BERNARD DUTANT n’a pas connu l’arrivée des trithérapies. Atteint du sida, il est mort en 1990. Mais de sa rencontre, il y a quinze ans, avec Marie de Hennezel, est née l’association qui porte aujourd’hui son nom*. Appelée à son chevet, alors qu’il était hospitalisé pour une toxoplasmose et avait déjà tenté par deux fois de mettre fin à ses jours, la psychothérapeute témoigne : «Aucun de mes patients, jusque-là, ne m’avait entraînée aussi loin dans cette exploration consciente de nos forces physiques. J’ai découvert, grâce à lui, que la pensée de la mort n’empêche pas de vivre, au contraire... Une vie menacée peut être une vie créatrice.»
Peu de temps avant son décès, Bernard Dutant émet le voeu qu’un espace de «ressourcement» soit créé pour aider les personnes touchées à retrouver leurs forces profondes et faire face à la maladie, à ses angoisses, à ses souffrances. L’association voit le jour en 1992. Se forge peu à peu cette nouvelle approche de l’accompagnement : «C’était un pari fou que d’oser proposer des outils de ressourcement à des personnes que l’on disait sans avenir», rappelle Jean-Louis Terrangle, un des cofondateurs, psychothérapeute lui aussi.
Les premières marches silencieuses, en groupe, sont organisées, dans le désert, dans des endroits célèbres pour leur beauté et la force de leurs paysages, «pour ne pas rester seul, se sentir porter par les autres».
Un choix symbolique.
En 1996, la mort s’éloigne. L’effet « Lazare » des premiers traitements transforme les rituels de deuil. L’actuel secrétaire général de l’association explique comment l’idée d’une marche annuelle à Saint-Jacques-de-Compostelle a germé, un dimanche de janvier 1996 : «Partir, se mettre en route comme tant d’autres l’avaient fait, avancer dans l’inconnu mais en étant guidé par une tradition, indépendamment de toute religion: cela résonnait bien avec ce que je vivais en 1996, et donc avec ce que vivaient tous les malades du sida, faire le deuil du deuil.»
Un tel choix a de quoi surprendre pour une association qui se veut laïque et ouverte à tous, croyants ou non croyants. Avant tout symbolique, il cherche à renouer avec une tradition spirituelle ancienne : «L’histoire du chemin de Saint-Jacques est jalonnée par l’histoire des épidémies», souligne le Dr Mathilde Poirson. Le rendez-vous était donc inévitable. Et puis, aux yeux de la présidente, laïcité et spiritualité ne sont pas incompatibles. La mort reste une épée de Damoclès qui invite à aller à l’essentiel. «C’est bien la maladie, épreuve ultime qui nous a poussés à interroger notre tradition», assure le Dr Poirson, celle des pèlerins pour qui la façon de faire le chemin est plus importante que le but. «Il a fallu sortir des chemins balisés, habituels, conventionnels de l’accompagnement» parce que les approches médicales, psychologiques et sociales, indispensables, ne peuvent suffire et répondre à tout. Marcher, cheminer ensemble, dans le silence d’abord, pour retrouver la valeur de parole et des gestes, ils sont 77, malades, personnes concernées par le virus ou bénévoles, à en avoir fait l’expérience depuis dix ans. Trente-neuf d’entre eux ont accepté de témoigner dans un ouvrage intitulé « Sur le chemin du coeur pour un pas de plus » (l’Harmattan, 249 pages, 21,50 euros).
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