SI L'INGESTION d'une dizaine de bactéries de l'espèce Shigella suffit à déclencher une diarrhée aiguë, comment expliquer qu'au moins un million de vibrions du choléra soit nécessaire pour provoquer des symptômes similaires ?
Le nombre minimal de micro-organismes pathogènes nécessaires et suffisants pour provoquer des symptômes est extrêmement variable d'un agent infectieux à l'autre. Mais, jusqu'ici, personne n'a jamais réussi à identifier de manière formelle les facteurs qui déterminent cette variabilité. Deux chercheurs du Wissenschaftskolleg de Berlin proposent justement une hypothèse assez séduisante. La dose infectieuse d'un pathogène donné serait très largement déterminée par les mécanismes biochimiques que le pathogène utilise pour se disséminer dans l'organisme de son hôte.
Selon la théorie de Paul Schmid-Hempel et Steven Frank, les micro-organismes qui utilisent des mécanismes d'action locale auraient des doses infectieuses faibles. Ceux qui agissent à distance via des facteurs de virulence diffusibles seraient au contraire caractérisés par des doses infectieuses élevées.
Dans une communication publiée par la revue « PLoS Pathogens », les deux chercheurs développent leur théorie, exemples à l'appui.
Lorsque les mécanismes de virulence d'une bactérie dépendent d'une protéine qui agit directement sur une cellule hôte avec laquelle le micro-organisme interagit, cette protéine n'a pas besoin d'être présente en grande quantité. Même si très peu de bactéries sont parvenues à pénétrer dans l'organisme hôte, elles sont capables de produire assez de facteurs de virulence pour déclencher une infection symptomatique.
Injecter des protéines de virulence.
Le cas des shigelles est une bonne illustration de ce type de mécanisme. Ces bactéries disposent d'un système de sécrétion dit de type III qui leur permet d'injecter des protéines de virulence directement dans les cellules hôtes. Ces protéines déclenchent alors une cascade de réactions qui permettent aux bactéries de se transloquer à l'intérieur des cellules et de s'y répliquer à l'abri du système immunitaire. Une seule de ces bactéries peut ainsi produire une descendance qui ira infecter les cellules voisines.
Les Listeria utilisent plus ou moins le même type de stratégie. Elles disposent d'une protéine nommée « internaline qui leur permet également d'entrer dans les cellules de l'hôte pour s'y multiplier. L'ingestion d'à peine un millier de bactéries Listeria monocytogenes suffit donc à déclencher une listériose.
Deux autres exemples de bactéries à mécanisme d'action locale associées à une dose infectieuse faible sont les souches de Escherichia coli entérohémorragiques et entéropathogènes. Ces bactéries ont la capacité d'adhérer aux entérocytes pour les détruire rapidement.
La notion de diffusion cache celle de dilution.
A l'opposé de ces quatre cas, il existe des bactéries qui exercent leur pouvoir pathogène en sécrétant des protéines de virulence qui doivent diffuser dans l'organisme hôte pour atteindre leur cible. Or derrière la notion de diffusion se cache celle de dilution. L'efficacité de ce type de système nécessite donc la présence d'une quantité relativement importante de protéines de virulence et, en conséquence, d'une quantité élevée de bactéries susceptibles de synthétiser ces protéines.
Parmi les bactéries agissant à distance, Schmid-Hempel et Frank citent Vibrio cholerae (dose infectieuse ≥ 106) et Bacillus anthracis (dose infectieuse comprise entre 8 000 et 50 000) dont la virulence dépend notamment de la sécrétion de toxines. Ils décrivent aussi le cas des streptocoques qui détruisent les cellules de l'hôte en relarguant une substance cytotoxique nommée pneumolysine et mentionnent finalement les staphylocoques dorés dont la virulence nécessite l'activité de protéines diffusibles qui vont moduler l'activité du système immunitaire de l'hôte.
Schmid-Hempel et Frank espèrent que cette théorie suscitera l'intérêt des microbiologistes et sera prochainement l'objet de tests expérimentaux.
« PLoS Pathogens », octobre 2007, vol. 3, e147.
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