SUPERLATIVEMENT défendues musicalement, ces deux oeuvres a priori non comparables et que deux siècles séparent, de proportions voisines (moins de deux heures et pouvant être données sans pause), viennent de subir des destins assez similaires à l'Opéra de Paris, confiées à deux metteurs en scène aux goûts excentriques.
Pour faire redécouvrir aux Parisiens « L'Allegro, Il Penseroso ed il Moderato » (1740) de Haendel (la dernière présentation à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées, signée Mark Morris, date de plus de dix ans), on a fait appel à William Christie et aux Arts florissants, dont c'est un des répertoires de prédilection, à un trio de solistes impressionnant dominé par la soprano Kate Royal et un soliste du choeur d'enfants de Tölz à la voix à faire attendrir le granite et un abattage scénique enviable, plus l'admirable choeur des Arts florissants installé aux deux premiers rangs de l'orchestre, surgissant de leurs sièges dans la semi-pénombre de la salle pour des interventions saisissantes.
En peu de mots, ce que l'on peut rêver de mieux aujourd'hui comme résultat musical et qui suffirait à soi seul à remplir une salle pendant de nombreuses semaines (le Ciel nous entende !…).
Le danseur-étoile Nicolas Le Riche, Yann Bridard, premier danseur très prometteur et la ravissante Alice Renavand, sujet de la troupe, ce n'est pas rien non plus. Robin Orlin, chorégraphe sud-africaine extravagante dans son art de brasser les genres, cela s'est avéré un peu trop…
L'image aujourd'hui envahit l'espace mental et vital de tout un chacun. Au point que l'on a l'impression – la saison courante est riche en exemples – que la réussite d'un spectacle passe par sa capacité de montrer au spectateur ce qu'il aime regarder à la télévision. Robin Orlin a fait danser de façon très fantaisiste et débonnaire ces merveilleux danseurs sur la scène et la caméra les a projetés sur un écran géant placé au-dessus de la scène, comme personnages intervenant dans un film, montrant son pays dans ce qu'il a de plus beau mais aussi de plus miséreux ainsi que les grandes catastrophes de ce début de siècle, bref un best of de l'actualité télévisée.
Ceux qui ont vu et aimé ce genre de travail chez Montalvo et Hervieu savent quelle jubilation il peut apporter quand il est utilisé au premier degré. Avec la prétention d'intervenir dans l'ordre du monde, c'est inutile et totalement irritant. L'oeuvre de Haendel possède en soi un argument qui est lisible dans le surtitrage (un degré supplémentaire de lecture dans cet écoeurant mille-feuille), pourquoi ne pas lui avoir fait confiance ? Et peut-on espérer qu'un spectateur puisse intégrer tant d'informations superposées en même temps ? Autant de questions laissées en suspens mais qui n'ont pas échappé au public de la première, qui a copieusement hué la chorégraphe et réservé un chaleureux accueil aux musiciens.
La soprano Angela Denoke dans les bras de King Kong (dr)Janacek chez King Kong.
Même impression de vacuité et de gâchis en sortant de « l'Affaire Makropoulos », de Janácek (1926), opéra au livret assez invraisemblable racontant la lassitude d'une femme ayant vécu 337 ans et subi des avatars divers. Adapté par le compositeur d'un « roman philosophique » de son compatriote, il n'en retient qu'une trame schématique et, privé de ses développements philosophiques, perd une grande partie de son intérêt. On enrage de voir que les moyens ont été réunis pour en faire, à l'occasion de sa création à l'Opéra de Paris, un véritable événement musical.
Le chef tchèque Tomas Hanus a dirigé le formidable orchestre maison dans ce dédale de climax dramatiques et de passages intimistes et la distribution réunissait d'excellents chanteurs, dont l'Américain David Kuebler, le Français Vincent Le Texier et, dans le rôle d'Emilia Marty, l'héroïne à la longévité prolongée par un élixir, la soprano allemand Angela Denoke, qui a donné un relief vocal à ce rôle éreintant, notamment dans son troisième acte qu'elle a chanté avec une intensité remarquable.
Déjà connus du public de l'Opéra pour leur « Iphigénie en Tauride » très décoiffante la saison dernière (voir « le Quotidien » du 19 juin 2006), le tandem Krzysztof Warlikowski et Malgorzata Szczesniak a concocté une mise en scène convoquant vidéo (King Kong, Marilyn Monroe et Gloria Swanson peuplent ouverture et intermèdes), un décor de villa hollywoodienne des années trente probablement très coûteux, un King Kong géant qui occupe tout le fond de la scène, tous les clichés et poncifs dont la scène de la robe de Marilyn sur la bouche de métro ad nauseam.
Tout cela s'intègre parfaitement et en fait un spectacle assez agréable à regarder avec des costumes magnifiques, mais n'éclaire pas sur le sens d'une oeuvre déjà handicapée par son livret. L'aspect spectaculaire des décors étant devenu une spécialité des spectacles lyriques présentés à Bastille, il est inutile d'insister sur le fait que cette « Affaire » a eu un grand succès public le soir de sa première.
Opéra de Paris : 0.892.89.90.90 et www.operadeparis.fr. (« l'Allegro », Palais-Garnier, les 7, 9 et 12 mai à 19 h 30), « l'Affaire Makropoulos », Opéra-Bastille, les 8, 11, 14, 16 et 18 mai à 20 h. Prix des places : de 5 à 130 euros.
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