SI L'EXPRESSION «inventaire à la Prévert» n'était pas aussi galvaudée, nous serions vraiment tentés de l'utiliser. En tout cas, en partant de l'apparemment bénin, il y a l'univers de l'imitation, reproduction, piratage, contrefaçons, essaimant et triomphant, effaçant souvent la diminution du vrai et du faux. «Prenez, dit l'auteur, n'importe quel produit de n'importe quelle industrie, il aura vraisemblablement été copié à un moment ou à un autre.»
On trouve ainsi dans les marchés parallèles livres et DVD pirates, logiciels Microsoft, faux accessoires Gucci, Chanel ou LVMH, mais aussi voitures, motos et chaussures de sport, montres, raquettes de tennis, etc.
Les clients qui achètent des copies ne risquent pas grand chose, sinon rien. A l'origine de ces commerces, il y a pourtant un vol : d'une marque, d'une création, et plus philosophiquement d'une idée appartenant à quelqu'un. Non seulement les sanctions sont faibles, voire inexistantes, sur ces marchés, mais dans beaucoup de villes du monde, on sait exactement où et à quel prix on peut acheter des contrefaçons, tel Canal Street dans le Chinatown de New York, dit l'auteur qui semble bien connaître le sujet.
On sourit un peu moins lorsqu'il s'agit de contrefaçons de médicaments, tels des placebos de Viagra pour internautes naïfs. Si on séjourne longuement dans ce marché du faux, on est amené à contredire ce leader d'extrême droite (nous n'arrivons plus à retrouver son nom) qui affirme régulièrement que tout le monde préfère l'original à la copie.
Délaissons l'accessoire, remarquons de manière générale que tout ce qui a une valeur commerciale est l'objet d'un commerce illégal, peut-être acheté par des voies obliques : cela va du préservatif aux composants pour la fabrication d'armes nucléaires...
Comment un commerce illicite peut-il en permanence violer les lois, les règlements, les frontières, les taxes, les embargos et... la morale ? On aurait tort de croire que ces transactions qui brassent des centaines de milliards de dollars se font dans le plus grand secret. L'auteur montre qu'il y a toute une zone grise où se mêlent la norme et l'interdit : transferts de fonds légaux ou argent douteux blanchi ? Telle usine aux Philippines ou au Paraguay mêle dans ses livraisons médicaments, drogue et armes. Ailleurs, des caisses de métamphétamines et de lunettes militaires peuvent très bien voyager avec des poissons surgelés et des pamplemousses.
Dans certains pays, d'honorables personnalités sont à l'origine de très importants trafics cachés sous des fonctions officielles.
Il faut bien ajouter la manière dont cette criminalité devient planétaire : bateau nommé « BBC China » se dirigeant vers la Libye après avoir chargé des armes à Dubai, trajet assuré par un courtier italien agissant pour le compte du très respecté pakistanais Abdul Qadir Khan. Nait ainsi, selon M. Naim, l'ère du crime mondialisé, notamment grâce à Internet, un outil qui non seulement assure la rapidité des commandes, mais permet de constituer de nouveaux crimes. Par exemple, dès que se constitue une liste d'espèces animales protégées, s'établit aussitôt sur la Toile le marché de ces mêmes espèces.
Une puissance politique.
La thèse centrale du livre est que le crime mondialisé, loin de constituer l'envers douteux de l'économie, s'est transformé en puissance politique à partir des années 1990, on a vu s'affaiblir dans le monde toutes les institutions chargées de lutter contre le crime. C'est ainsi que les frontières sont aujourd'hui en pente douce pour les trafiquants qui ont les clefs pour les franchir. En revanche, leur législation complexe paralyse ceux qui doivent assurer leur fonctionnement. En voilà une nouvelle révolution copernicienne !
Une mention de déshonneur est attribuée au cours de l'ouvrage à la traite des êtres humains et à la fourmillante organisation qui l'appréhende. L'esclavage en particulier est plus vivant que jamais, 4 millions d'individus au moins, pour la plupart des femmes et des enfants, pour une valeur estimée de 70 à 100 milliards de dollars, en sont victimes chaque année. Les filières couvrent le monde entier, mais l'ancienne Union soviétique, l'Asie du Sud-Est et l'Europe sont les zones les plus actives. Environ 30 millions de femmes et d'enfants ont été captés par ce trafic dans les dix dernières années, le business de la prostitution vient en bonne place, juste après la drogue.
Dans ce cas précis, l'auteur détaille avec précision l'armée et les réseaux de recruteurs rabatteurs, racketteurs, chercheurs de planque, chargés de fournir rapidement de la chair humaine. Là encore, la technologie (Internet, messages radiocryptés) permet d'avoir de l'avance sur d'éventuels poursuivants.
De tristes histoires émaillent ce dossier, celles du désespoir et de la dérision. En Albanie, des parents échangent leurs enfants contre des postes de télévision. Au Cambodge, des jeunes filles libérées d'un bordel y retournent volontairement l'année d'après. Elles n'avaient rien trouvé de mieux.
Au-delà d'une indignation légitime, mais considérée comme totalement stérile, Moisés Naim débusque un mal : la faillite de l'Etat dans beaucoup de pays du monde. Un Etat trop compromis dans la mondialisation pour en voir la face obscure.
« Le Livre noir de l'économie mondiale », de Moisés Naim, traduit de l'anglais par Simone Arous, éd. Grasset, 385 p., 19,90 euros.
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