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Dossier

Accès aux études de santé : le grand bazar de la réforme

Publié le 04/06/2021
Accès aux études de santé : le grand bazar de la réforme


SEBASTIEN TOUBON

Généralisée depuis la rentrée 2020, la refonte de l'accès aux études de santé (fin de la PACES et du numerus clausus) s'est transformée en casse-tête. Opacité des règles du jeu, retards, disparités, contentieux : les écueils qui ont jalonné cette année de transition ont plongé nombre d'étudiants dans le désarroi. La ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal reconnaît des difficultés et promet des améliorations.

Après 50 ans de règne du numerus clausus, la réforme de l'accès aux études médicales était attendue comme une immense bouffée d’oxygène. Avec une ambition affirmée par Agnès Buzyn en 2018 : mettre fin au « gâchis humain » d'un concours couperet, souvent qualifié de « boucherie ». Cette année-là, sur les 60 000 candidats inscrits en première année commune aux études de santé (PACES), 8 000 furent autorisés à passer en deuxième année de médecine. 

« L’enjeu est de sortir de cette spirale de l’échec, où 60 à 70 % des étudiants se retrouvaient sans aucune solution, après deux ans d’étude », rappelle le Pr Patrice Diot, président de la conférence des doyens de médecine. Autre objectif affiché : diversifier les profils des futurs médecins, dominés par le diktat « bac S, mention très bien ». « Je suis convaincu que des profils moins scientifiques peuvent aussi apporter de grandes compétences dans le soin », assure le doyen.

La réforme cultive le principe de la seconde chance. Ainsi, les étudiants recalés en médecine à l'issue de leur année de PASS (parcours spécifique accès santé, sans redoublement) peuvent poursuivre dans une licence avec option accès santé (L.AS2, centrée sur leur « mineure » comme sciences de la vie, physique, droit ou psychologie) avant de tenter d'intégrer médecine une deuxième fois. Du côté des modalités de sélection, c'est la fin du 100 % QCM, au profit d'examens de fin de semestre et d'épreuves écrites et/ou orales d'admission. 

Sur ces bases prometteuses, l’arrivée de la réforme avait été saluée par les étudiants, les universitaires et les hospitaliers. Mais un an plus tard, l’année zéro s'est transformée en chemin de croix pour des milliers de carabins désemparés et en colère (lire page 14).

Des numerus apertus bien opaques

Le manque de transparence autour du nombre de places accordées en deuxième année aux primants (PASS et L.AS) a nourri la colère des étudiants et de leurs parents. Alors que les fameux numerus apertus (seuil d'admis décidés fac par fac) devaient être publiés en mars 2020, les universités ont communiqué en ordre dispersé, parfois très tardivement. Une situation dénoncée par Sonia de la Provôté, sénatrice centriste du Calvados, dans un rapport cinglant publié en mai. « Un an et un mois plus tard, alors que la deuxième session d'examens de première année était déjà en cours, toutes les universités n'avaient pas encore rendu public leur numerus apertus. Des étudiants passent leurs examens sans connaître leur chance de succès », condamne le rapport.

Cette opacité a cristallisé le mécontentement, « lequel n'a cessé de grandir au fil des mois ». Et ce d’autant que le dernier numerus clausus, réservé aux redoublants de l'ex-PACES, a, lui, été publié dès janvier, entretenant le sentiment d’injustice des primants autour de ces places déjà réservées. 

Deux poids, deux mesures

Nouvelle douche froide avec la publication officielle des numerus apertus, qui révèle de grandes disparités. « Dans 10 universités, le nombre de places réservées aux doublants PACES est plus élevé que le nombre de places dédiées aux étudiants de PASS et de L.AS. Le pourcentage de places attribuées aux primants PASS/L.AS est très hétérogène, allant de 37 % à 72 % selon les universités », pointe le rapport.

Ces quotas variables et ce manque d'harmonisation ont provoqué l’ire d’une partie des parents des jeunes concernés, regroupés en collectifs locaux PASS/L.AS, très actifs sur les réseaux sociaux. Objectif : obtenir une progression substantielle des places en deuxième année pour les primants, dans le contexte très compliqué de cette année zéro. « La loi précisait qu’une augmentation exceptionnelle du nombre de places serait instaurée pour absorber cette première année, ça n’a pas été fait », se désole Cristel, mère de Juliette, étudiante en PASS à Montpellier, membre du Collectif PASS/L.AS. Comme d'autres, elle déplore « des effets d’annonce qui ont eu un impact catastrophique sur le moral des étudiants ».

Recours en pagaille 

Face à ce grand malaise, l'exécutif s'est défendu en affichant une majoration globale de 1 300 places en médecine, soit une hausse « inédite » de 14 % sur un an (lire page 12 notre entretien avec la ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal). Mais les collectifs PASS/L.AS réclamaient au minimum le doublement des capacités d’accueil en deuxième année. 

Le dialogue de sourds s'est parfois déplacé sur le terrain judiciaire : plusieurs délibérations des conseils d’administration universitaires, fixant le nombre de places allouées aux primants, ont ainsi été suspendues par les tribunaux administratifs, comme à Marseille, Toulouse ou Montpellier. De quoi accroître encore l'instabilité. Les universités, elles, ne peuvent pas pousser les murs. « Les services administratifs et d’enseignement sont en grande tension. Et nous sommes contraints par les capacités de formation », rappelle le Pr Patrice Diot, patron des doyens de médecine.

Le rapport du Sénat regrette à cet égard que la réforme n’ait pas été « financée à la hauteur de ses ambitions ». La loi Sécu de 2020 (LFSS) a certes fléché 17 millions, puis 19 millions d'euros en 2021. Mais l'allocation de ces financements aux universités et leur utilisation ne semblent pas être connues avec précision, avance le Sénat. « J’avais vu d’un très bon œil la suppression du numerus clausus et la capacité de former plus de médecins, mais il aurait fallu donner aux universités les moyens d’accueillir ces jeunes », regrette Céline Brulin, sénatrice PCF de la Seine-Maritime

Contenus variables

Une autre critique revient : des programmes souvent surchargés pour ces néobacheliers, à rebours de l'allègement espéré. « Dans certaines universités, le programme de PASS a été peu, voire pas du tout, réduit. Ajoutant au programme de l'ancienne PACES les enseignements des matières mineures, pour lesquels les enseignants ont parfois des exigences très hautes », résume Loona Mathieu, vice-présidente chargée de l'enseignement supérieur à l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF).

Et là encore, les règles du jeu ne sont pas harmonisées. Certaines facs intègrent les notes de mineure généraliste au classement, d’autres non. D’autres encore les rendent éliminatoires, en dessous de 10/20 ! Une injustice, surtout en l'absence d’offre dans le choix de la mineure. « Des comités de pilotage pluridisciplinaires harmoniseront les règles pédagogiques, assure le Pr Patrice Diot. Je pense qu’il ne doit pas y avoir de note éliminatoire et que la mineure doit compter dans les ECTS (le nombre de crédits à obtenir pour valider son année, NDLR). »

À quelques semaines de la fin de l'année scolaire, il y a « urgence » d'agir, plaidait le rapport du Sénat, réclamant un possible « redoublement exceptionnel » pour les PASS. Certains étudiants risquent en effet de se trouver sans débouché l’an prochain, faute de places ouvertes en licence. En STAPS, en psycho ou en droit, les filières sont déjà surchargées... « La réforme a été mise en place avec les UFR Santé, sans considérer les autres licences », déplore Loona Mathieu. De quoi alimenter le ressentiment d'une promotion décidément convaincue d'avoir essuyé les plâtres.   

Léa Galanopoulo