C'ÉTAIT l'une des mesures phares de la loi d'orientation sur le handicap. Selon son article 19, tout enfant handicapé ou malade «a le droit d'être inscrit dans l'établissement d'enseignement le plus proche de son domicile». Encouragée par les grandes associations, porteuse d'un grand espoir pour les parents, cette politique d'intégration en apparence généreuse semble susciter aujourd'hui de sérieux remous parmi les personnels concernés : médecins, personnels soignants, enseignants spécialisés… Fort d'une pétition signée par 1 200 personnes (dont près de la moitié d'enseignants), soutenu par quelques syndicats, mais pour le moment isolé du milieu associatif, un mouvement lancé par des médecins se met en place pour donner l'alerte sur l'absence de moyens et les conditions de sa mise en oeuvre concrète. «Nous sommes scandalisés, dit le Dr Pierre Rivière, pédopsychiatre et leader de ce collectif. Au nom de l'intégration dans des classes ordinaires, les moyens ne cessent en fait de diminuer.» Les griefs ne manquent pas : non-renouvellement massif de médecins scolaires, en première ligne pour les soins de ces enfants, suppression de postes d'enseignant spécialisé, perspectives de suppressions des Cliss (classe d'intégration scolaire spécialisée), mais aussi manque de qualification des auxiliaires de vie scolaire (AVS), censées accompagner l'intégration de l'enfant. «En maternelle, ce sont des EVS, emplois de vie scolaire, qui ne sont absolument pas formés à ça», précise le Dr Nathalie Serfaty, médecin en Camsp (centre d'action médico-sociale précoce). Ces contrats concernent en effet des personnes en grande difficulté de retour à l'emploi. Le collectif recueille le témoignage de situations particulièrement difficiles : violences, non-prise en compte des difficultés des enfants, dépressions des enseignants… Reçue au ministère de l'Education nationale en octobre dernier, la délégation conduite par le Dr Rivière s'est vue renvoyée aux moyens existants. «Nous avons eu l'impression que personne n'y croyait», témoigne le pédopsychiatre.
Des contre-indications.
Derrière la critique des moyens mis en oeuvre apparaît surtout une remise en cause de l'esprit de la loi, perçue comme idéologique et peu conforme aux besoins réels : «Si elle est bénéfique pour certains enfants, l'intégration est parfois contre-indiquée, explique Nathalie Serfaty. Pour beaucoup d'enfants autistes, par exemple, la classe ordinaire est un milieu aberrant où ils perdent tous leurs repères. Ils sont mieux dans des établissements spécialisés.» Et d'ajouter : «Les parents, qui considèrent la scolarisation comme un droit, se heurtent à de sérieuses déconvenues. Le recours à l'institution spécialisée est maintenant perçu comme un échec, y compris pour les enseignants, qui n'ont pas réussi à intégrer.»
Le collectif, attaché à la «souplesse» en matière d'accueil scolaire, dénonce ainsi les «effets pervers» d'un objectif de scolarisation à tout prix, qui culpabilise l'ensemble des acteurs, décourage l'enseignement spécialisé et finit par nier la différence. Le Dr Roger Salbreux, pédopsychiatre, met ainsi l'accent sur «le glissement sémantique» qui régit, selon lui, ces politiques. «De l'insertion, on est passé à l'intégration, puis à la scolarisation. Cela signifie que tout le monde est pareil. On nie la différence de l'enfant handicapé. Et le forcing scolaire n'est plus loin de s'apparenter à de la maltraitance.»
Sentiment de trahison, désillusion forte, inquiétude sourde quant à l'avenir de la prise en charge des enfants handicapés : bien qu'il soit cantonné pour le moment aux milieux médico-social et enseignant, sans grands moyens, le mouvement qui est en train de prendre forme entend aller plus loin et susciter une vaste prise de conscience, en ce temps de campagne électorale. Avec une profonde colère comme moteur d'action.
Pour signer la pétition : Dr P. Rivière, 16, impasse P.-Armangot, 94400 Vitry, rivierepierre@hotmail.com.
235 400 jeunes scolarisés
En 2005-2006, selon une étude de la Drees (Etudes et résultats, n° 564), 235 400 jeunes en situation de handicap ont été scolarisés. Les structures de l'Education nationale en ont accueilli 151 500, dont 69 % dans des classes ordinaires ou adaptées (scolarisation individuelle), et 31 % dans des classes dédiées aux handicapés (scolarisation collective). D'autre part, 76 300 relevaient d'établissements médico-éducatifs et hospitaliers (8 % à l'hôpital) et 7 600 de l'enseignement supérieur.
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