Véritable rustine de notre système de soins, la réserve sanitaire a vocation à intervenir dans des circonstances très difficiles. Comment médecins, infirmiers ou logisticiens se préparent-ils ? Depuis 2021, Santé publique France organise plusieurs sessions d'exercice de terrain par an. « Le Quotidien » a pu assister à une journée de stage.
À la frontière entre la Mayenne et la Sarthe, le grand gîte des Faucheries est sans conteste idéal pour les exercices de terrain organisés par Santé publique France afin d’aguerrir les volontaires qui rejoignent la réserve sanitaire. L’endroit est suffisamment isolé en pleine nature pour permettre de simuler, pendant une semaine, des missions menées dans des lieux aussi éloignés que la Guyane. Ce genre de stage a lieu quatre fois par an et le succès est au rendez-vous chez les volontaires contractualisés : 400 à 500 candidatures sont déposées pour chaque stage, pour 40 à 60 places.
À leur arrivée, les réservistes reçoivent un pantalon, un gilet et des rations militaires qui leur serviront de repas pendant cinq jours. Le rythme des journées est minuté : les douches doivent se prendre à heure fixe et des rondes doivent être organisées la nuit. « Lors de la mission à Mayotte, les réservistes devaient assurer la sécurité du camp », se souvient Murielle Fayolle, responsable des formations au sein de la réserve. Les participants ne savent pas ce qui va leur arriver, le détail des mises en situation devant rester une surprise.
« Les situations les plus dures »
Murielle Fayolle a relancé en septembre 2021 ce type d’exercices, quelques mois après sa prise de poste. « Il y avait une forte demande pour que nous les recommencions après la première période Covid », se souvient-elle. Ces exercices ne sont pas obligatoires pour partir en mission : si c’était le cas, cela réduirait le vivier de volontaires aptes à partir. En revanche, ils permettent de repérer les réservistes aptes à supporter une rotation de deux ou trois semaines dans des conditions sanitaires, voire de sécurité, dégradées. Car la réserve a connu des missions éprouvantes telles que les interventions à Mayotte au lendemain du cyclone Chido en décembre 2024, à Saint-Martin à la suite de l’ouragan Irma en 2017, ou encore en Nouvelle-Calédonie lors des affrontements du printemps 2024. « Les réservistes terrain qui ont fait le stage se comportent généralement mieux en mission, précise Murielle Fayolle. Nous les préparons aux situations les plus dures. Nous avons d’ailleurs renforcé l’atelier de gestion des conflits. »
Dans le damage control, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise décision, il faut surtout des décisions rapides
Formatrice de la réserve sanitaire
Ce mardi, la journée est ponctuée d’ateliers centrés sur des situations humanitaires, mais aussi sur la manière de se préparer mentalement et physiquement à des missions dans des environnements contraints. Sécurité, hygiène, sport, santé mentale, alimentation, relations – y compris intimes – avec la population, tout est abordé par des formateurs venus partager leurs expériences. « À Mayotte, la tempête avait couché les arbres à litchis lors de la saison de la récolte, on en trouvait des quantités invraisemblables pour presque rien… mais c’était à peu près tout ce que l’on trouvait », se souvient ainsi le Dr Thierry Mayet, chef de service en médecine polyvalente après avoir été chef de service en réanimation médicale au centre hospitalier de Dax-Côte d’Argent, et réserviste sanitaire de longue date. Elisabeth Schuller, pharmacienne à Pfastatt, se souvient, elle, d’un repas de pilons de poulet qui a failli tourner à l’intoxication alimentaire généralisée au sein des réservistes en mission à Saint-Martin, lassés des rations militaires. « Il faut juste être lucide. Si on est envoyé dans une île loin de tout et qu’il y a des coupures de courant toute la journée, il n’est pas possible de trouver de la viande qui ne soit pas risquée », résume-t-elle.
Vitesse et pragmatisme
L’un des ateliers a été consacré au damage control, ou comment prendre en charge un grand nombre de blessés sur un temps court. « Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise décision, il faut surtout des décisions rapides, insiste la formatrice devant les stagiaires attentifs. Rappelez-vous que vous n’êtes pas responsables de la situation. » Après des essais de pose de garrot, certains se mettent de côté pour appréhender des gestes plus techniques comme l’insertion d’un drain thoracique ou la pose d’un pansement à trois côtés sur une plaie thoracique.
Ils apprennent à se familiariser avec les modes de communication utilisés en mission
Dans l’assistance, se trouvent médecins, infirmiers, sages-femmes, pharmaciens… Tous ne pratiqueront pas ce genre de geste en mission mais il est important que chacun soit impliqué. Face à une situation compliquée comme un afflux massif de blessés, les frontières entre les spécialités sont atténuées. « Vos diplômes ne vous mettent pas en position attentiste, vous pouvez évoquer une exsufflation avec le médecin lors du tri des blessés si vous reconnaissez les signes cliniques d’un pneumothorax », indique le formateur. Les techniques sont rapidement et efficacement balayées, le but n’est pas de former des experts mais d’inciter les stagiaires à aller chercher les formations complémentaires dont ils auront besoin.
C’est aussi le moment de se familiariser avec les différents modes de communication employés en mission. Le cours commence par une séance de sensibilisation au risque de piratage des données sur les différents systèmes de messagerie (WhatsApp, Signal, Telegram…), avant une explication sur les procédures d’utilisation des émetteurs-récepteurs radio. Dans certaines missions, l’éloignement ou une catastrophe naturelle peut rendre tous les moyens de communication inopérants, aussi les stagiaires se familiarisent-ils avec la téléphonie par satellite (Iridium et Thuraya) et les kits d’antennes coaxiales, sans oublier les panneaux solaires transportables et les batteries de stockage qui les accompagnent.
Des profils très variés
Tous les âges sont présents, bien qu’il y ait une surreprésentation de retraités et de jeunes diplômés, à l’image d’Alicia Le Dilhuit, infirmière diplômée en 2020. « J’avais obtenu mon diplôme dans un contexte de pandémie, se souvient-elle. L’hôpital craquait de partout et a tenu grâce à la réserve sanitaire. Cela m’a donné envie de m’engager. » Depuis son diplôme, elle alterne donc les vacations dans des services de dialyse dont elle a fait sa spécialité, et des missions qu’elle voit comme une réelle opportunité. « La réserve sanitaire me rend plus adaptable, j’apprends énormément au contact de médecins et de patients que je ne croiserais pas en centre de santé », se félicite-t-elle. Au cours des missions qu’elle a intégrées, elle a été particulièrement impressionnée par les logisticiens : « Ils sont hyperformés, avec une grosse expérience du terrain. Ce sont vraiment eux qui structurent les missions. »
De nombreux profils sont éligibles pour ces exercices : médecins, infirmiers, sages-femmes, psychologues mais aussi préparateurs en pharmacie, logisticiens, techniciens sanitaires, etc. Des agents de Santé publique France peuvent aussi être volontaires. Et un chirurgien-dentiste s’est même engagé pour faire le stage comme logisticien. « Lors des missions, toutes ces compétences sont sollicitées, ajoute Murielle Fayolle. Par exemple, à Mayotte, nous avons dû mettre en place une pharmacie hospitalière pour remplacer celle du centre hospitalier, très endommagée par le cyclone. »