C'est une affaire entendue, la France n'a jamais eu autant de médecins, et le problème de la démographie médicale française n'est pas tant celui de leur nombre que de leur répartition. Il n'empêche que, depuis plusieurs années, le maillage médical hexagonal se distend sérieusement, laissant apparaître des trous qui constituent autant de coups de canif au sacro-saint principe de l'égalité d'accès aux soins. D'autant que, si les médecins restent nombreux en France, ils n'exercent pas tous en libéral, loin s'en faut. A partir des statistiques de l'Ordre, « le Quotidien » avait mis en évidence (édition du 2 juin 2004) que, si 55 % des médecins installés exerçaient en ville en 2003, seulement 31 % des nouveaux médecins avaient fait ce choix au cours de la même année. Preuve d'une réelle désaffection des jeunes médecins pour l'exercice libéral.
D'après les résultats d'une étude réalisée par EMS (European Marketing Service, société notamment spécialisée dans l'évaluation de la cohérence entre la disparité de la demande et de l'offre médicales), environ 170 communes françaises seraient aujourd'hui dépourvues de médecin. Certes, parmi elles, il s'en trouve qui n'ont que 438 habitants, comme Rieucros dans l'Ariège. Mais il s'en trouve d'autres, comme Prévessin-Moëns dans l'Ain, qui comptent 5 600 habitants, sans qu'un seul généraliste exerce dans la commune. Rocquencourt, dans les Yvelines, est dans la même situation, avec tout de même près de 3 500 habitants. Ou encore Ville-di-Pietrabugno, en Haute-Corse, environ 3 000 habitants au compteur. Sans oublier Tavaux, dans le Jura : zéro généraliste, malgré ses 4 500 habitants. Plus frappant encore, 23 départements français ont au moins 3 communes sans médecin, un taux qui monte à 7 pour les Pyrénées-Atlantiques, à 8 pour l'Isère, et à 9 pour la Gironde.

Dans les communes rurales, les personnes âgées souffrent particulièrement de l'absence du généraliste (AFP)
Au-delà de l'accident de parcours.
L'absence d'un généraliste dans une petite ville peut n'être qu'un accident de parcours, et ne pas révéler une pénurie de médecins, d'autant que certaines villes en jouxtent parfois une autre qui dispose de médecins. Mais, souvent, le problème est bien réel. A Prévessin-Moëns, dans le département de l'Ain, l'adjointe au maire chargée des services sociaux reconnaît qu'il y a «un problème». «Nous n'avons pas de médecin généraliste depuis au moins deux ans, même si nous disposons, grâce à l'hôpital local, de plusieurs spécialistes qui viennent une fois par semaine faire des vacations.»
Si bien que, pour aller voir un généraliste, les habitants de Prévessin-Moëns sont contraints de se rendre jusqu'à la ville voisine de Ferney-Voltaire, à la limite de la frontière suisse. «Pour certains, cela ne pose pas de problème, ajoute l'adjointe au maire. Mais, pour les personnes âgées, il faut faire jouer la solidarité, même si la mairie peut parfois les prendre en charge à cette occasion.» Quant à la question de savoir si la mairie tente de réinstaller un médecin sur le territoire communal, elle recueille une réponse empreinte de fatalisme : «Vous savez, dans les communes rurales, tout disparaît, les services publics, les écoles, les médecins. C'est vrai qu'il n'y a plus de médecin, mais on n'y peut pas grand-chose.»
Même tonalité à Tavaux, dans le Jura (4 500 habitants). A l'accueil téléphonique de la mairie, une femme confirme l'absence totale de médecin généraliste sur la commune : «Avant, il y avait une femme médecin, mais elle n'a pas tenu le coup et elle est partie il y a environ trois ans.»
Et comme à Prévessin-Moëns, les patients sont priés d'aller au groupe médical de la commune voisine, Damparis. Seule consolation pour la municipalité : le démarrage de la construction sur le territoire communal d'un Ehpad (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) d'une capacité de 60 personnes. «Il faudra bien qu'il y ait un médecin généraliste pour tous ces vieux», prophétise-t-elle.
Dernier exemple à Rocquencourt, dans les Yvelines, 3 500 habitants et pas un seul médecin généraliste. La personne qui décroche lorsqu'on appelle au téléphone la mairie semble bien au courant des problèmes de démographie médicale de la ville : «C'est vrai qu'il n'y a plus de généraliste depuis des années», regrette-t-elle. Et même si les communes du Chesnay, de La Celle-Saint-Cloud et de Versailles ne sont guère éloignées, «nous avons souvent des difficultés à faire venir les médecins de ces autres localités chez nous, quand il s'agit par exemple de faire une visite chez une personne âgée qui ne peut se déplacer. Mais les plus gros problèmes, c'est le week-end que nous les rencontrons, car il ne reste que SOS-Médecins. Tous les autres refusent de se déplacer».
Une pénurie médicale à comparer à d'autres régions de France où l'offre de soins excède manifestement la demande, comme à Cagnes-sur-Mer, dans les Alpes-Maritimes, où, selon les chiffres d'EMS, la densité médicale est d'environ 4 médecins pour 1 000 habitants.
Des praticiens vieillissants.
Ce problème de démographie médicale est d'autant plus préoccupant que s'y ajoute celui de l'âge des médecins encore en exercice, et celui du vieillissement de la population, comme le rappelle Roger Rémery, président d'EMS. Dans certaines villes de France, un tiers des médecins en exercice aura atteint l'âge de la retraite dans les dix prochaines années, alors que, dans le même temps, la population vit de plus en plus longtemps, entraînant un accroissement de la demande de soins. Bien sûr, le numerus clausus est revu à la hausse depuis quelques années (il était à 4 100 en 2001 et est passé à 7 000 en 2006), mais il faudra encore une bonne dizaine d'années pour que les effets de cette politique se fassent sentir. Heureusement, ajoute Roger Rémery, «le rôle du médecin évolue et continuera à évoluer sous la pression démographique. Dans le passé, le généraliste passait beaucoup de temps à prendre le pouls et la tension du patient. Tout ça, c'est terminé. De la même manière, dans beaucoup d'affections de longue durée, comme le diabète, le patient se prend désormais lui-même en charge pour des opérations de suivi et de contrôle. Ce qui contribue à modifier la demande de soins». Sauf que, dans le même temps, le vieillissement de la population entraîne de nouveaux besoins médicaux. «Il faut repenser les métiers et mieux déléguer les compétences, conclut Roger Rémery. Le problème, c'est que les enseignements dispensés sont toujours en retard d'une évolution.»
Les cartographies ne se recoupent pas toujours
Les chiffres d'EMS sur les villes privées de médecin généraliste ne sont pas toujours recoupés par la cartographie des zones déficitaires en offre de soins réalisée par les missions régionales de santé (MRS). Pourtant, les chiffres d'EMS semblent crédibles, à l'aune des recoupements auxquels « le Quotidien » a procédé. Dans les Yvelines, par exemple, la ville de Rocquencourt ne figure pas sur la carte « MRS » des zones déficitaires en offre de soins. Pourtant, cette localité de 3 500 habitants ne dispose d'aucun médecin généraliste. L'explication vient sans doute du fait que la cartographie des missions régionales de santé ne prend pas en compte la commune comme unité de base, mais plutôt le « territoire » ou le « bassin de vie ». Des entités à géométrie variable dont les contours peuvent tout aussi bien épouser les limites d'une ville que celles de plusieurs communes, voire d'un canton. Pourtant, la circulaire Dhos-Uncam du 14 janvier 2005, qui fixe les conditions d'éligibilité d'un territoire à la qualification de zone déficitaire en offre de soins, précise que ces territoires peuvent être pris en compte dès lors qu'ils hébergent une population égale ou supérieure à 1 500 habitants. Mais il est vrai que cette cartographie a été jugée trop restrictive et que le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, a demandé aux missions régionales de santé de revoir leur copie.
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