Après les inondations en Haïti

Les cadavres, une menace sanitaire ?

Publié le 27/09/2004
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« LE RISQUE de propagation d'épidémies à partir des cadavres est négligeable. Les corps des personnes décédées exposent à moins de risques contagieux que celui des personnes vivantes contaminées. » Directeur du programme Urgence à la région américaine de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le Dr Jean-Luc Poncelet se fait d'autant plus catégorique sur la question que, souligne-t-il, la précipitation mise à enterrer les corps à la suite des grandes catastrophes naturelles occasionne toutes sortes de « préjudices pour les populations survivantes, à la fois culturels, religieux, sociaux, psychologiques, et émotionnels ».
« Le même mythe fait toujours surface après la catastrophe, selon lequel les cadavres présentent un danger pour les survivants », surenchérit le Dr Johanna Larusdottir, spécialiste des crises à l'OMS. « Cela n'est étayé par aucune preuve dans l'histoire des catastrophes », assure la spécialiste, qui souligne que « la principale source d'épidémies en cas d'inondation est le débordement des latrines, beaucoup plus dangereux que la présence des cadavres. »`
« Il est beaucoup plusimportant que les survivants puissent identifier leurs morts et les enterrer conformément à leurs coutumes », explique encore le médecin de l'organisation onusienne, préconisant que « les ressources disponibles soient utilisées pour les survivants » et stigmatisant les gaspillages que constituent, selon elle, les programmes de désinfection.
Le ministre haïtien de l'Intérieur, Hérard Abraham, qui a annoncé que les corps des victimes seraient « enterrés au plus vite dans des fosses communes pour pallier les risques d'épidémie » se serait-il trompé de priorité sanitaire (« le Quotidien » d'hier) ?

Les cadavres porteurs « sains » de bactéries pathogènes.
Dans son rapport remis le 12 mars dernier aux ministres de la Santé et de l'Intérieur, au sujet de la gestion des déchets massifs, le Pr Dominique Lecomte, directrice de l'Institut médico-légal de Paris (IML), apporte une réponse pour le moins circonspecte. « Certes, note-t-elle, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France, dans sa séance du 16 janvier dernier, nous dit que le corps en lui-même ne constitue pas un risque de contamination. »
Cependant, la directrice de l'IML observe que, « même dans un contexte non infectieux, tous les cadavres sont porteurs "sains" de nombreuses espèces bactériennes potentiellement pathogènes (Staphylocoques, Streptocoques, entérobactéries, anaérobies...) , dont certaines sont susceptibles de proliférer en post-mortem (entérobactéries, Clostridium...) Cette prolifération est d'autant plus importante que le délai entre le décès et la découverte du corps est plus long et fonction de facteurs environnementaux (chaleur, humidité...) . Cependant, en dehors des coupures ou de blessures favorisant la pénétration du germe dans l'organisme, ces derniers n'entraîneraient pas de risques particulier. »
Le Pr Lecomte, dans ces conditions, considère que le principe de précaution doit entraîner « la plus grande prudence. »
Une prudence d'autant plus légitime, estime-t-elle, qu' « à la flore bactérienne très variée que libère la décomposition des corps s'ajoute une flore mycologique composée de la plupart des espèces telluriques qui agissent sur la décomposition animale et végétale » et qu'«  en plus des micro-organismes des milliers d'insectes (plus de 3 500 espèces) dont on retrouve les larves attaquent le cadavre à l'air libre. D'autres vecteurs, comme la vermine, ou des animaux errant comme les rats contribuent à faciliter les propagation d'espèces bactériennes pathogènes variées. »
Dans ces conditions, l'ensevelissement rapide des corps pourrait relever de la prophylaxie d'un risque moins « négligeable » que ne l'assurent les experts de l'OMS. Même si, Dominique Lecomte le souligne en conclusion de son rapport, « il faut signaler qu'aucune base scientifique récente n'est actuellement accessible concernant le risque lié à la décomposition des corps, notamment en cas de décès massifs ».

> CHRISTIAN DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7599