Alors que le gouvernement (en sursis) espère réaliser plus de 40 milliards d’économies dès 2026 – dont cinq milliards sur la santé – un des leviers d’efficience concerne les dépenses remboursées des produits de santé. Entre 561 millions et 1,7 milliard d’euros seraient gaspillés chaque année (une fourchette large qui illustre la difficulté de cette évaluation), alerte la Cour des comptes qui publie un rapport conséquent sur Le bon usage des produits de santé. Ces dépenses remboursées ont bondi au cours des dernières années, atteignant 36 milliards d’euros en 2023, soit une hausse de 12 % en cinq ans, avec une croissance annuelle moyenne de 2,8 %.

Le poids spécifique des prescriptions hospitalières
Si les raisons du gaspillage sont multiples – méconnaissance des usages, mauvais conditionnements, délais de péremption trop proches, etc. – la Cour souligne d’abord que la dynamique des dépenses de produits de santé « se concentre plus particulièrement sur les médicaments et sur les prescriptions des médecins exerçant en établissements de santé ».
Ainsi, le coût des médicaments financés en plus du tarif d’hospitalisation a augmenté en moyenne de 14 % par an depuis cinq ans pour atteindre 6,8 milliards d’euros en 2023, sous l’effet de la montée en puissance des produits innovants. Quant aux prescriptions des médecins hospitaliers exécutées en ville, principalement lors des sorties d’hospitalisation, elles ont également bondi de 10,6 % en moyenne par an, atteignant 11,7 milliards d’euros, en 2023, alors que celles des médecins libéraux ne progressaient que de 2,6 % par an.
Absence d’identification individuelle des prescripteurs hospitaliers
Or, parmi les premiers obstacles au bon usage, les magistrats évoquent la « large méconnaissance des produits de santé à laquelle il faut remédier ». Dans les hôpitaux justement, la Cour déplore l’absence d’identification individuelle des prescripteurs. Cette information pourtant retracée au sein de l’établissement n’est pas remontée au niveau national, un angle mort du système de santé. « Il est difficile de déterminer si des prescriptions inappropriées ont pour origine un professionnel de santé en particulier ou s’il s’agit d’un écart collectif au sein de l’ensemble d’un service », regrettent les Sages. Ces derniers jugent « indispensable l’identification nominative massive des prescripteurs hospitaliers dans les systèmes d’information ». De fait, l’absence de traçage limite les possibilités d’action, s’agace la Cour.
Au passage, les pratiques des praticiens hospitaliers sont interrogées. Elles pourraient être améliorées, avance la Cour, tant les variations de prescriptions « au sein d'un même établissement » ont un impact sur la qualité de prise en charge ainsi que sur les coûts. Parmi les solutions, les hôpitaux pourraient « engager des actions, de formation ou de toute autre nature, afin d’encourager à des prescriptions plus conformes aux recommandations de bonnes pratiques et de garantir une prise en charge plus homogène des patients », lit-on. Autre piste : généraliser les visites annuelles des hôpitaux par l’Assurance-maladie (via les caisses primaires) autour des produits de santé, un dispositif récemment testé. « Pour 2024, les actions portaient notamment sur la prévention des infections et de l’antibiorésistance, la réduction de la polymédication chez les personnes âgées et la prescription des anticancéreux oraux », rappelle la Cour.
DMP, ordonnance numérique, des lacunes en ville
Autre obstacle de taille : les systèmes d’information qui « ne contribuent encore que très partiellement au bon usage des produits de santé », en raison d’un développement et d’une utilisation effective « insuffisants ».
Ainsi, le dossier médical partagé (DMP) n’est pour l’instant utilisé régulièrement que par « un nombre limité de professionnels de santé, de l’ordre de 30 000 médecins, sur les 71 600 médecins équipés de logiciels compatibles et sur les 110 000 médecins libéraux conventionnés », s’impatiente la Cour. Il en est de même pour les pharmacies d’officine, puisque les notes de vaccination « ne sont pas systématiquement déposées dans les DMP ».
Autre outil très pertinent qui gagnerait à monter en puissance : l’ordonnance numérique. Mais là encore, tous les médecins de ville ne disposent pas d’un logiciel ad hoc. Fin 2024, sur les 110 000 médecins cibles, moins de 41 000 disposaient d’un tel logiciel et 35 000 d’entre eux avaient déjà rédigé une ordonnance numérique. Et pour les médecins hospitaliers, seules des expérimentations d’ordonnance numérique sont annoncées en 2025, malgré le gisement d’économies sur les prescriptions hospitalières exécutées en ville.
L’interopérabilité entre les systèmes d’information demeure par ailleurs « trop limitée ». Faciliter le partage d’informations pourrait pourtant offrir aux prescripteurs une « meilleure visibilité sur les traitements en cours, prévenir les doublons ou les interactions médicamenteuses », énumère le rapport. À titre d’illustration, la mise en place de transferts automatisés des données de santé entre le DMP et le dossier pharmaceutique « n’a pas progressé au cours des derniers mois ».
Incitations financières à la peine
En ville, les incitations financières aux bonnes pratiques ont certes produit des effets mais qui montrent leurs limites. La rémunération sur objectif de santé publique (Rosp) – qui vise notamment à lutter contre la iatrogénie, à réduire la prescription d’antibiotiques et à inciter au recours aux génériques et biosimilaires – ne concerne qu’« une fraction » des libéraux (environ la moitié des 110 000 médecins conventionnés), soit parce que les autres praticiens « ne sont pas éligibles ou n’interviennent pas sur les objectifs retenus, soit parce qu’ils n’atteignent pas les résultats attendus ».
À ce titre, la Cour pointe que le nombre des médecins libéraux rémunérés au titre de leurs bonnes pratiques de prescription s’érode. S’agissant de la prévention, il est passé de près de 55 000 médecins en 2019 à environ 53 500 en 2023 et s’agissant de l’efficience, de plus de 66 000 à environ 62 500 médecins sur la même période…

Enfin, la Cour relève que trois dispositifs, « plus ou moins contraignants pour les médecins », ont vocation à favoriser le bon usage des produits de santé, « sous réserve de leur déploiement effectif et d’une plus grande adhésion des professionnels de santé ». Le premier d’entre eux est un nouveau dispositif d’accompagnement de la prescription, qui conditionne le remboursement au respect des indications thérapeutiques. Il vise les médicaments pour lesquels existe un risque significatif de mésusage, tels que les traitements de régulation de la glycémie, prescrits en cas de diabète et qui peuvent être détournés pour obtenir une perte de poids. Ainsi, l’Ozempic a connu une croissance exponentielle, passant de 170 000 boîtes en 2019 à près de trois millions de boîtes en 2023. « Ce nouveau dispositif [d’accompagnement des prescripteurs] fait déjà l’objet de contestations de la part de certains médecins, au nom de leur liberté de prescrire », s’inquiètent les Sages.
Deuxième outil : pour lutter contre le risque de dépendance et de mésusage de la codéine et du tramadol, le recours à des ordonnances sécurisées est entré en vigueur le 1er mars 2025. Là encore, il faudra juger sur pièces.
Enfin, une demande d’accord préalable doit, dans certains cas, être adressée par le médecin à l’Assurance-maladie, notamment pour le traitement de l’excès de cholestérol dans le sang. Pour la Cour, « il pourrait être envisagé d’étendre cette mesure à d’autres médicaments et dispositifs médicaux, dont le risque de mésusage a fait l’objet d’une alerte des autorités sanitaires ».
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