Si la France reste un des pays d’Europe où le taux de décès par suicide est parmi les plus élevés (au huitième rang sur 28), celui-ci a rarement été aussi bas dans le pays. Selon le quatrième rapport de l'Observatoire national du suicide (ONS), publié la semaine dernière, près de 9 300 décès par suicide, dont 75 % chez des hommes, ont été recensés en 2016, soit 14 pour 100 000, contre 21 pour 100 000 en 2000 et 22,5 pour 100 000 en 1985.
De l’autorisation de la prescription d’antidépresseurs par les généralistes à la mise en place de dispositifs de prévention, en passant par l’amélioration de la prise en charge en santé mentale et l’évolution du regard social sur la détresse psychique et le suicide, plusieurs facteurs expliquent cette baisse continue (-13 % entre 2000 et 2008, -23,5 % entre 2008 et 2016 et -33,5 % entre 2000 et 2016).
Les professionnels de santé, une population particulièrement exposée
Certaines populations restent pourtant particulièrement exposées. « Les personnes âgées de 75 ans ou plus présentent le taux de suicide le plus élevé : 33,3 pour 100 000 habitants contre 15,4 pour les 25-54 ans et 18,1 pour les 55-74 an », rappelle l’ONS.
Le risque se mesure également par l’activité professionnelle. À côté des agriculteurs, « les ouvriers et employés, ces catégories situées dans le bas de l’échelle sociale, se suicident davantage que les cadres », précise le sociologue Christian Baudelot, un des auteurs du rapport. Les professionnels de santé comptent également parmi les populations les plus à risque avec une prévalence de 34,3 suicides pour 100 000, selon les données de 2005.
Une enquête de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares, 2016), qui ciblait notamment le milieu hospitalier, a établi le lien entre les risques psychosociaux et la fréquence des pensées suicidaires. « Ce sont les exigences émotionnelles, les conflits de valeur et les rapports sociaux qui sont les plus propices au déclenchement des idées suicidaires », souligne Christian Baudelot, rappelant que le psychologue Yves Clot évoque un « drame de la conscience professionnelle induit par un bouleversement des normes qui régissent le travail ».
La médiatisation autour du procès France Télécom et des cas de suicide sur le lieu de travail ou d’immolation devant une agence Pôle emploi a révélé un « phénomène nouveau » et une « forme de suicide particulière », liés à de « nouvelles formes de management », nées dans les années 1990, estime le sociologue. Un nouveau vocabulaire a émergé simultanément avec les mots « stress », « harcèlement moral », « burn-out », etc.
Une forme de suicide particulière
« Le travail ne peut être considéré comme cause unique et simple du suicide, mais il y a de nombreux cas où le travail est en cause dans le passage à l'acte », insiste Christian Baudelot, soulignant que le suicide, d’ordinaire « individuel et intime », devient, quand il se produit « sur la scène publique, au sein même de l’entreprise », une « forme ultime de protestation sociale ».
Le chômage peut également se révéler délétère pour la santé physique et mentale. « Le lien entre taux de chômage et suicide est connu depuis la crise de 1929 aux États-Unis, précise le Pr Michel Debout, légiste et un des auteurs du rapport. De nombreuses publications internationales portant sur la crise de 2008 ont aussi montré un lien incontestable entre suicide et perte d'activité et précarité ».
Une étude de la Fondation Jean Jaurès de 2016 montre que les pensées suicidaires affectent 19 % des actifs en emploi et 30 % des chômeurs. Le nombre de ceux qui ont fait une tentative de suicide préalable est de 3 % chez les salariés et de 5 % chez les chômeurs. Les médecins généralistes apparaissent pourtant peu sensibilisés à la question des effets du chômage. « Une enquête a montré que plus de la moitié des médecins traitants ignorent le statut professionnel de leurs patients », souligne le Pr Debout.
À l’approche d’une crise économique qui prolongera la crise sanitaire, ce spécialiste des suicides liés au chômage en appelle à la création d’un comité d’experts sur la santé globale et le risque suicidaire chez les chômeurs et les entrepreneurs en dépôt de bilan qui vivent des psycho-traumatismes fragilisant leur psychisme.