PUISQUE les carcinogènes chimiques se lient à l'ADN mitochondrial (ADNmt) plutôt qu'à l'ADN nucléaire, on le considère comme leur principale cible cellulaire. L'hypothèse a donc été émise que les mutations somatiques qui en résultent pourraient jouer un rôle causal dans la transformation oncogénique de cet ADNmt. Toutefois, leur rôle restait incertain. Si ces mutations induisaient bien la transformation oncogénique, on devrait observer une tendance à la transmission maternelle du développement tumoral, ce qui n'a jamais été rapporté. Il reste néanmoins possible que ces mutations soient impliquées à un stade plus tardif de l'oncogenèse, par exemple dans le développement du potentiel métastatique.
Une équipe japonaise, dirigée par Jun-ichi Hayashi (université de Tsukuba à Ibaraki), montre que des mutations de l'ADNmt peuvent accroître le potentiel métastatique de certaines cellules tumorales, mais ne confèrent pas de potentiel oncogène aux cellules non transformées. Leur étude, publiée dans la revue « Science » en ligne, suggère en outre une nouvelle approche thérapeutique – les antioxydants – pour empêcher les métastases.
Echange d'ADNmt entre les deux types de cellules.
Les chercheurs ont étudié deux lignées de cellules tumorales de souris : P29, au faible potentiel métastatique, et A11, au potentiel élevé.
Ils ont échangé l'ADNmt entre les deux types de cellules (technologie cytoplasmique hybride), puis ils ont examiné le nouveau potentiel métastatique des cellules hybrides (ou cybrides) en les injectant chez la souris, soit dans la veine de la queue (métastase expérimentale), soit en sous-cutané (métastase spontanée). Ils ont constaté que les cellules tumorales receveuses acquièrent le potentiel métastatique de l'ADNmt transféré.
Le même phénomène a été observé sur d'autres lignées, ainsi que sur des cellules humaines, en utilisant une lignée cellulaire de cancer du sein au potentiel métastatique élevé et des cellules HeLa à faible potentiel.
A l'inverse, le transfert de l'ADNmt des cellules hautement métastatiques (A11 et B82M) dans des cellules non transformées n'induit pas de transformation tumorale ni de potentiel métastatique. En comparant les séquences de l'ADNmt des lignées cellulaires murines, les chercheurs ont découvert que l'ADNmt des cellules au potentiel métastatique élevé (A11 et B82M) contiennent des mutations différentes du même gène, ND6 (NADH déshydrogénase subunit 6), connu pour encoder une sous-unité du complexe I respiratoire. Ces mutations produisent un déficit d'activité du complexe I respiratoire, avec, pour résultat, une surproduction d'espèces réactives de l'oxygène (ROS).
Il convient de noter qu'une autre lignée cellulaire tumorale au potentiel métastatique élevé (LuM1 du cancer du côlon) ne contient pas de déficit du complexe I, ce qui suggère que toutes les tumeurs métastatiques ne sont pas associées à ce déficit.
Comment la surproduction des ROS pourrait-elle favoriser les métastases ?
L'équipe met en évidence le rôle d'au moins trois gènes nucléaires. Le déficit du complexe I causé par l'ADNmt muté induit une plus grande expression du gène antiapoptotique MCL-1 (myeloid cell leukemia-1) et de deux gènes de la néoangiogenèse, HIF-1alpha (hypoxia-inducible factor -1alpha) et VEGF (vascular endothelial growth factor), tous trois associés à un potentiel métastatique élevé.
Un piégeur de radicaux libres.
Pour bien prouver que la surproduction des ROS est responsable du potentiel métastatique élevé, les chercheurs ont prétraité in vitro des cellules hybrides hautement métastatiques avec un piégeur de radicaux libres. Ils ont évalué deux piégeurs de radicaux libres, la N-acétylcystéine (NAC), utilisée comme agent anticancéreux dans des modèles précliniques, et l'Ebselen, qui simule la glutathione peroxidase.
L'un ou l'autre de ces traitements abaisse la quantité des ROS, diminue l'expression du gène MCL-1 et réduit le potentiel métastatique des cellules dans les deux modèles murins.
«Nous montrons une nouvelle fonction de l'ADNmt: ses mutations pathogènes induisent des métastases par surproduction de ROS», souligne auprès du « Quotidien » le Dr Hayashi. «L'idée conventionnelle du rôle de l'ADNmt est qu'il encode exclusivement des gènes requis pour la production d'ATP et que ses mutations pathogènes induisent des anomalies de la respiration, entraînant des maladies mitochondriales. Le deuxième point important de notre étude est qu'elle suggère un traitement efficace pour prévenir et supprimer les métastases, en utilisant les antioxydants. »
Ishikawa et coll., « Sciencexpress », 3 avril 2008.
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