COMMENT EXPOSER Praxitèle, alors que la quasi-totalité de ses oeuvres a disparu au cours des siècles ? C'est le défi qu'ont relevé Alain Pasquier et Jean-Luc Martinez, deux conservateurs du Louvre. L'exposition qu'ils proposent, scientifique et didactique, permet d'aller sur les traces de Praxitèle en dévoilant, autant que faire se peut, des bronzes et des marbres que l'on identifie à la manière du maître, c'est-à-dire conformes à son style, mais également des reproductions et des imitations plus ou moins fidèles, voire des divagations réalisées au fil des siècles par d'autres sculpteurs. Praxitèle retrouvé, copié, imité, rêvé, éclairé : telles sont les grandes étapes de l'exposition, qui correspondent chacune à une période de l'histoire où l'influence de l'artiste se fit sentir.
On connaît mal la biographie de Praxitèle. On sait seulement qu'il est originaire d'Athènes et qu'il aurait vécu entre 400 et 330 avant J.-C. L'exposition s'ouvre sur un inventaire des originaux. Il ne s'agit pas d'oeuvres réalisées par Praxitèle lui-même, mais par ses contemporains ou par les élèves de son atelier. On remarquera beaucoup de bases portant sa signature mais dépourvues des statues qui y figuraient et des oeuvres marquées par le style du grand sculpteur : le bas-relief de la plaque de Mantinée et la tête (très abîmée, mais non moins majestueuse) d'Artémis Brauronia.
Les Romains firent preuve d'un fort engouement pour l'oeuvre du sculpteur athénien et, grâce à eux, de nombreuses répliques de ses sculptures peuvent être admirées aujourd'hui. Trois types de statues conservent le souvenir des créations attribuées à Praxitèle : « l'Aphrodite » de Cnide, la première représentation de femme nue dans l'histoire de la statuaire, l'« Apollon Sauroctone » (le dieu est représenté sous les traits d'un adolescent tueur de lézards) et le « Satyre au repos ».
Un mystère, un mythe.
Pendant six siècles (du IIIe siècle avant J.-C. au IIIe après), Praxitèle fut le modèle majeur de l'art romain et hellénistique. On le copia, on s'en inspira, on le réinterpréta, on le recréa, on le « classicisa », à tel point que le style dit « praxitélisant » incarna un courant de la sculpture antique. La manière gracieuse qu'avait l'artiste de sculpter un visage, le drapé d'une étoffe, le déhanchement d'un corps, fut assimilée à un idéal de beauté, à l'incarnation même de l'art grec. Les artistes développèrent à l'envi les réalisations du maître, dans des oeuvres telles que la Diane de Gabies, l'Eros de Centocelle, l'Apollino.Sous la Renaissance, puis le Grand Siècle, on fantasma comme jamais sur les oeuvres de Praxitèle. Les maniéristes, les classiques, les néo-classiques, les académiques actualisèrent et s'approprièrent le style praxitélisant, ou restaurèrent certaines de ses oeuvres, parfois audacieusement, voire abusivement. L'exposition aborde le thème du « Praxitèle incompris », illustré par un Apollon à la lyre de Caccini (XVIe) crée à partir d'un torse du type de l'Apollon Sauroctone ou par une Vénus du type de l'Aphrodite de Cnide, sculptée par Primatice, qui ne savait rien de Praxitèle. C'est au XVIIIe que l'on se mit vraiment à s'intéresser au sculpteur grec et à initier des recherches le concernant.
Le « cas Praxitèle », sa vie, son oeuvre, ses réalisations, ses attributions, font toujours débat. Pour preuve, le colossal et superbe bronze du « Satyre de Mazara » qui fut retrouvé en 1997 en Sicile et qui clôt l'exposition. Cette statue n'est pas de Praxitèle, mais certains chercheurs y voient une référence à un « Satyre en extase » de Praxitèle.
La rareté des oeuvres de Praxitèle contribue largement à renforcer le mystère qui entoure le sculpteur et à faire de lui un mythe. L'intérêt de l'exposition est dans son souci d'analyser ce phénomène au moyen de nombreux cartels et panneaux explicatifs. Ainsi nous entraîne-t-elle à la fois dans la légende et dans l'Histoire, dans le rêve et la réalité.
Musée du Louvre, tél. 01.40.20.53.17. Tlj sauf mardi, de 9 h à 18 h (mercredi et vendredi jusqu'à 22 h). Entrée 9,50 euros. Jusqu'au 18 juin.
A lire : – Catalogue de l'exposition, par Alain Pasquier et Jean-Luc Martinez, co-édition Somogy-Louvre, 456 p., 39 euros. – « 100 Chefs-d'oeuvre de la sculpture grecque au Louvre », par Alain Pasquier et Jean-Luc Martinez, co-éditions Somogy-Louvre, 25 euros. – Pour les enfants : « La Grèce antique, une terre de légende », par Juliette Becq, co-édition Hachette Jeunesse-Louvre, 49 p., 14,50 euros. – « Praxitèle », de Jackie Pigeaud, éd. Dilecta, 60 p., 16 euros.
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