Par le Dr Michel Beaufils*
Dans les années 1980, Barker a émis « l’hypothèse », qui porte toujours son nom, selon laquelle l’environnement intra-utérin jouerait un rôle important dans la détermination du niveau de pression artérielle à l’âge adulte. De fait, dans une large population, il avait constaté une corrélation négative entre le poids de naissance et la pression artérielle à l’âge adulte. Malgré le scepticisme avec lequel cette idée a été reçue à l’époque, Barker a multiplié les études. La dernière, publiée en 2005, constate que les adultes coronariens sont nés avec un petit poids de naissance, étaient minces à l’âge de deux ans et ont rapidement pris du poids ensuite (croissance dite « de rattrapage » ou « catchup growth »). Ce schéma de croissance est associé à une résistance à l’insuline.
A la même époque, Brenner a publié un article au titre provocateur : « Glomérules et pression artérielle : moins de l’un, plus de l’autre ». Sur une argumentation indirecte, il a suggéré que l’hypertension serait la conséquence d’un nombre réduit de néphrons à la naissance, et donc d’une limitation de l’excrétion du sodium. Les deux « hypothèses » se recoupaient donc. Toujours dans les années 80, le même Brenner et son équipe ont élégamment démontré le rôle crucial de l’hyperfiltration dans la genèse de lésions rénales lors d’une réduction néphronique expérimentale (article fondateur republié récemment en fac-similé dans « JASN »), et ont étendu cette idée aux néphropathies humaines. L’hypertension est constante dans ce modèle.
Depuis ce temps, les travaux se sont multipliés, dont les résultats sont plutôt convergents. L’oligonéphronie des hypertendus existe bel et bien. Les études qui le montrent ne sont pas nombreuses, mais très convaincantes. Keller et coll. ont comparé les reins de 10 sujets hypertendus et 10 autres normotendus, décédés dans des accidents de la route, et en tous points comparables par ailleurs. Les hypertendus avaient moitié moins de néphrons que les normotendus, et ces néphrons étaient en hypertrophie compensatrice. Il n’y avait pas d’excès de « pains à cacheter » ou sclérose interstitielle qui aurait suggéré le caractère acquis, du fait d’une néphropathie chronique, de l’oligo- néphronie. Hoy et coll., dans une étude autopsique, ont confirmé la présence d’un nombre réduit de néphrons chez les hypertendus, avec une corrélation inverse entre le nombre et le volume des glomérules, suggérant là encore une hyperfiltration. Hughson et coll., de la même équipe, ont mis en évidence une corrélation entre le nombre de glomérules et les tertiles de poids de naissance. Manalich et coll. ont fait des constatations analogues après analyse de reins de nouveau-nés décédés.
Les études sur le lien entre poids de naissance et risque d’hypertension se sont multipliées, confirmant un risque accru chez les sujets nés avec un petit poids, quels que soient les ajustements statistiques. Law et Schiell ont repris 34 études consacrées au sujet, et constaté leur concordance. A partir de l’étude toute récente d’une cohorte de 25 000 employés d’une grande compagnie britannique, Davies et coll. ont affirmé que « l’association entre le poids de naissance et la pression artérielle est robuste, s’amplifie avec l’âge, et est probablement sous-estimée ». Le même constat a été étendu au diabète de type 2 et à la maladie coronaire.
Cette relation observée dans l’espèce humaine est aisément reproduite chez l’animal, soit par une dénutrition protidique de la mère durant la gestation, soit par une réduction du débit de l’artère utérine. On y retrouve les glomérules moins nombreux et plus volumineux, hyperfiltrants, et l’hypertension précoce.
Le rôle important de la « croissance de rattrapage » a été confirmé dans de très nombreuses études, et expliqué par un hyperinsulinisme. Ce dernier ferait le lit d’un futur diabète de type 2 ou d’un syndrome métabolique.
L’oligonéphronie suppose des mécanismes intra-utérins freinant la néphrogenèse. Les possibilités ne manquent pas. Les rétinoïdes, les stéroïdes, le système rénine-angiotensine, ont été extensivement étudiés. L’activité de l’axe hypothalamo-hypophysaire a été également mise en cause. C’est tout un champ de recherches qui demeure ouvert.
Certes, toutes les hypertensions ne sont pas dépendantes du sodium, et tous les hypertendus ne sont pas nés hypotrophes de mère prééclamptique, ou soumise à une grande famine. Aucune simplification ne serait donc recevable. Néanmoins, le principe d’une programmation durant la vie intra-utérine ne peut plus être nié ni sous-estimé. La croissance de rattrapage qui suit une naissance avec un petit poids en est un satellite essentiel. L’ensemble favorise manifestement les pathologies cardio-vasculaires ultérieures. Par ailleurs, l’oligonéphronie, avec l’hyperfiltration qui l’accompagne, ne peut être qu’un facteur favorisant l’apparition de lésions glomérulaires évolutives. Il pourrait s’agir d’un facteur important dans la genèse des hyalinoses segmentaires et focales. Par ailleurs, nombre d’auteurs n’hésitent plus à en faire le déterminant principal de la « néphro-angiosclérose bénigne ».
* Hôpital Tenon, Paris.
Le lecteur intéressé trouvera des développements et une bibliographie détaillée dans les deux récentes revues de Julie R Ingelfinger : « Curr Opin Nephrol Hypertens » 2004 ; 13(4) : 459-464, et « J Am Soc Nephrol » 2005 ; 16(9) :
2533-2536.
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