L'IMPORTANCE prise par l'utilisation des extraits de plantes a conduit plusieurs équipes d'anesthésistes à évaluer l'ampleur de cette pratique chez les patients candidats à la chirurgie. Aux Etats-Unis, ils sont consommés par 22 % de ces sujets (1). Au Canada, une étude fait état de 34 % en chirurgie ambulatoire (2). Nos voisins d'outre-Manche semblent moins férus de phytothérapie : les futurs opérés y sont, en effet, environ quatre fois moins nombreux (4,8 %) à se traiter par des plantes médicinales (3). En pédiatrie, la fréquence d'utilisation est de 12,8 % chez les enfants devant subir une intervention chirurgicale, d'après les résultats d'une étude américaine (4).
Dans notre pays, la situation est voisine de celle des Etats-Unis, avec un chiffre de 20 %, issu d'une enquête réalisée chez plus de 1 000 patients adultes vus en consultation d'anesthésie (5). Cependant, les données analysées concernent essentiellement l'automédication par des médicaments distribués en pharmacie. « De ce fait, nos résultats sous-estiment probablement très largement le problème», note le Pr Baillard. Il faut dire que «les patients vus en consultation d'anesthésie ne signalent pas spontanément la prise d'extraits de plantes, parce qu'ils considèrent que c'est de la médecine douce et qu'elle n'a strictement aucune interaction avec les médicaments». De leur côté, ne connaissant pas les plantes – à l'instar des autres médecins – (pas d'enseignement sur la phytothérapie dans le cursus médical), «les anesthésistes n'ont pas tendance à rechercher leur adhésion à une phytothérapie».
Plus de 12 000 plantes.
Le grand nombre de plantes médicinales (plus de 12 000 extraits identifiés en Chine), leur diversité en termes de concentration des principes actifs, ainsi que la complexité des préparations, «rendent difficile l'évaluation de la fréquence et, surtout, de la pertinence clinique des interactions avec la période péri-opératoire», explique le Pr Baillard. Certes, les données actuelles de la littérature concernant les interférences de la phytothérapie en anesthésie sont très faibles, mais il faut comprendre que les plantes médicinales sont des composés biochimiques actifs et, par conséquent, ont à la fois des effets bénéfiques et indésirables.
«Même si elle est rare, la morbi-mortalité associée à cette thérapeutique est réelle.» L'histoire du kava, retiré du marché français en 2002 en raison de sa toxicité hépatique, en est un exemple. Dans un article récent, une équipe de Hong Kong a constaté que «la prescription d'extraits de plantes était associée à des anomalies préopératoires, essentiellement des anomalies de la coagulation et quelques cas d'hypokaliémie, ayant nécessité des mesures correctrices ou modifications de protocole anesthésique dans deux cas» (6).
Inhibition de l'agrégation plaquettaire.
Plusieurs plantes sont reconnues comme pouvant interférer avec la période péri-opératoire. Certaines, comme l'ail, le gingko et le ginseng, inhibent l'agrégation plaquettaire. Cet effet est relativement faible, mais on peut imaginer que l'association à une héparine administrée en postopératoire en prévention de la thrombose majore le risque de saignement. A noter qu'un cas d'hématome médullaire spontané a été décrit chez un patient consommateur excessif d'ail (7). D'autres plantes, comme la valériane, peuvent interagir avec les agents anesthésiques. Sur la liste des médicaments à risque potentiel figurent également l'échinacée et le millepertuis, des inhibiteurs de l'activité du cytochrome P450, et l'éphédra, qui a les contre-indications et les effets indésirables de l'éphédrine, molécule bien connue des anesthésistes.
«Ces plantes méritent une attention particulière», estime le Pr Baillard, en saluant l'initiative de l'American Society of Anesthesiologists (ASA), qui a mis en ligne, sur son site Internet, des fiches d'information sur la phytothérapie et les suppléments diététiques à destination des patients, mais aussi des médecins. Une conférence d'experts français sur le thème « Interaction des médicaments et anesthésie » aura lieu prochainement. Elle devrait aboutir à l'élaboration de recommandations concernant la conduite à tenir chez les patients sous phytothérapie candidats à une anesthésie. En attendant, pour les auteurs de l'enquête française, les patients vus en consultation d'anesthésie devraient se voir proposer systématiquement un questionnaire «pour connaître les traitements à base d'extraits de plantes». Aujourd'hui, conclut le Pr Baillard, l'urgence est de réaliser des enquêtes de prévalence et d'incidence de la phytothérapie dans la spécialité.
(1) Tsen LC, Segal S, Pothier M, Bader AM. Anesthesiology 2000;93 148-51.
(2) Lennox PH, Henderson CL. Can J Anaesth 20030;50:21-5.
(3) Skinner CM, Rangasami J. Br J Anaesth 2002;89:792-5.
(4) Lin YC, Bioteau AB, Ferrari LR et al. J Clin Anesth 2004;16:4-6.
(5) Baillard C, Bianchi A, Gehan G et al. Ann Fr Anesth Reanim 2007;26:132-5.
(6) Lee A, Chui PT, Aun CS et al. Anesthesiology 2006;105:454-61.
(7) Rose KD, Croissant PD, Parliament CF et al. Neurosurgery 1990;26:880-2.
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