JEUX OLYMPIQUES D'ATHÈNES, 15 août 2004, finale de l'épreuve féminine de l'épée. Laura Flessel, déjà double médaillée (or en 1996 et bronze en 2000), fait face à Timea Nagy, tenante du titre (2000). Finale inespérée pour ces deux trentenaires, 33 ans et 34 ans, qui ont posé leur arme le temps de devenir mères. Victoire de Nagy, 1,80 m, par 15 touches à 10. La guêpe (1,70 m), comme on l'a surnommée, avoue n'avoir jamais su trouver la cible : « J'étais toujours trop loin ou trop près. Trop loin, j'étais condamnée à prendre de la vitesse et Nagy me voyait venir. Trop près et j'étais contre un mur. J'ai passé mon temps à chercher la distance. »
Au-delà de l'identité de leur trajectoire, les deux femmes partagent la caractéristique d'être toutes les deux gauchères. Et ce n'est pas le fait du hasard. Ce serait même la règle dans l'élite des armes d'estoc (épée et fleuret), explique le Dr Guy Azémar*, entraîneur sportif, professeur d'éducation physique, médecin traumatologue et enseignant chercheur en neurosciences. « Sur une dizaine de championnats olympiques, les statistiques montrent 60 % de médailles d'or chez les gauchers », affirme-t-il. Au Jeux de Moscou de 1980, ils occupaient les huit premières places du fleuret masculin. Cette année-là fut d'ailleurs exceptionnelle pour les gauchers puisque, parmi les dix premiers des classements officiels, on en compte six au championnat du monde de tennis de table, quatre au classement ATP de tennis, dont trois dans les quatre premiers, alors que Marvin Hagler commence à dominer la catégorie des moyens en boxe. Cette surreprésentation étonne si on la compare à la proportion de gauchers dans la population générale, qui n'excède pas les 10 à 13 %.
Le syndrome Léonard de Vinci.
D'aucuns y virent une sorte de revanche des gauchers, longtemps considérés comme des « boiteux de la main », selon une ancienne expression espagnole. La Journée internationale des gauchers, fixée au 13 août, naît en 1976. Car, bien qu'ils aient été longtemps méprisés, les gauchers, à la suite du plus célèbre d'entre eux, Léonard de Vinci, considéré comme le parangon du génie universel, ont la réputation d'être hors norme et de briller par une plus grande imagination créatrice. Pierre-Michel Bertrand, qui appelle cela le « syndrome Léonard de Vinci », conteste cette idée reçue : « Il n'y a, d'après nos vérifications, pas plus de gauchers chez les grands esprits qui ont marqué l'histoire que chez le commun des mortels », affirme-t-il dans son « Dictionnaire des gauchers »**.
Comment expliquer alors leur supériorité dans certaines disciplines sportives ? Depuis plus de quarante ans, le Dr Azémar consacre ses travaux aux asymétries fonctionnelles et à la latéralité dans l'élite sportive. « Les gauchers sont loin de s'imposer dans tous les domaines », fait-il observer. Leurs sports d'élection sont, par ordre d'importance, l'escrime, essentiellement l'épée et le fleuret, le tennis de table, le tennis et la boxe. Toutes ces disciplines se caractérisent par une « opposition duelle » avec deux adversaires face à face dans une espace bien défini. Elles nécessitent des qualités d'anticipation et de vitesse de réaction plus que de puissance et de précision.
L'escrime offre de ce point de vue un excellent terrain d'observation. En examinant l'évolution des classements lors de neuf épreuves organisées entre 1979 et 1998, huit championnats du monde et un tournoi olympique, soit 3 829 participants, le Dr Azémar constate que non seulement les gauchers sont plus nombreux que dans le reste de la population (25 %) mais que leur proportion relative augmente régulièrement du début à la fin des épreuves. Au stade de demi-finales, elle est de 38 %. Le plus remarquable est que cette sorte de sélection des gauchers par la compétition ne concerne pas les sabreurs. Parmi eux, « moins d'un demi-finaliste sur six est gaucher (15,6%) », note-t-il. Si l'on ne considère que l'épée ou le fleuret, armes d'estoc où les touches ne se font qu'avec la pointe, le pourcentage de gauchers atteint les 48 %. L'explication tient à la forme du geste. Au sabre, arme d'estoc et de taille, les touches sont portées aussi bien avec la pointe qu'avec le tranchant, c'est-à-dire avec toutes les faces latérales de la lame. Cette particularité en fait une arme très physique. Le sabreur doit conduire son arme tout au long de la trajectoire et lui imposer des mouvements circulaires complexes et de nombreux changements de direction. Le geste des bretteurs qui pratiquent l'épée ou le fleuret est plus direct et nécessite une projection rapide de l'arme. A courte distance, « dite d'allonge du bras », la vitesse devient plus importante que la précision.
Plus rapide dans l'urgence.
De telles situation favorisent la main gauche. On les retrouve au tennis de table, où les gauchers « jouent plus près de la table » afin de réduire le temps disponible, ou au tennis où ils sont volontiers des attaquants, prennent la balle plus tôt et montent plus souvent au filet.
En effet, des travaux expérimentaux montrent « que la main gauche, celle des droitiers et celle des gauchers, possède un avantage qu'elle acquiert très tôt : elle est plus rapide lorsque les coordonnées d'espace lui sont données au départ. La main droite, elle, a plus d'aptitude à changer de direction en cours de trajectoire », explique le spécialiste. En situation d'urgence, la main gauche est donc plus performante. Le rôle de l'hémisphère droit dans l'intégration des informations spatiales est alors essentiel. Plus que la latéralité manuelle, qui « n'est qu'un épiphénomène de la latéralité », c'est son association avec une prédominance oculaire droite qui détermine la performance. Or, contrairement aux droitiers, qui sont à 60 % homogènes (main droite, œil droit, pied droit), les gauchers homogènes sont très rares (seulement 4 % d'entre eux). « Il sont moins stéréotypés et ont tendance à traiter l'espace de façon plus homogène que les droitiers. Peut-être sont-ils aussi moins stéréotypés dans leur raisonnement, mais il s'agit là d'une extrapolation », se risque le scientifique.
* « L'Homme asymétrique », Cnrs Editions, octobre 2003, 324 pages, 25 euros.
** Editions Imago, septembre 2004, 298 pages, 22 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature