ETUDE DE CAS
L'histoire d'Henriette d'Angleterre offre une riche matière à réflexion, non seulement sur le plan historique, mais également sur le plan médical, compte tenu des circonstances suspectes de sa mort en pleine jeunesse et en pleine gloire, et abondamment commentées dans les mémoires posthumes de Madame de Lafayette qui fut certainement l'une de ses plus proches et plus sincères amies, ainsi que dans les lettres au vitriol de la princesse Palatine, seconde épouse de Monsieur frère du Roi et les mémoires du duc de Saint-Simon, chroniqueur elliptique de la cour de Louis XIV.
C'est une princesse marquée par l'exil de son enfance, son physique et qui participe aux jeux cruels et complexes que se livrent les principaux acteurs de la cour de Louis XIV. Ce n'est pas une simple héroïne, une créature romanesque poussée par quelque passion hors nature ou par une ardeur d'autodestruction ; c'est une jeune femme qui n'est pas très jolie mais pleine de charme, dont l'ascension rapide est tout d'abord politique et qui ne cesse d'être mêlée à des combats à double face, dictés par des conflits d'intérêts plus sordides que glorieux, où les corps sont avides de plaisir, les trahisons masquées par des fêtes ponctuées d'ambitions meurtrières.
Dans la nuit du 29 juin 1670, après avoir bu un verre de chicorée, Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans, est prise de violente douleurs abdominales ; après neuf heures d'une terrible agonie, elle s'éteint au château de Saint-Cloud. Elle n'a que 26 ans.
La mort subite de Madame, survenant alors qu'elle est devenue l'un des personnages les plus en vue à la cour, est suspecte et les rumeurs d'empoisonnement vont bon train sous l'impulsion de Saint-Simon et d'Elisabeth-Charlotte de Bavière, princesse Palatine et future seconde épouse du duc d'Orléans. Dès les premières violentes douleurs, c'est Madame elle-même qui émet la certitude d'avoir été empoisonnée, puis se rétracte afin de ne pas peiner son frère, le roi Charles II, et compromettre les bonnes relations qui viennent de se nouer entre les deux royaumes d'Angleterre et de France. On parle de poudre de diamant mélangée avec du sucre, on évoque des gants qui auraient été empoisonnés car la duchesse d'Orléans se serait plainte à plusieurs reprises de douleurs et de paralysie dans les mains et les avant-bras ; on cite surtout des noms et, parmi eux, celui de Persin, chevalier de Lorraine, qui a succédé au comte de Guiche dans le cur de Monsieur et qui, exilé à Marseille après bien des intrigues, aurait envoyé quérir un poison à Rome par Morel, après l'avoir séduit, afin que le marquis d'Effiat puisse en toute impunité le déposer sur les bords de la tasse contenant l'eau de chicorée qui sera apportée à sa demande à la duchesse d'Orléans.
Une oraison célèbre
Henriette d'Angleterre est inhumée à Saint-Denis en présence de la cour, le 21 août 1670, et donne à Jacques Bénigne-Bossuet l'occasion de révéler toute la mesure de son talent dans une oraison funèbre restée célèbre : « [239] nuit effroyable où retentit tout à coup, comme un éclat de tonnerre, cette étonnante nouvelle : Madame se meurt ! Madame est morte ! (...) C'est ainsi que la puissance divine, justement irritée contre notre orgueil, le pousse jusqu'au néant ; et que pour égaler à jamais les conditions, elle ne fait de nous tous qu'une même cendre. »
C'est cette même année 1670 que Louis XIV interdit les procès pour sorcellerie, alors que quelque temps plus tard, au bout d'une longue enquête mandatée par le roi et menée dans le secret par Monsieur de Laqueyrie, éclatera l'affaire des poisons. Au cours du procès retentissant qui suivra, sera cité à plusieurs reprises le nom d'Henriette d'Angleterre et évoquée sa disparition brutale.
Sans voir forcément dans la disparition soudaine de la duchesse d'Orléans, comme se plaît à penser Bossuet, la main de Dieu qui frappe tout autant les grands de ce monde que les petits, et sans tomber dans la paranoïa des bruits de couloir et de l'affaire de poisons, la soudaineté et la violence du trépas de la duchesse d'Orléans n'est pas pour le moins banale. Des années plus tard, la version officielle du décès fait état d'une probable cholécystite avec occlusion intestinale mais il n'est nulle part fait mention d'une anomalie des intestins dans le compte rendu d'autopsie, alors que cela aurait été facilement identifiable à l'époque.
Une santé fragile
Madame était d'une santé fragile ; elle eut, malgré un mari inverti et frivole, huit grossesses dont cinq fausses couches et s'épuisait anormalement lors des fêtes et réceptions qui animaient la cour en permanence. Déjà Madame de Motteville la décrit lors de son entrée à la cour comme ayant le teint fort délicat et blanc : « Il était mêlé d'un incarnat naturel comparable à la rose et au jasmin. Ses yeux étaient petits mais doux et brillants. Son nez n'était pas laid ; sa bouche était vermeille et ses dents avaient toute la blancheur et la finesse qu'on pouvait souhaiter, mais son visage était trop long et sa maigreur semblait menacer sa beauté d'une prompte fin. »
Propos confirmé par Guy Patin, médecin du roi : « Madame la duchesse d'Orléans est fluette, délicate, et du nombre de ceux qu'Hippocrate dit avoir du penchant pour la phtisie sèche ou un flétrissement du poumon. »
En janvier 1661, peu de temps avant son mariage avec Monsieur, de retour d'Angleterre après être allée visiter son frère Charles II, elle est prise à Portsmouth d'une poussée de fièvre tellement violente, qu'elle oblige la reine mère à prier le duc de Buckingham de bien vouloir l'accompagner jusqu'en France.
A la Toussaint, la même année, on la dit à nouveau fort souffrante aux Tuileries, ayant dû revenir à Paris portée en litière après avoir assisté à Saint-Germain à l'accouchement par la reine de Monseigneur le Dauphin : « Madame qui était très malade et qui ne dormait point... »
Mais c'est certainement Madame de Lafayette qui est le témoin le plus proche de l'agonie d'Henriette d'Angleterre, ayant été constamment à ses côtés au château de Saint-Cloud la nuit fatale du 29 juin 1670. Dès le 24 juin 1670, soit huit jour à son retour d'Angleterre après la signature du traité de Douvres, elle raconte que « Madame se plaint d'avoir mal au côté et de douleurs de l'estomac auxquelles elle était sujette ; elle a, depuis quelques jours, mauvais visage et est d'humeur chagrine, toute pleine d'aigreur et de colère, ce qui n'est pas à son habitude ». C'est alors qu'elle se plaint à nouveau de son côté, qu'elle réclame à Madame de Gamache un peu d'eau de chicorée ; dès les premières gorgées, elle s'effondre de douleurs : « Elle rougit puis devint d'une pâleur livide. Elle se mit à crier et demanda qu'on l'emportât, dans l'impossibilité qu'elle avait de marcher et de se déshabiller. »
Monsieur Esprit, médecin de Monsieur dépêché aussitôt diagnostique une colique bilieuse, mais Madame, les larmes aux yeux, déclare qu'elle allait bientôt mourir et qu'elle était sûre qu'on lui avait donné du poison. On lui administre de la poudre de vipère comme antidote et l'on donne sans dommage au chien le reste d'eau de chicorée ainsi qu'à Madame Desbordes, première femme de chambre. Madame est prise continuellement de terribles besoins de vomir et aux périodes d'agitation succèdent de profonds moments d'abattement. Le bouillon qu'elle prend le soir à 11 heures provoque une exacerbation de ses douleurs. Monsieur Vallot, médecin lui trouve les extrémités froides, le pouls n'est pas perçu, signe d'une « gangrène » intérieure. « Mon nez s'est déjà retiré », annone l'infortunée duchesse d'Orléans ; les différents médecins à son chevet, MM. Esprit et Yvelin, devant le hoquet dont elle est prise, « le hoquet de la mort », parlent d'une « faiblesse qui attaque le cur » et M. Brayer, qui pratique une dernière saignée qui ne donne rien, constate que « la tête s'embarrasse et que l'estomac se remplit », et que l'envie perpétuelle de dormir signe là l'une des « défaillances de la nature ». Après avoir reçu de rudes sacrements de l'Eglise, Madame s'éteint ; son agonie aura duré plus de neuf heures.
Autopsie
L'autopsie pratiquée à la requête du roi, sous la conduite de Vallot assisté de plus d'une douzaine de médecins et chirurgiens anglais et français, dont le fameux chirurgien l'abbé Bourdelot, pour faire taire en partie la rumeur, éviter un scandale qui en éclaboussant la cour menacerait l'autorité royale, se devait d'épargner Monsieur ; elle constate « qu'un des poumons de Madame est tout abîmé et que son abdomen est rempli de bile ; le foie apparaît tout brûlé et tombant en miettes » et fait état que Madame est morte « parce qu'elle avait mal dormi lors de son voyage de retour d'Angleterre... parce qu'elle avait souffert du mal de mer qui agite la bile et qui fait que quelques personnes tombent paralytiques... parce qu'elle avait pris un bain froid, lequel empêchant la transpiration, avait fait bouillir la bile en dedans qui avait par la suite pourri et s'était échappé par l'estomac pour remplir la vessie de fiel et gagner le cur, etc. » La conclusion est que la véritable cause de la mort est un « colera morbus très violent ».
La tare héréditaire de porphyrie aiguë intermittente retrouvée dans la lignée des Stuart et dans la famille de Hanovre et très probablement transmise par son affiliation directe à Henriette d'Angleterre ; la notion d'épisodes douloureux antérieurs s'accompagnant de fièvre et de faiblesse extrême, les différents symptômes décrits avant et pendant sa longue agonie, notamment l'impressionnant syndrome douloureux abdominal aigu avec intolérance digestive grave, nausées et vomissements, troubles de l'humeur et du comportement avec alternance d'abattement et d'agitation, la survenue d'un hoquet au stade terminal, etc., tout concourt à dire que la duchesse d'Orléans n'est pas morte empoisonnée, ni n'a été victime du choléra ou d'une salmonellose quelconque, d'une cholécystite avec occlusion et péritonite... mais a bel et bien été emportée selon toute vraisemblance par une attaque authentique de porphyrie aiguë intermittente.
Généalogie
C'est en voyant le film « la Folie du roi George », qui évoque Georges III d'Angleterre (1738-1820) et sa maladie, que le Dr Claude s'est demandé si, compte tenu des liens de consanguinité existant entre les familles régnantes de Danemark et du Royaume-uni, sa lointaine parente Henriette n'avait pu être victime du même mal.
Georges III et Henriette ont un ancêtre commun, Jacques VI d'Ecosse (1566-1625), devenu Jacques Ier d'Angleterre, pour lequel un examen d'urines mentionne une couleur « rouge alicante ». Sa mère, Marie Stuart, était victime de crises d'hystérie qui « guérissaient de façon inexplicable » et qui peuvent s'expliquer aussi par des attaques de porphyrie intermittente aiguë. On a évoqué cette même pathologie chez les descendants de Georges III, notamment chez ses fils, le roi Georges IV et les Ducs d'York, de Sussex et de Kent, ainsi que chez la princesse Charlotte de Galles.
Les porphyries
Les porphyries sont un ensemble d'affections liées à un trouble héréditaire (déficit enzymatique) du métabolisme des porphyrines ou de leurs précurseurs constituant de base dans le sang du noyau « hème » pour la synthèse de l'hémoglobine en s'alliant au fer et des myoglobines dans les tissus, et dont certains dérivés (pigments) s'accumulent dans les tissus et/ou sont éliminés dans les urines et les selles.
Les porphyries sont regroupées en hépatiques ou érythropoïétiques selon le site spécifique du défaut enzymatique incriminé ; la plus commune d'entre elles est la porphyrie aiguë intermittente (PAI) caractérisée par un déficit en PBG déaminase, dont le principal site du défaut enzymatique est hépatique et dont le mode de transmission génétique est dominant.
La maladie clinique est plus fréquente chez les femmes, et les accès aigus peuvent être déclenchés par des facteurs endogènes ou exogènes présents dans l'environnement ; ils surviennent volontiers pendant la période périmenstruelle, mais certains sujets présentent des exacerbations prémenstruelles régulières, cycliques de leur maladie.
Les douleurs abdominales sont quasi constantes et c'est souvent le symptôme majeur de l'accès aigu. Celles-ci peuvent être généralisées ou au contraire localisées, parfois confondues avec un abdomen chirurgical aigu. Les autres signes d'accompagnement sont dominés par des nausées et des vomissements, une constipation et/ou une diarrhée, un météorisme, un iléus, etc. Rétention d'urine, incontinence, dysurie, polyurie sont également fréquemment observées ; de même que fièvre, tachycardie, hypertension, hypersudation, tremblements et agitation.
La PAI se singularise aussi par la richesse de sa symptomatologie neurologique : la neuropathie en est l'une des caractéristiques fréquentes ; la faiblesse musculaire commence plus particulièrement à la racine des membres et au niveau des jambes, mais peut atteindre les bras et les extrémités distales, l'atteinte pouvant être symétrique ou non, localisée, parfois associée à une réduction ou à une perte des réflexes tendineux. Cette neuropathie peut également toucher les paires crâniennes (plus volontiers les 7es et 10es paires) ou entraîner une paralysie bulbaire, une insuffisance respiratoire et la mort. La neuropathie sensitive en plaque survient également lorsque la paralysie motrice est avancée et les accès de PAI peuvent s'accompagner de convulsions.
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