LA MORT MATERNELLE (décès pendant la grossesse, lors de l’accouchement ou dans les semaines qui suivent celui-ci) est le révélateur de la condition qui est faite aux femmes et de la manière dont les connaissances et la qualité des soins obstétricaux bénéficient à la population. En France, le phénomène était largement ignoré avant 1980, en dépit de quelques études hospitalières et d’une synthèse nationale. A la suite de données européennes montrant que les morts maternelles sont nettement plus nombreuses en France que dans les autres pays de l’Union européenne de l’époque, une surveillance épidémiologique régulière, nationale, a été mise en place, avec la création, en 1996, d’un comité national d’experts sur la mortalité maternelle (Cnemm), présidé par le Pr Gérard Lévy.
Le bilan de la période 1996-2002, publié dans le « BEH » n° 50, a été réalisé à partir des données de l’état civil et de l’enquête confidentielle sur les morts maternelles. Celle-ci est confiée au Cnemm, en particulier à l’équipe Inserm U149 de Marie-Hélène Bouvier-Colle, qui, à la suite du signalement anonyme des décès adressé par le CépiDc, est chargée de consulter les dossiers sur place ; les causes et le caractère « évitable » ou non sont ensuite analysés en séance plénière par les experts du Cnemm.
De 75 à 80 décès par an.
Le taux de mortalité maternelle peut ainsi être estimé entre 9 et 13 décès pour 100 000 naissances vivantes. Soit, chaque année, 70 à 80 femmes qui décèdent de leur grossesse ou de ses suites.
Après une nette diminution entre 1996 et 2000, l’évolution récente est moins favorable, avec un renversement de tendance observé à partir de 2001. «L’événement peut être considéré comme rare. Il l’est bien entendu, si l’on se tourne vers les pays en développement où le taux de mortalité maternelle peut atteindre 500 pour 100000naissances. Mais il est encore beaucoup trop fréquent lorsque l’on constate que la France est mal située parmi ses voisins européens et, surtout, que l’on sait aujourd’hui que la moitié de ces décès sont évitables», commente Renée Pomarède (Institut de veille sanitaire) dans son éditorial. La France fait partie des pays européens à taux élevés derrière l’Espagne, l’Autriche, la Norvège, l’Allemagne, le Portugal, l’Irlande ou la Finlande (6 pour 100 000). Mais, surtout, elle se différencie en étant le seul pays européen où les hémorragies constituent la première cause de mortalité maternelle.
Au cours de la période 1999-2001, elles ont été responsables de 21 % des décès, suivies par les complications de l’hypertension artérielle (12 %) et les embolies amniotiques (7 %).
Si, en moyenne, 44 % des décès maternels ont été considérés comme évitables, la proportion s’élève à plus de la moitié (52 %), lorsque l’on considère les causes obstétricales directes, et à plus de 73 % pour les hémorragies. Selon les experts, «près des trois quart des décès par hémorragies auraient pu être évités si des soins appropriés avaient été prodigués en temps utile». Plus que le retard au diagnostic, sont plutôt impliqués les fautes professionnelles et les traitements non prescrits ou trop tardifs. Moins fréquentes, les infections et les complications obstétricales sont également largement évitables (71 % et 80 %). A noter la quasi-disparition des complications d’anesthésie (un seul cas identifié entre 1999 et 2001 contre six entre 1996 et 1998).
Parmi les causes obstétricales indirectes, la plupart représentées par les accidents vasculaires cérébraux, 29 % pourraient être évitées. A noter des décès par suicide, liés à l’état gravido-puerpéral.
Ces observations ont conduit le Cnemm à formuler des recommandations, en particulier en ce qui concerne les hémorragies. Le comité demande notamment qu’un protocole écrit de mesures à prendre, facilement accessible par l’ensemble du personnel médical, soit disponible dans toutes les maternités et que des exercices réguliers, tels ceux effectués par les pompiers, soient réalisés régulièrement.
Vers une culture du signalement.
Le renversement de la tendance observée à partir de 2001 est difficile à interpréter. Peut-être n’est-il que transitoire, car lié au vieillissement des générations nombreuses du baby-boom, qui achèvent leur phase reproductive. Mais peut-être s’agit-il d’une tendance stable, due à l’élévation continue de l’âge de la maternité. Le taux de mortalité augmente en effet avec l’âge : le risque est huit fois plus élevé à 40 ans qu’à 20-24 ans. Des disparités sont observées selon les régions avec des taux de mortalité maternelle en général plus élevés en Ile-de-France, mais aussi selon la nationalité, le risque étant deux fois plus élevé chez les femmes de nationalité non européenne.
Enfin, une étude également publiée dans le « BEH » montre que, parmi les causes de mortalité maternelle du post-partum, la césarienne (20 % des accouchements en France) constitue un surrisque (taux multiplié par trois et demi par rapport à la voie basse). «Ce qui souligne l’importance d’en limiter les indications et d’exclure les césariennes de “confort” », note Renée Pomarède. La baisse de la mortalité maternelle à 5 décès pour 100 000 naissances vivantes et la diminution des décès évitables figurent parmi les objectifs fixés par la loi de santé publique de 2004.
En 2006, la surveillance a été confiée à l’InVS, qui explore de nouvelles pistes d’amélioration. Parmi ces pistes, qui doivent être validées dans les prochains mois, figurent la certification électronique des décès et l’analyse des événements graves au décours des grossesses dont l’issue est favorable. Cette surveillance, note Renée Pomarède, s’inscrit dans le chantier plus vaste de la surveillance des événements indésirables graves, qui nécessitera de développer une nouvelle culture du signalement. Un défi qui vise à l’amélioration du niveau global de la santé en France et qui ne «pourra être relevé qu’avec l’adhésion de tous les praticiens impliqués».
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