SÉGOLÈNE ROYAL et ses amis ont bien compris les limites du rapprochement avec François Bayrou. Le débat de samedi dernier n'avait pas l'objectif illusoire d'un report des nombreuses voix centristes sur la gauche, mais de donner de Mme Royal et de M. Bayrou une image plus tolérante que celle de M. Sarkozy. Alors même que, de toute évidence, les points communs sont inexistants pour l'essentiel, c'est-à-dire l'emploi, le pouvoir d'achat et les retraites, les deux débatteurs ont rivalisé d'amabilités et d'humour. L'idée forte, c'est que «nous ne sommes pas en guerre civile». On aime à l'entendre dire et on souhaiterait que, pour le principe tout au moins, M. Sarkozy rejoigne cette démarche.
Violentes attaques.
Il a, il est vrai, quelques raisons, de ne pas prendre au mot ses adversaires. Car leurs sourires complices et leur apparente nonchalance n'ont pas réussi à masquer les violentes attaques qu'ils ont lancées et lancent encore contre M. Sarkozy. Il y a eu, à propos des pressions qu'il aurait exercées sur les médias pour que le débat Bayrou-Royal n'ait pas lieu, des accusations d'autant plus légères et d'autant plus délibérément mensongères que, en définitive, c'est plutôt le camp socialiste qui aurait exercé des pressions pour que le débat ait lieu, sans, par ailleurs, que le temps d'antenne ainsi accordé à Mme Royal ne soit compensé par un temps identique pour M. Sarkozy.
En outre, tout a été fait à gauche pour que la stratégie de M. Sarkozy, qui consistait à attirer les voix du Front national et qui a largement réussi, l'identifie comme un autre Le Pen ; tout a été inventé pour qu'il apparaisse comme un pourfendeur des libertés, des pauvres et des immigrés : tout a été dit pour qu'il assume le «bilan catastrophique» des gouvernements de M. Chirac.
Bien que l'on doive beaucoup pardonner au cours d'une campagne électorale, ces agressions multiples nous ont semblé, le plus souvent, fort discutables. Car elles masquent, dans un tableau favorable de la campagne de Ségolène, la faille grave qu'elle n'a pas comblée : elle n'a pas pu réformer le Parti socialiste. Certes, dans un tourbillon de décisions contradictoires, elle a réduit à néant le rôle des ténors du parti. On peut même dire que, dès lors qu'elle dit oui à peu près à tout le monde, il est impossible de deviner ce qu'elle fera si elle se hisse au pouvoir.
Mais l'avenir immédiat aurait paru plus clair aux électeurs si les socialistes avaient consenti d'abord à faire leur aggiornamento et démontré de la sorte qu'ils mettraient en oeuvre un mode de gouvernement modernisé. Il n'en est rien et cette passivité, presque intolérable dans une période de si grand changement, leur aura coûté beaucoup de voix, peut-être ce déplacement de deux ou trois millions de suffrages qui leur aurait assuré la victoire dès après le premier tour.
Si Mme Royal, par ailleurs extrêmement moderne, éclectique et insensible aux dogmes, ne l'a pas fait, c'est sans doute qu'elle ne s'y est pas cru autorisée : elle a besoin, au PS, des socialistes traditionnels, qui continuent à penser comme à l'époque de Léon Blum ; et elle a besoin de ces quelque 11 % de l'extrême gauche qui vont se reporter massivement sur son nom au second tour. Pourtant, il est démontré par le premier tour que l'extrême gauche et les Verts ont durement pâti du vote utile ; Mme Royal aurait pu songer, dans ces conditions, à finir le travail de sape engagé par Mitterrand contre le Parti communiste et qui a eu raison et de Georges Marchais et de Robert Hue et de Marie-George Buffet.
A notre avis, cette erreur de la gauche est, pour elle, la plus grave et risque de l'envoyer pour cinq ans dans l'opposition.
ON CHOISIRA UN CANDIDAT MALGRE CE QU'ON LUI REPROCHE
En revanche, M. Sarkozy n'a pas à rougir du bilan des gouvernements Chirac. Certes, le pouvoir, pendant cinq ans, a été affreusement impopulaire. Mais il ne l'a été que parce qu'il a engagé, avec un bonheur variable, des réformes essentielles, comme celle des retraites ou celle de l'assurance-maladie. M. Sarkozy veut montrer qu'il est différent de Chirac et c'est pourquoi il n'insiste pas trop sur ce qui a été accompli, par des gens, quelquefois, qui sont dans son équipe. Cela ne devrait pas l'empêcher de riposter sur ce point avec de bons arguments.
Le candidat UMP s'est bien gardé, entre les deux tours, d'élargir son audience en lançant des appels à la gauche. Si, comme Mme Royal, il demande aux bayrouistes de voter pour lui au second tour, il persévère aussi dans son effort de séduction de la droite extrême. Son algarade, brusque et inattendue, contre ce qui a survécu en France de mai 1968 est étrange pour un homme qui se réclame de Blum et de Jaurès. Quarante ans plus tard, mai 68 appartient aux historiens. C'est un événement, comme d'autres, que tous les Français doivent assumer collectivement.
Liquider mai 68 ?
Ce fut, certes, une semi-révolution, qui a causé beaucoup de désordre, mais qui a quand même débloqué les moeurs de la société française et permis d'augmenter massivement le pouvoir d'achat des salariés sans mettre en danger aucun des équilibres fondamentaux. La France n'en pouvait plus et il fallait lui rendre l'espoir. S'il est vrai que mai 68 a laissé de lourds vestiges comme le manque d'ardeur au travail, s'il est vrai que l'on en retrouve l'esprit dans les 35 heures et dans la consternante dégradation du civisme, ce ne fut pas un événement purement négatif.
On ne doute pas que M. Sarkozy soit de cet avis parce qu'il n'est pas assez borné pour ignorer les apports positifs de mai 68. On suppose donc qu'il continue à tenter de séduire les électeurs purement réactionnaires qui ne se réconcilieront jamais avec la « chienlit ». Et il en va de même pour cette référence, décidément tenace, au scrutin proportionnel, qui est l'antithèse du gaullisme et ne peut servir qu'à donner de l'espoir à tous les mouvements qui ne sont pas représentés à l'Assemblée, le Front national, bien sûr, mais aussi les formations minuscules de l'extrême gauche.
Comme nous l'avons écrit à plusieurs reprises, il n'existe pas de candidat idéal et nous devons voter en partie malgré ce qui ne nous convient pas dans les programmes, de gauche ou de droite. Ce qui emporte la décision, c'est ce qui semble le plus fort dans le credo d'un candidat.
Nous voudrions un gouvernement qui soit une synthèse, mâtinée d'un peu de ceux qui ont été éliminés. Comme c'est un rêve irréalisable, toute la responsabilité du résultat revient au choix des électeurs.
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