« Le bon traitement, ce n’est pas forcément un médicament. » S’inspirant du mythique slogan « les antibiotiques, c’est pas automatique », l’Assurance-maladie repart à la chasse aux prescriptions injustifiées. S’il en va de la santé des Français, elle espère aussi (surtout ?) réaliser des économies substantielles en exhortant les médecins à prescrire moins et mieux.
Les enjeux sont considérables : en 2023, les remboursements de médicaments par la Sécu ont dépassé les 25,5 milliards d’euros (qu’ils soient délivrés en ville, sur la liste en sus, via la rétrocession hospitalière ou en accès précoce). La courbe des dépenses suit une croissance dynamique depuis 2021 : + 3,4 % en moyenne annuelle pour les montants remboursés (après déduction des remises et de la clause de sauvegarde).
Si sa campagne se veut bienveillante et humoristique, la Cnam compte parallèlement mobiliser au maximum les prescripteurs autour des « programmes d’actions partagés » définis dans la dernière convention médicale. Cinq d’entre eux ciblent le bon usage des médicaments. Les médecins doivent ainsi diminuer de 10 % la prescription d’antibiotiques dès 2025 « pour rejoindre à terme la moyenne européenne ». L’Assurance-maladie attend aussi qu’ils réduisent respectivement de quatre et deux molécules le traitement chronique prescrit aux patients hyperpolymédiqués et polymédiqués de 65 ans et plus. Les blouses blanches ont par ailleurs des efforts à faire en matière de respect des indications thérapeutiques remboursables (ITR) et des durées de traitement recommandées par la Haute Autorité de santé (HAS). « L’objectif est d’atteindre 80 % de prescriptions conformes », précise l’Assurance-maladie. Il convient enfin de limiter le recours aux analgésiques de niveau 2 à risque de dépendance et de recentrer les prescriptions d’IPP sur les indications recommandées.
Qu’est-ce que j’y gagne, moi ? Il faut que ce soit un accord gagnant-gagnant…
Dr Patrick Gasser, président du syndicat de spécialistes libéraux Avenir Spé
Sur le principe, les syndicats de médecins libéraux ne sont pas fermés. « Avant même qu’il y ait un texte, j’avais demandé à Thomas Fatôme [directeur général de l’Assurance-maladie, NDLR] qu’on se concentre sur la pertinence. On sait qu’au minimum 30 % des prescriptions ne sont pas pertinentes, ce qui donne une manne financière non négligeable si on fait mieux les choses », avance le Dr Patrick Gasser, président du syndicat Avenir Spé. « La pertinence des prescriptions est un des rares sujets pour lesquels tous les syndicats étaient unanimes pendant les négos conventionnelles », abonde la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France.
Toutefois, la profession espère obtenir des contreparties. « Au départ, explique le Dr Gasser, j’avais proposé que l’ensemble des économies réalisées soient redirigées vers le financement de la convention, et notamment des revalorisations des tarifs. Mais Thomas Fatôme a dit non. Or, qu’est-ce que j’y gagne, moi ? Il faut que ce soit un accord gagnant-gagnant. » Sans incitation significative, le président d’Avenir Spé craint que les programmes de la Cnam ne fassent pschitt. « De nombreuses études montrent l’intérêt des partages de gains », insiste-t-il.
Biosimilaires, le levier de l’intéressement
Les biosimilaires sont un cas d’école, avec un potentiel d’économies jugé « majeur ». L’Insee a publié, en mai 2024, une étude démontrant l’efficacité du partage des économies entre les hôpitaux et l’Assurance-maladie en matière de prescription de biosimilaires, dont les prix sont inférieurs de 25 % à ceux de leurs biomédicaments référents. Un mécanisme d’intéressement a été mis en place de manière à reverser aux établissements 20 % des économies réalisées. Un intéressement plus élevé, de l’ordre de 30 %, a même été testé sur les prescriptions d’insuline glargine et l’étanercept, utilisé dans le traitement d’inflammations articulaires. Entre 2018 et 2021, « l’expérimentation a conduit à une hausse de la part de biosimilaires de 6 et de 10,8 points de pourcentage respectivement pour les prescriptions hospitalières exécutées en ville d’insuline glargine et d’étanercept », peut-on lire dans l’étude.
Pour les praticiens libéraux cette fois, la convention a renforcé le même type de dispositif d’intéressement avec un partage d’économies entre le médecin libéral et la Sécu encore plus incitatif (50-50 % contre 30-70 % auparavant). Les économies liées à la prescription de biosimilaires sont estimées à 225 millions d’euros par an.
Une consultation de « déprescription » en 2026
Pour MG France, la question de la pertinence des prescriptions devrait être utilement abordée dans le cadre de groupes d’analyse des pratiques (par exemple la lutte contre l’antibiorésistance), au sein desquels les médecins partagent leur expérience sur des cas concrets. « L’idée, c’est de voir ce qu’aurait fait un confrère ou une consœur à ma place. Si il ou elle avait agi différemment, cela peut être très instructif », explique la Dr Agnès Giannotti, à la tête du syndicat de généralistes. Reste que l’organisation de ces réunions n’est pas une mince affaire.
La polymédication des personnes âgées et la prévention de la iatrogénie constituent un autre enjeu majeur, avec 6,7 millions de patients de plus de 65 ans polymédiqués (au moins cinq molécules différentes, au moins trois fois par an) et 1,6 million de patients hyperpolymédiqués (plus de 10 molécules). Sur ce plan, la convention a lancé la démarche avec une première consultation longue (GL) de « déprescription » pour les médecins traitants, destinée aux patients de plus de 80 ans hyperpolymédiqués, cotée 60 euros une fois par an, à partir de janvier 2026. Suffisant ?
Autre levier de lutte contre le mésusage, l’extension de l’ordonnance sécurisée au tramadol et à la codéine connaît quelques atermoiements. Initialement prévue pour le 1er décembre 2024, la mesure a été reportée au 1er mars 2025. La Société française d’étude et de traitement de la douleur avait mis en garde contre « l’opiophobie » et réclamé un « moratoire » pour empêcher toute application précipitée. La durée de validité des ordonnances contenant de la codéine sera réduite à trois mois, comme pour le tramadol. En pratique, les prescripteurs devront mentionner en toutes lettres le dosage, la posologie et la durée du traitement. « On est d’accord mais il faut que le dispositif reste exceptionnel car cela prend du temps, recadre la Dr Agnès Giannotti. Notre travail administratif a augmenté de 30 % en dix ans. »
Un vaccin VHB avec un nouvel adjuvant induit une meilleure séroprotection chez les personnes VIH +
Sérologie sans ordonnance, autotest : des outils efficaces pour améliorer le dépistage du VIH
Cancer colorectal chez les plus de 70 ans : quels bénéfices à une prise en charge gériatrique en périopératoire ?
Un traitement court de 6 ou 9 mois efficace contre la tuberculose multirésistante