SI ON AJOUTE la crise d'Airbus à celle d'Alcatel-Lucent, le tableau social dans les grandes entreprises est tout simplement sinistre. Ce qui ne risque pas de rendre plus populaire la droite au pouvoir. Dans le cas d'Alcatel, société si prospère qu'elle allait absorber une grande firme américaine, c'est tout le contraire qui s'est produit : le Français est phagocyté par l'Américain. Il y a des milliers de licenciements sur les deux rives de l'Atlantique, et on peut se demander à quoi rime cette « fusion » d'entreprises si elle ne présente que des inconvénients.
La faute de l'Etat.
Mais au moins l'Etat français n'est-il pas responsable de cette tragique opération. Le gouvernement, vaillamment, est même intervenu pour qu'Alcatel limite ou même annule les licenciements prévus ; il se peut qu'il soit entendu, comme il l'a été de Hewlett-Packard, sur lequel il a exercé d'assez fortes pressions pour que le géant américain renonce à une partie des suppressions d'emplois qu'il avait envisagées en France.
Pour Airbus, en revanche, l'Etat est le principal fautif. Les mesures draconiennes qui ont été annoncées mercredi résultent de plusieurs causes : un directoire franco-allemand dont la logique relève davantage du souci de répartition des retombées économiques et sociales entre les différents pays associés à la construction des avions que d'une logique d'entreprise ; un projet, celui de l'A380, qui a été présenté aux Français éblouis comme un nouveau Concorde dont le succès commercial serait cette fois assuré, grâce à une technologie inégalée. Sauf que l'avion géant a été conçu dans une précipitation excessive, ce qui a entraîné des problèmes de câblage, lesquels ont retardé les dates de livraison qui, à leur tour, ont causé un préjudice aux clients d'Airbus. Les mêmes retards se traduisent par des recettes différées dont Airbus avait besoin dans l'immédiat, d'où un « trou » de cinq milliards d'euros qui a conduit les dirigeants de la firme à licencier, à vendre ou à fermer des sites, à réduire le nombre de sous-traitants. Une gloire de la technologie française qui jette dix mille foyers (et sans doute beaucoup plus avec les sous-traitants) dans la détresse. Une catastrophe sociale.
L'affaire Gergorin.
Dans l'affaire d'Alcatel, on peut, une fois encore, incriminer la mondialisation. Pas dans celle d'Airbus où les erreurs se sont accumulées de telle manière qu'on se pose des questions sur l'ancienne équipe dirigeante, dont un fleuron n'était autre que Jean-Louis Gergorin. Il s'occupait tellement peu d'Eads, dont il était vice-président, qu'il passait son temps à écrire des lettres anonymes mettant en cause Nicolas Sarkozy. On croit rêver.
Hélas, si ce n'est pas la mondialisation, c'est l'Europe. Airbus a été jusqu'à présent une formidable réussite européenne ; certes, les dissensions entre les diverses nationalités – notamment entre Français et Allemands – étaient connues, mais elles n'ont pas empêché Airbus de devenir en 2000 le premier constructeur aéronautique du monde, devant Boeing. Et de garder cette place quelques années encore, jusqu'au lancement du projet A380.
INGERENCE DES ETATS, INCOMPETENCE, QUERELLES EUROPEENNES EXPLIQUENT LA CATASTROPHE
On nous dit : des retards de livraison, il y en a souvent ; et Boeing lui-même, au cours de son existence, a passé de bien mauvais quarts d'heure. On ne peut pas se laisser convaincre par un tel argument. Une erreur stratégique qui se traduit par dix mille licenciements dans un secteur de pointe où il ne peut y avoir qu'une ou deux grandes sociétés mondiales, personne n'a le droit de la commettre. Poussée jusqu'à un certain degré, l'incompétence devient criminelle. Et franchement, on est solidaire des familles concernées par cette crise ; car elle aurait pu être évitée si Airbus avait été complètement indépendant des gouvernements qui en avaient fait le symbole de leur politique économique.
De l'incompétence à l'ingérence.
Ce n'est pas la réunion des énergies européennes qui est en cause ; c'est la réunion des bureaucraties et l'ingérence des Etats dans le fonctionnement d'une entreprise. On n'oublie tout de même pas que l'ancien P-DG d'Airbus, Noël Forgeard, a été placé à la tête d'Eads, la société mère, par Jacques Chirac, ni qu'il est parti en juillet dernier avec quelques millions d'euros, ni qu'il a vendu des parts dans Eads juste avant la crise de l'A380, ni que, en remerciement de tous les bienfaits qu'il a retirés de sa nomination comme coprésident du conglomérat européen, il n'a pu fournir qu'un plan si mal conçu que 10 000 personnes, aujourd'hui, en font les frais.
Nous n'avons aucune raison de nous montrer indulgents pour le gouvernement qui a participé à cette déconfiture, pour les dirigeants qui ont trahi l'entreprise en la gérant de travers, pour tous ceux qui auront, en définitive, donné une très mauvaise réputation à un projet européen magnifique : incapables de le mener à bien, ils ont fait en sorte qu'il s'effondre comme un énorme château de cartes sur les salariés qui l'ont si bien servi.
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