C'est une menace qu'il ne faut pas négliger, car elle aboutit à l'avénement de l'extrême droite en France, mais dont on ne doit pas non plus exagérer l'importance. Partis de gauche et Verts nous ont habitués à l'exagération et comme, de nos jours, les porte-voix sont pléthore, le message est moins clair qu'il ne veut l'être. En tout cas, les déclarations de Julien Bayou, chef d'EELV, confinent à l'ignoble : ce qu'il dit n'est pas en accord avec ce que pense l'électorat vert qui ne croit pas un seul instant que Marine Le Pen, une fois élue, n'aurait qu'une préoccupation, le réchauffement climatique.
Les électeurs écolos sont certes au moins autant à gauche que passionnés par l'évolution du climat. Déjà est apparue l'idée que l'écologie est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux écologistes. Aujourd'hui, leur idéologie est proche de celle de la France insoumise, qui n'aurait pas hésité à faire bloc avec EELV si Jean-Luc Mélenchon n'avait pas décidé de faire cavalier seul en 2022. Mais au moins peut-on comprendre les rapprochements entre partis qui partagent quelques notions essentielles. L'hypothèse selon laquelle Emmanuel Macron serait pire que Marine Le Pen représente en revanche une démarche perverse, qui trahit les idées du mouvement écologiste, la gauche et le pays à la fois. Même M. Mélenchon laisse libres ses électeurs. Jamais on n'aurait pu imaginer une telle accumulation de cynisme dans une formation qui prétend défendre des principes démocratiques.
Barrage contre Macron
Mais, avant de s'épouvanter ou de s'indigner, il faut voir que la proposition d'un camp soudainement séduit par l'ennemi traduit en premier lieu sa propre faiblesse. M. Bayou fait un aveu : un second tour, Macron-Le Pen serait inéluctable. Et pourquoi ? Parce que les forces des oppositions, réunies dans la même clameur contre le pouvoir, se savent incapables de figurer au second tour. Elles ont déjà passé quatre ans à diffamer le scrutin, à tout faire pour démolir Macron afin qu'il soit battu dès le premier tour. Maintenant, elles se convainquent qu'elles n'y parviendront pas. Alors, elles brandissent la menace ultime : elles feront barrage non à Le Pen, mais à Macron, quitte à confier le pouvoir au RN pendant cinq ans.
Ce n'est pas ce qui renforcera les écolos, l'extrême gauche et la droite classique. Quand la gestion par Mme Le Pen aura rendu exsangue le pays, tout le monde se souviendra que le macronisme est un recours. Macron, encore jeune (il n'aurait pas 50 ans) pourrait bien reprendre le pouvoir. Les plans pervers ne sont pas les plus efficaces. Surtout, et même si le peuple est indulgent avec les escrocs de la politique, celui de France retiendrait assurément que les Verts sont les pires ennemis de leur propre idéologie ; qu'ils ne sont pas là pour la mettre en œuvre, mais pour gagner à n'importe quel prix, dussent-ils mourir pour tuer Macron ; que le réchauffement climatique n'est pas leur première préoccupation, mais seulement leur habit de comédiens.
On se permettra ici de rappeler à M. Bayou et à ses amis, au cas où ils auraient cinq minutes pour ne pas se quereller, que leurs électeurs ne leur appartiennent pas, qu'ils ont leur libre-arbitre et que, en démocratie, il n'existe pas de discipline soviétique, ce que M. Bayou n'a pas encore compris. Au premier tour, les électeurs écologistes continueront peut-être à croire qu'un parti écolo répond à leurs soucis, ce qui n'est pas absolument certain. Au second tour, s'ils ont le choix que tout le monde redoute, comme s'il résultait d'un complot et non du vote populaire, ils porteront leurs voix sur celui qui leur semblera le moins éloigné d'eux.
Certes, il y aura beaucoup d'abstentionnisme. Certes, un danger sérieux pèse sur le fonctionnement de la démocratie française. Certes, le renversement des valeurs a pris une si grande dimension qu'il existe objectivement un rapprochement extrême gauche-extrême droite. Mais, personnalités de l'opposition, pensez-y : vous n'allez déjà pas très bien. Comment sortirez-vous de vos palinodies ?