Le projet de canonisation du Pr Jérôme Lejeune

Un lobbying peu en odeur de sainteté

Publié le 25/03/2007
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«SAINT JÉRÔME LEJEUNE, priezpour nous!» Avant qu'une telle invocation n'entre dans la litanie des saints de l'Eglise catholique, des années, voire des dizaines d'années, de procédure se seront écoulées, à Paris, à Rome et à Saint-Wandrille. L'information n'en est pas moins abondamment relayée par les médias : «L'archevêché de Paris confirme le projet de béatification du PrLejeune», titre une dépêche d'agence. «En réalité, précise au “Quotidien” le père Joseph Choné, promoteur de la congrégation de la cause des saints du diocèse, à ce stade, MgrAndré Vingt-Trois, l'archevêque de Paris, ne s'est engagé à rien, dans ce projet, non de béatification, mais de canonisation, comme il convient de dire depuis les nouvelles règles instaurées en la matière par Jean-PaulII*.» Et les indiscrétions qui circulent actuellement enfreignent la tradition de confidentialité à laquelle sont très attachés les membres de la curie diocésaine. De là à dénoncer un lobbying des défenseurs de la cause, il n'y a qu'un pas que d'aucuns n'hésitent pas à franchir à l'archevêché.

Même chuchoté, le message est donc clair : certains engagements extrémistes des milieux antiavortement ne sauraient rallier la hiérarchie catholique, qui a même à coeur de s'en démarquer. Mgr Vingt-Trois ne tient pas à s'afficher en tant que prélat traditionnaliste et l'archevêque prend soin de souligner qu'une quinzaine d'autres causes sont en cours d'instruction dans sa juridiction diocésaine, très différentes les unes des autres, parmi lesquelles celle de Jacques Fesch, guillotiné en 1957 pour le meurtre d'un policier.

Jean Paul II et son « frère Jérôme ».

La procédure est cependant bel et bien engagée pour «faire monter sur les autels», comme on dit, le découvreur du gène de la trisomie 21, père de la cytogénétique et de la génétique moderne, président de l'Académie pontificale des sciences de la vie et du Conseil pontifical pour la santé, fondateur de l'association Laissez-les-vivre, qui lutta contre la légalisation de l'avortement et de la pilule abortive.

Jean Paul II était allé s'agenouiller en 1997 à Châlo-Saint-Mars (Essonne), à l'occasion des Journées mondiales de la jeunesse, devant la tombe de celui qu'il appelait son «frère Jérôme», décédé d'un cancer en 1994, à 68 ans.

«C'est MgrElio Sgreccia, président de l'Académie pontificale des sciences de la vie, et Jean Lafitte, vice-président, qui sont à l'origine du projet et qui l'ont annoncé aux membres de l'académie en février dernier», indique au « Quotidien » la veuve du Pr Lejeune, «très émue et très honorée», confie-t-elle.

En application de la constitution « Lumen Gentium » du concile Vatican II, sur l'appel à la sainteté, et des nouvelles procédures canoniques, c'est l'Association des amis du Pr Lejeune, agissant en tant qu'association de fidèles, qui a déposé la demande auprès de l'évêque du diocèse où est décédé le généticien, c'est-à-dire Paris. «C'est encore notre association qui a choisi un postulateur en la personne du père Jean-Charles Nault, prieur de l'abbaye bénédictine de Saint-Wandrille» (Seine-Saint-Denis), précise Maïté Varaut, sa présidente.

Il appartient à Mgr Vingt-Trois d'approuver le mandat de ce religieux pour qu'il étudie « la renommée de sainteté » de Jérôme Lejeune, au regard des vertus dites théologales (la foi, l'espérance et la charité) et des vertus cardinales (la prudence, la tempérance, la force et la justice), en analysant l'importante documentation constituée par la veuve du Pr Lejeune (articles et publications scientifiques et autres, manuscrits et correspondances divers). Des témoins seront ensuite auditionnés par une commission de trois membres qui en référeront à l'archevêque de Paris.

C'est ensuite la congrégation romaine des causes des saints qui statuera, délivrant son nihil obstat. La cause reviendra alors à Paris, où elle sera soumise à l'appréciation des évêques de la région apostolique (Créteil, Nanterre, Saint-Denis, Pontoise, Versailles et Meaux). Au final, l'ensemble des travaux seront soumis au pape, en vue d'une éventuelle décision de canonisation qui lui revient.

A elles seules, les procédures romaines exigent, selon le père Choné, un délai d'au moins cinq ans. Mais la volonté de «ne pas se laisser prendre par le lobbying» de certains amis du Pr Lejeune risque d'allonger encore les délais.

«Notre association n'est nullement à l'origine des informations divulguées sur le projet de canonisation, proteste pour sa part Mme Varaut, qui fait état de «fuites survenues sur le site Internet d'un journal argentin. Le PrLejeune compte un très grand nombre d'amis de par le monde, ajoute-t-elle, et il ne faut donc pas s'étonner de la médiatisation à laquelle nous assistons.» Interrogée sur le risque de relancer à cette occasion de violents affrontements entre opposants et partisans de l'avortement, la présidente de l'association convient que «la personnalité de Jérôme Lejeune ne fait pas l'unanimité, et souligne que, pour sa part, il ne s'est jamais enchaîné lui-même aux grilles des hôpitaux. Il serait dommage d'occulter son oeuvre scientifique et son engagement humaniste à cause de certaines actions incontrôlées qui ne sont pas de son fait. Et l'Eglise ne pourra pas faire l'économie d'une mise au point à ce sujet.» Une manière de mise au pied du mur qui sera diversement appréciée.

* La béatification est la première étape dans la procédure de canonisation.

> CHRISTIAN DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8133