François Delfraissy lors de la signature du protocole d'accord en présence du Dr Abd El-Hamid Omar Abaza, directeur général du Gothi (Organisation générale des hôpitaux et Institut d'enseignement).
Une situation inédite qui correspond au cas très particulier, voire unique, de l'Egypte. Considéré comme un pays de faible prévalence pour le VIH/sida – moins de 1 % selon les quelques données partielles disponibles –, le pays détient, avec plus 10 % de personnes infectées par le VHC, le record mondial de prévalence des hépatites C et la proportion de personnes touchées atteint les 45 % chez les plus de 40 ans dans certaines zones rurales. L'hépatite C est responsable de près de 18 000 morts par an, soit environ 60 % de la mortalité due à une maladie du foie. La prévalence des hépatites B est estimée à 4,5 %.
Soins collectifs contre la bilharziose.
Il a fallu attendre les années 1990 et l'identification moléculaire du VHC, et la mise au point de tests diagnostiques pour que soit reconnu le poids important du VHC en Egypte.
Les épidémiologistes ont alors clairement établi un lien entre les personnes traitées contre la bilharziose dans les années 1960 et l'émergence du VHC. «L'Egypte du temps de Nasser était le seul pays à pouvoir organiser une campagne de traitement de masse d'une maladie parasitaire endémique», raconte le Dr Arnaud Fontanet, de l'Institut Pasteur (Paris). L'objectif était d'éliminer cette schistosomiase, qui, déjà, sévissait dans l'Egypte des pharaons.
Un rapport de l'OMS de l'époque décrit parfaitement le déroulement des opérations : le traitement par le tartrate d'antimoine devait comporter de 12 à 16 injections par voie intraveineuse espacées d'une semaine. Près de 7 millions d'Egyptiens ont été traités à partir des années 1960 et jusqu'au milieu des années 1980. Autour de cuves d'eau chaude destinées à la stérilisation des seringues réutilisables, les injections se succédaient à vitesse soutenue. Tous les villageois des zones d'endémie étaient conviés à ces séances collectives, en particulier les enfants et les jeunes garçons qui étaient traités à l'école. «Toutes les conditions étaient réunies pour qu'un cercle vicieux s'installe. Imaginez un enfant contaminé lors d'une injection. Trois semaines plus tard, lorsqu'il reçoit de nouveau le traitement, il est en plein pic virémique et devient une source de contamination pour tous ceux qui le suivent», souligne le Dr Fontanet.
L'affaire fait grand bruit en Egypte, et plus encore lors de l'arrivée des traitements de l'hépatite C. Le Dr Fontanet est l'un des spécialistes français qui, dès 1999, décident de conjuguer leurs efforts avec ceux des spécialistes égyptiens pour lutter contre l'infection égyptienne. Avec le Dr Mostafa Kamal Mohamed, de l'université d'Ain Shams du Caire, et avec le soutien de l'Anrs, il réalise une étude de cohorte auprès de 4 000 villageois de Zawyat Razin, dans le delta du Nil. Le dépistage des anticorps anti-VHC confirme le rôle des campagnes contre la bilharziose dans le déclenchement de l'épidémie : 20 % des adultes sont infectés par le VHC et 50 % des 45-50 ans (environ 30 % chez les femmes peu scolarisées au moment des campagnes). Seulement 12 % des infections sont dues au traitement de la bilharziose des années 1970 ; l'infection s'est ensuite répandue dans la population à l'occasion d'injections intraveineuses – une pratique très appréciée par les Egyptiens –, de transfusions sanguines et d'actes chirurgicaux ou obstétricaux. Cependant, une partie des infections reste inexpliquée, en particulier celles qui touchent les enfants (au nombre de 47 dans la cohorte), pour lesquels aucun facteur de risque n'a pu être identifié. En revanche, «nous avons observé une tendance au regroupement familial des infections», souligne le Dr Fontanet. La contamination intrafamiliale, indirecte (même dentiste, circoncision) ou directe liée aux gestes de la vie quotidienne (échange de brosses à dents, de ciseaux), est une des hypothèses sur lesquelles travaillent les chercheurs.
Ils évoquent aussi l'existence d'une susceptibilité génétique. «Le séquençage des souches virales montre une forte concordance des souches entre enfants infectés dans la même famille (30 % des cas) . La concordance lorsque le père ou la mère est infecté avec la souche retrouvée chez l'enfant n'est plus que de 10%. Elle est quasiment nulle entre un père et une mère infectés», explique le Dr Fontanet. Les études se poursuivent pour tenter d'étudier les facteurs génétiques en cause. En cela, la situation égyptienne est unique. Les cas sont documentés et précis, ce qui va permettre de mieux cibler les recherches sur une zone précise de l'ADN des souches virales.
Traitement efficace à 60 %.
La cohorte villageoise a aussi permis de confirmer une autre particularité de l'épidémie de VHC en Egypte. Contrairement au Nord, où les génotypes 1, 2 ou 3 sont observés, la majorité des infections (90 %) sur les bords du Nil sont dues au génotype 4. Un essai thérapeutique a été proposé aux patients atteints d'infection chronique, lesquels ont bénéficié de l'association interféron pégylé alpha 2a et ribavirine. Les résultats, intermédiaires (60 % de réponses favorables après 48 semaines de traitement), comparés à ceux obtenus au Nord (40 % pour le génotype 1 et 80 % pour le génotype 2-3), sont en faveur d'une prise en charge thérapeutique de l'hépatite C chronique en Egypte.
La forte prévalence de l'hépatite C en Egypte offre aux chercheurs la possibilité d'étudier l'histoire naturelle de la maladie dès la phase aiguë de l'infection. La primo-infection de l'hépatite C est souvent asymptomatique et, «en Europe, nous avons peu l'occasion de la diagnostiquer», explique l'épidémiologiste de l'Institut Pasteur. A l'issue de cette phase, on sait que le système immunitaire élimine spontanément le virus dans 30 % des cas. Les 70 % restants évoluent vers une maladie chronique, silencieuse pendant de nombreuses années avant que n'apparaissent les complications.
Quels mécanismes immunologiques sont associés à la disparition «naturelle» du virus ? La réponse à cette question pourrait ouvrir la voie au développement d'un vaccin contre le VHC. Pour tenter d'y répondre, les Dr Fontanet et Mohamed ont cette fois mis en place une cohorte de 200 personnes recrutées dans deux « fever hospitals » du Caire. Construits par les Anglais au XIXe siècle sur le modèle de l'hôpital pavillonnaire, ce sont aujourd'hui des hôpitaux publics qui drainent des milliers de patients par jour. «Nous avons sensibilisé les praticiens pour qu'ils repèrent les patients atteints d'hépatite aiguë symptomatique», explique le Dr Mohamed. Depuis quatre ans, 250 patients ont ainsi été recrutés avec un taux de guérison spontanée de 40 %. L'étude a permis de montrer qu'un traitement court par interféron pégylé alpha 2a en monothérapie chez des patients qui, au bout de six mois, n'avaient pas éliminé le virus, pouvait être efficace. Après trois mois de traitement, 80 % des patients guérissent.
Accès au traitement.
Grâce à la création du site Anrs, dont la coordination a été confiée aux deux praticiens – le Dr Fontanet pour le Nord et le Dr Mostafa Kamal Mohamed pour le Sud –, la dynamique scientifique engagée va pouvoir être renforcée. Les études opérationnelles vont aider les choix stratégiques des autorités égyptiennes. Depuis six mois existe un comité de lutte contre le VHC dont l'action devrait être orientée autant vers la prévention que vers le traitement. Une campagne de sensibilisation vient d'être lancée auprès du grand public à la radio et par voie d'affiche. Elle sera suivie par une campagne de sensibilisation des médecins. «Dix centres de traitements dont deux au Caire devraient prochainement voir le jour», indique le Dr Mohamed. Quatre d'entre eux accueillent déjà des patients. Le problème essentiel demeure celui de l'accès au traitement. Un an de traitement revient environ à 25 000 livres égyptiennes (soit 3 700 euros). Un coût difficile à assumer pour un Egyptien, malgré l'existence d'un système de recouvrement. Le salaire moyen d'un instituteur est de 200 LE par mois et celui d'un jeune médecin travaillant dans un hôpital universitaire de 250 LE. Les prix ont déjà été divisés par trois par rapport aux prix européens et l'arrivée de génériques de l'interféron produits localement devrait, comme cela a été le cas pour les antirétroviraux, accentuer la baisse. Reste, comme l'a appelé de ses voeux le Pr Delfraissy, à impliquer les associations de patients, ce qui en Egypte est loin d'être une tradition.
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