Un entretien avec le Pr Françoise Galateau-Salle*
LE QUOTIDIEN – Quelle est aujourd’hui la situation épidémiologique du mésothéliome en France ?
Pr GALATEAU-SALLE - Très clairement, la tendance est à la hausse : le nombre de malades est ainsi trois fois plus élevé chez les hommes nés en 1943 que chez les hommes nés en 1913, et cinq fois plus élevé chez les femmes nées en 1943 que chez les femmes nées en 1923.
Selon le Programme national de surveillance du mésothéliome (Pnsm), l’incidence entre 1998 et 2000 était de 608 nouveaux cas par an chez l’homme et de 119 chez les femmes. Ces chiffres sont légèrement inférieurs aux 671 nouveaux cas masculins et 200 nouveaux cas féminins, répertoriés par le réseau Francim (France cancer incidence mortalité). Mais l’écart s’explique par la procédure de certification appliquée dans le Pnsm (voir encadré). Globalement, l’évolution reste plutôt inférieure à ce qui était attendu. Néanmoins, la prévision de dizaines de milliers de cas à l’horizon 2020 n’est pas revue à la baisse. La vraie surprise de ces chiffres est en effet l’augmentation d’incidence très rapide constatée chez les femmes. Aujourd’hui, avec un taux annuel moyen de progression de 6,38 %, le mésothéliome est le cancer qui progresse le plus vite dans la population féminine. Chez l’homme, l’évolution d’incidence du mésothéliome (+ 4,76 %) vient en quatrième position, derrière celles du mélanome et des cancers de la prostate et du foie.
Pour rendre compte de cette évolution très rapide chez les femmes, dont l’exposition professionnelle est restée très inférieure à celle des hommes, il faut probablement envisager l’intervention de cofacteurs, ou de phénomènes spécifiques à la population féminine.
Quoi qu’il en soit, les prédictions sont maintenues ; seul le sex-ratio pourrait être remis en cause.
Où en est actuellement la surveillance des retraités de l’amiante ?
Nous ne disposons pas encore d’outils pour réaliser une véritable surveillance. L’imagerie n’est pas appropriée, comme l’a montré une étude réalisée en 2004-2005 en France, chez plus de 15 000 personnes exposées. La moitié de ces personnes ont été suivies par scanner, dont l’objectif principal est la mise en évidence de plaques pleurales, qui ouvre des avantages sociaux. Mais le scanner n’est pas un outil de dépistage : l’examen devrait être répété trop fréquemment.
Comme l’anatomopathologie ne permet pas, pour le moment, de reconnaître les états précancéreux dans la plèvre, et que le prélèvement, très traumatisant, ne peut être effectué que chez les sujets ayant une pleurésie, on voit que l’on est loin d’un dépistage et d’une prise en charge précoce.
Et quelles sont les perspectives ?
Un projet hospitalier de recherche clinique national (Phrc) est en cours pour évaluer l’intérêt de deux marqueurs de la maladie : l’ostéopontine et, surtout, la mésothéline, beaucoup plus spécifique, quoique également exprimée dans les cancers du pancréas et de l’ovaire. On note qu’il s’agit apriori de marqueurs sériques, mais il pourrait être utile de les rechercher dans les épanchements.
Pour le moment, les principaux résultats proviennent des travaux de l’Australien Robinson (1). Ils situent la sensibilité de 80 % et la spécificité à 95 %. Avec de tels chiffres, il n’est pas raisonnable d’envisager un dépistage pour l’ensemble des sujets antérieurement exposés à l’amiante. Une simulation sur les hommes de plus de 60 ans a permis d’établir que le nombre de faux positifs serait beaucoup trop élevé par rapport au nombre de cas dépistés. S’il n’est pas pensable d’utiliser ce test à grande échelle, l’intérêt du dépistage mériterait en revanche d’être évalué dans des populations ciblées, très fortement exposées.
Le pronostic du mésothéliome est-il toujours aussi sombre ?
Malheureusement, oui. Faute de dépistage, le diagnostic de la maladie est tardif. Et si l’on excepte de très rares cas de survie prolongée dans des formes diffuses, le malade meurt dans l’année. Le pronostic est équivalent chez les hommes et chez les femmes ; la survie est par ailleurs légèrement plus longue chez les sujets jeunes, en l’absence d’exposition professionnelle, ainsi que dans les formes épithélioïdes par rapport aux formes biphasiques ou sarcomatoïdes. Mais la maladie étant résistante à pratiquement tous les traitements, y compris la radiothérapie qui n’a pas d’indication thérapeutique, la médiane de survie, toutes formes confondues, n’excède pas neuf mois.
A ce jour, la seule démonstration d’efficacité concerne l’Alimta (pemetrexed), qui améliore la qualité de vie et la survie. Cette amélioration de survie reste toutefois marginale.
Peut-on, malgré tout, signaler des évolutions ?
Les choses ont progressé sur le plan de la prise de conscience et de la reconnaissance médico-légale. L’important, maintenant, est de multiplier les projets de recherche, sur le modèle de ce qui est entrepris pour le dépistage. Tant qu’on ne saura pas reconnaître les états précancéreux, notamment, et tant qu’on n’aura pas compris les mécanismes de résistance de la tumeur, on n’avancera pas. La difficulté est le financement, puisque, malgré son augmentation, le mésothéliome reste rare et attire peu d’investissements privés. Nous le considérons comme maladie orpheline, et il serait nécessaire, en France, de compléter le soutien financier apporté par les pouvoirs publics.
* Laboratoire d’anatomie pathologique, CHU de Caen.
Responsable du volet anatomopathologique du Programme national de surveillance du mésothéliome.
(1)Robinson BW, Creaney J, Lake R et coll. Mesothelin-Family Proteins and Diagnosis of Mesothelioma. «Lancet » 2003 ; 362 (9366) : 1612-1616.
Une procédure de certification
Une procédure de certification du diagnostic de mésothéliome a été formalisée en 1995, et renforcée depuis 1998 avec la mise en place d’un volet immunohistochimique. L’expertise anatomopathologique se complète par ailleurs d’une expertise des expositions professionnelles antérieures à l’amiante. «Il s’agit d’une structure très performante, permettant un haut niveau d’expertise», explique le Pr Galateau-Sallé. «Spécifique à la France, et soutenue par les pouvoirs publics, elle est ouverte à tous. Elle apporte une aide aux cliniciens, ainsi que pour les procédures de reconnaissance médico-administrative (maladie professionnelle, indemnisation par la Fiva).»
En pratique, l’expertise anatomopathologique conduit à déclasser environ 12 % des cas déclarés, mais l’enquête professionnelle permet le cas échéant d’imputer formellement la maladie à l’amiante.
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