1. Quand les médias font passer d’une extrémité à l’autre
Personne ne songe à nier l’importance de l’étude WHI, en raison de sa taille et de son protocole ; il s’agit bien de la première grande étude prospective, randomisée et contrôlée. Cela dit, beaucoup d’experts gynécologues font remarquer les spécificités très importantes de l’étude : femmes relativement âgées (en moyenne 63 ans), deux tiers d’entre elles étant obèses ou en surcharge pondérale, beaucoup cumulant plusieurs facteurs de risque cardio-vasculaire (en fait, l’étude était désignée pour mettre en évidence un éventuel effet protecteur du THS) ; par ailleurs, le THS utilisé dans WHI (estrogènes conjugués équins per os et acétate de médroxyprogestérone) est très différent de celui qui est utilisé en France, certaines études récentes montrant l’importance de ces différences pour les risques vasculaires et de cancer du sein.
Or, constatent tous les médecins présents, aucune de ces nuances n’a été représentée par les médias grand public qui ont largement diffusé un message globalisant, lapidaire, dramatisant. Dans ce contexte, il n’était bien sûr pas question de mentionner les effets positifs montrés par WHI (réduction significative du risque de fracture du col et aussi du risque de cancer du côlon).
MWS : pourquoi autant de bruit ?
Mais, redisons-le, la quasi-totalité des experts gynécologues reconnaissent l’importance de WHI, même s’ils en dénoncent la présentation médiatique. Il n’en va pas de même pour la MWS (Million Women Study) qui a été très médiatisée en 2003, alors même qu’elle présente plusieurs biais méthodologiques (étude rétrospective faite sur des bases déclaratives, auprès de femmes venant dans des cabinets de radiologie pour dépistage du cancer du sein). De même, ces experts déplorent que cette pression médiatique ait conduit les autorités de tutelle à mettre quasiment sur le même plan WHI et MWS.
La défense a du mal à se faire entendre. La surmédiatisation de ces deux études est à mettre en parallèle avec la non-médiatisation ou la présentation hyperprudente des études qui suggèrent que tous les THS ne sont pas équivalents, qu’il s’agisse du risque de cancer du sein ou du risque cardio-vasculaire : résultats complémentaires de WHI, étude française E3N (qui assure pourtant le même niveau de presse que MWS) ou Esther. Ainsi pour E3N, plutôt que d’évoquer l’absence de surrisque de cancer du sein avec l’association estrogènes percutanés-progestérone naturelle micronisée, plusieurs médias n’ont retenu que l’augmentation globale du risque, tous THS confondus. Une prudence médiatique assez inhabituelle, soulignent ironiquement plusieurs experts. Une prudence qui prévaut également au niveau des recommandations officielles.
2. Une qualité de vie qui a (inutilement) régressé
Faut-il rappeler qu’une femme occidentale passe le tiers de sa vie après la ménopause, phénomène qui ne peut que s’amplifier avec l’augmentation de l’espérance de vie ? En France, on estime qu’il y a environ 10 millions de femmes ménopausées et que, chaque année, de 300 000 à 500 000 atteignent l’âge de la ménopause. Certes, toutes ne présentent pas des troubles climatériques, même si une récente étude française (2005), menée chez des femmes âgées de 52 à 60 ans, retrouve un pourcentage proche de 75 %. Une estimation plausible d’autant que les troubles vasomoteurs ne résument pas la symptomatologie. Les fonctions cognitives et affectives sont fréquemment altérées et les troubles du sommeil sont présents chez un tiers des femmes. Plusieurs soulignent également la fréquence des douleurs muscu- lo-squelettiques et de la prise de poids.
Tous les gynécologues animant ces rendez-vous rappellent qu’un traitement hormonal bien adapté conduit à la disparition ou à la diminution de la plupart des troubles vasomoteurs et fonctionnels dont se plaignent les femmes. Tous soulignent l’efficacité moindre, et limitée aux bouffées de chaleur, des traitements non hormonaux. En outre, s’agissant des phytoestrogènes, l’Afssaps a souligné que «la fiabilité de ces produits n’est pas garantie et leur sécurité n’a pas été évaluée... S’ils peuvent avoir une action sur les bouffées de chaleur, ils présentent les mêmes risques que les estrogènes»... En réalité, il n’y a pas de vraie alternative au THS s’agissant du traitement des troubles climatériques. La quasi-totalité des généralistes font la même analyse, mais... L’évolution du marché de la ménopause montre que, depuis 2002 (étude WHI), la consommation d’estrogènes et de progestatifs a été divisée par plus de deux. Une étude réalisée en 2005 confirme ce recul brutal du THS : 47 % des femmes n’ont jamais reçu ce traitement (alors que 75 % présentent des troubles climatériques) et 90 % de celles qui ont arrêté le THS ne le reprennent pas, alors que 81 % enregistrent une aggravation ou une réapparition de leur symptomato- logie... «La peur est telle qu’elles préfèrent souffrir en essayant, sans grand résultat, les alternatives au THS», se désespère Brigitte Letombe (Lille).
3. Cancer du sein : attention aux amalgames
On sait la médiatisation des études WHI et MWS, et si nul ne conteste la méthodologie de WHI, tous les leaders font remarquer les défauts méthodologiques de MWS (enquête rétrospective chez des femmes venant pour dépistage systématique du cancer du sein), «ce qui n’a pas empêché sa prise en compte dans la rédaction des recommandations».
Même pour WHI (grande étude prospective, randomisée, contrôlée, versus placebo) portant sur de nombreuses patientes (24 000 environ), «il est juste de dire que le THS utilisé (estrogènes équins per os et acétate de médroxyprogestérone) n’est pas celui qui est habituellement prescrit en France. De même, la population étudiée était bien particulière: âge élevé (environ 65ans), 30% d’obèses» (Pr Jacques Blanc, Marseille). «Or, fait remarquer le Pr Patrice Lopes (Nantes), si nos choix doivent être guidés par l’EBM et par les grandes études, il faut être prudent quand on généralise les résultats de ces dernières car, alors, on ne tient pas compte des spécificités des populations étudiées, des molécules utilisées, des voies d’administration et des schémas thérapeutiques utilisés...»
Force est de constater que la surmédiatisation de WHI n’a pas tenu compte de ces nuances. De plus, la présentation des résultats n’est pas neutre, soulignent tous les leaders : tout le monde a retenu que le risque relatif (RR) était de 26 % sous THS mais on n’a pas lu ou entendu que, dans la population âgée étudiée, le risque absolu passe de 32 à 38 (+ 6) pour 10 000 femmes suivies pendant cinq ans. Enfin, on n’a pas positionné ce RR (1,26) par rapport à ceux liés à l’obésité (1,60), aux premières grossesses tardives (1,48), comme le souligne le Dr Michel Mouly (Paris).
En un mot, tout a été fait pour noircir le tableau et transformer des précautions indispensables en phobie du THS, même dans le cadre des recommandations pourtant très prudentes.
La faible médiatisation d’E3N.
Comment ne pas faire la comparaison avec la faible médiatisation des résultats de l’étude française indépendante E3N, belle étude de cohorte (niveau de preuve équivalent à celui de MWS) qui a inclus près de 100 000 femmes «plutôt minces, jeunes et éduquées, ce qui correspond plus au profil des femmes que nous traitons» (Pr Jean Lévêque, Rennes), avec un suivi moyen de 7,7 ans (dont environ cinq ans pour les femmes traitées). On sait que cette étude montre que si, globalement, il y a une augmentation du risque de cancer du sein (+ 40 %), cette augmentation n’est observée que pour les estrogènes seuls (au-delà de quatre ans d’utilisation) et pour l’association estrogènes-progestatifs de synthèse, même pour de courtes durées d’utilisation. En revanche, l’association d’estrogènes et de progestérone naturelle micronisée ne majore pas le risque de cancer du sein (RR = 1), après plus de cinq ans de traitement.
Or, malheureusement, certains médias n’ont retenu que l’augmentation globale du risque (pour les rares qui ont daigné parler d’E3N). La prudence, quand il s’agit de rassurer, n’est visiblement pas la même que quand il s’agit d’alarmer, se plaignent la plupart des leaders. Une frustration d’autant plus vive que, pour eux, de nombreux travaux suggèrent que tous les estrogènes et tous les progestatifs ne sont pas équivalents en matière de risques vasculaires et de cancers du sein.
La dernière analyse de l’Afssaps (juillet 2006) prend pourtant en compte les résultats d’E3N, même si la formulation est très prudente : «Le risque d’augmentation de cancer du sein a surtout été démontré avec certains types de THM pris par voie orale. Le risque n’est peut-être pas le même avec tous les produits. Une étude française récente suggère qu’il est plus faible avec un estrogène associé à la progestérone micronisée pour une durée d’environ cinq ans...»
4. Ostéoporose, risque vasculaire : des questions en suspens
Avant WHI, la prévention des complications de l’ostéoporose était l’un des objectifs principaux du THS. Il faut dire que le rationnel était fort, comme le reconnaît encore aujourd’hui l’Afssaps : «De nombreuses études montrent que les estrogènes freinent l’accélération de la perte osseuse survenant après la ménopause. Cela explique pourquoi le THS peut diminuer le risque de fractures du col du fémur et vertébrales. Il est établi que les femmes qui prennent un THS ont moins de fractures du col et vertébrales que celles qui n’en ont jamais pris. Dès l’arrêt du traitement par le THS, la perte osseuse reprend et le risque de fracture se rapproche de celui des femmes non traitées.»
Malgré cela, l’Afssaps souligne que «le THS ne doit pas être instauré systématiquement pour prévenir l’ostéoporose et le risque de fracture. Seul votre médecin peut décider de l’intérêt de vous prescrire un THS si vous avez un risque élevé d’ostéoporose et donc de fracture». Plusieurs leaders gynécologues reconnaissent le faire plus ou moins souvent, après analyse du rapport bénéfice/risque pour chaque patiente, cette dernière choisissant de se traiter ou non après information claire et complète. Certains déplorent même que les recommandations ne définissent pas mieux les places respectives des traitements proposés dans l’ostéoporose. Chez les généralistes, la prudence est à l’ordre du jour, très peu reconnaissant prescrire des THS en dehors des troubles climatériques, la seule indication reconnue par l’Afssaps.
Pour beaucoup de gynécologues leaders, la vraie surprise (mauvaise) apportée par WHI concerne l’augmentation de la morbi-mortalité cardio-vasculaire (d’ailleurs l’étude avait été « désignée » pour essayer de mettre en évidence un bénéfice). Aucun expert ne remet en cause la rigueur méthodologique de WHI. Par contre, tous soulignent que les produis utilisés dans WHI (estrogènes conjugués équins per os et acétate de médroxyprogestérone) ne sont pas ceux qui sont préconisés en France (estrogènes percutanés et progestérone naturelle micronisée).
Surtout, le recrutement de WHI est bien particulier : l’âge moyen est de 65 ans et un tiers, seulement, des femmes ont un âge correspondant à celui où l’on débute généralement le THS (un quart affichent plus de vingt ans de ménopause !).
Or, soulignent plusieurs experts, des études expérimentales suggèrent que l’âge d’introduction des estrogènes est déterminant : précocement, ils semblent ralentir le développement de l’athérosclérose alors que, quand les plaques d’athérome sont constituées, ils peuvent favoriser leur rupture. Des études cliniques sont en cours pour vérifier cette hypothèse.
Les enseignements d’Esther.
En ce qui concerne le risque thromboembolique veineux (Rtev), l’étude multicentrique française coordonnée par l’Inserm (Pr Scarabin) a apporté des enseignements précieux. Cette étude cas-témoins (155 premiers événements et 381 témoins appariés), chez des femmes ménopausées âgées de 45 à 70 ans (étude Esther), montre qu’il n’y a pas d’augmentation du Rtev avec les estrogènes cutanés, alors que le risque est multiplié par 3,5 avec les estrogènes oraux, ce risque étant majoré chez les femmes à risque (obésité, troubles de la coagulation).
De nouveaux résultats d’Esther suggèrent que les progestatifs jouent également un rôle à ce niveau, la progestérone naturelle micronisée et les dérivés prégnanes ne majorant pas le risque, contrairement aux dérivés norprégnanes.
Au total, il apparaît de plus en plus que l’on ne peut pas amalgamer tous les estrogènes et tous les progestatifs (comme pour le risque de cancer du sein) et que les recommandations actuelles ne sont pas figées, étant amenées à évoluer quand la recherche aura répondu aux questions en suspens.
(1) Réunions organisées avec le soutien institutionnel des Laboratoires Besins International, présidées par les Dr Brigitte Letombe (Lille), Dr Florence Trémollières (Toulouse), Pr Jean-Jacques Baldauf (Strasbourg), Pr Bernnard-Jean Blanc (Marseille), Pr Jean Lévêque (Rennes), Pr Patrice Lopes (Nantes), Dr Guy Masson (Nîmes), Dr Michel Mouly (Paris).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature