Produits chimiques et neurodéveloppement

Doutes sur une pandémie silencieuse

Publié le 19/11/2006
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LES TROUBLES neurodéveloppementaux pédiatriques sont en augmentation dans les pays industrialisés, en particulier l’autisme et les troubles de l’attention avec hyperactivité. P. Grandjean et P.J. Landrigan (Danemark et Etats-Unis) présentent dans le « Lancet » les interrogations que l’on a sur le rôle des produits chimiques dans la survenue de ces troubles.

«Seulement cinq produits chimiques issus de l’industrie –plomb, méthylmercure, biphényls polychlorés (PCB) , arsenic et toluène– sont reconnus en tant que causes de troubles du développement neurologique et de dysfonctionnement cérébral.» L’exposition à ces produits au cours de la vie foetale peut provoquer des dégâts cérébraux à des doses bien inférieures à celles du seuil de toxicité neurologique chez l’adulte. Le placenta n’offre qu’une protection relative contre les produits chimiques indésirables ; aussi observe-t-on dans le sang de cordon une concentration supérieure à celle du sang maternel. La barrière hémato-encéphalique n’est complètement formée, et donc de pleine efficacité, qu’à l’âge de six mois. Le cerveau continue à se développer et reste vulnérable en période postnatale et même pendant toute l’enfance.

Les effets ne sont pas apparents dans les statistiques.

La question de la neurotoxicité infraclinique est posée. C’est celle de déficits chez des enfants ayant eu des expositions prénatales, à des doses non toxiques chez les adultes, et postnatales, sur des systèmes nerveux en développement. Pour le plomb, le mercure et les PCB, une neurotoxicité infraclinique commence à être sérieusement documentée par des données internationales. «L’ensemble des éléments dont on dispose suggère l’existence d’une pandémie silencieuse des troubles neurodéveloppementaux causée par les produits chimiques industriels. Bien que ces produits aient pu causer des altérations du développement chez des millions d’enfants dans le monde, les effets de cette pandémie ne sont pas apparents dans les statistiques de la santé que l’on peut consulter.»

Les effets complets de notre activité industrielle pourraient être bien supérieurs à ce qui est reconnu à présent.

Plomb, QI et comportement.

Les études sur le plomb inorganique montrent que les expositions croissantes sont responsables de l’érosion des aptitudes cognitives, et notamment du QI. Et aussi de troubles du comportement : troubles de l’attention, impulsivité, agressivité, réduction de la coordination motrice, troubles de la mémoire, du langage (conclusions argumentées par des observations chez des enfants et des adultes soumis à des expositions élevées). Presque tous les enfants nés entre 1960 et 1980 dans les pays industrialisés ont été exposés à des quantités non négligeables de plomb provenant du pétrole. Mais les effets ne se restreignent pas aux seules nations développées ; on sait que des toxiques tels que des pesticides dangereux, désormais interdits dans les pays industrialisés, sont exportés vers les pays en développement.

«En dépit de l’absence d’études systématiques, de nombreux produits chimiques se sont révélés neurotoxiques sur des modèles de laboratoire.»

Les auteurs présentent dans leur article les résultats d’une recherche, dans des banques de données médicales américaines, des produits chimiques identifiés pour avoir causé des effets neurotoxiques et croisent ensuite les résultats avec PUBMed, TOXNET et TOXLINE. Ils établissent une liste de 201 produits « connus pour leur neurotoxicité humaine ».

Combler le manque d’évaluation.

Pour en citer quelques-uns, il y a des métaux (aluminium, baryum, fluor, lithium, bismuth, nickel, manganèse…), des solvants organiques (acétone, benzène, cyclohexane, éthylène glycol, méthanol, styrène…), des substances organiques (acétone, acrylamide, aniline, acide fluoroacétique, hydroquinone, méthylmétacrylate, phénol, des phosphates…), et un grand nombre de pesticides.

«Les effets toxiques sur les cerveaux humains ne sont pas connus et il n’y a pas de régulation de l’utilisation pour la protection des enfants.» Il reste beaucoup de travail à faire, et en premier lieu combler le manque d’évaluation de la neurotoxicité des produits chimiques industriels, alors que l’on sait qu’un haut niveau de preuves est requis pour une réglementation. «Dès à présent, il est urgent de mettre en place des principes de précaution qui tiennent compte de la vulnérabilité spécifique du cerveau en développement».

« The Lancet », publication en ligne le 8 novembre 2006.

> Dr BÉATRICE VUAILLE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8054