Modulation de l’insulinosécrétion

Une nouvelle voie thérapeutique

Publié le 11/10/2006
Article réservé aux abonnés

Par le Pr Henri Gin*

LA CONCEPTION classique de l’insulinosécrétion est une relation directe entre le niveau glycémique et la sécrétion pancréatique, en sachant que la glycémie est aussi le résultat de l’action de l’insuline sur ses tissus cibles (notion d’insulinorésistance ou d’insulinosensibilité). Cette analyse de la physiologie conduit en thérapeutique à chercher à améliorer l’action de l’insuline sur les tissus cibles grâce aux médicaments de l’insulinorésistance et à augmenter la quantité d’insuline circulante grâce aux médicaments de l’insulinosécrétion.

GIP, GLP1 et DPP4.

La réalité physiologique est beaucoup plus complexe, faisant, entre autres, intervenir le concept d’ « effet incrétine ». Celui-ci fut démontré en 1985 par Creutzfeldt, qui a mis en évidence que, chez un sujet, une même quantité de glucose, donnée par voie orale ou par voie veineuse, ne conduit pas aux mêmes niveaux d’excursion glycémique ; les niveaux les plus faibles (donc les meilleurs) sont obtenus avec la prise orale, alors que, en même temps, les insulinémies sont plus élevées. Tout se passe comme si un facteur méconnu avait favorisé le potentiel insulinosécréteur du pancréas sous l’influence de la prise alimentaire, ou de la mise en jeu de la voie digestive. Le concept d’effet incrétine était né.

Les recherches en physiologie ont alors permis de mettre en évidence les acteurs de ce concept ; il s’agit essentiellement de deux produits, le GIP (glucose-dependant insulinotropic polypeptide) et le GLP1 (Glucagon-Like Peptide 1), qui sont des molécules de structure protéique synthétisées par le tissu digestif (l’estomac et l’iléon surtout proximal essentiellement pour le GLP1) et qui potentialisent l’effet insulinosécréteur que la glycémie exerçait sur les cellules B. Le GLP1 est produit par les cellules L de l’iléon et du côlon ; son action passe par une liaison à des récepteurs spécifiques. Ce produit de sécrétion intestinale est resté longtemps méconnu car il est très vite dégradé en métabolique inactif par des enzymes, les dipeptyl-peptidases-4 (DPP4). L’effet insulinosécréteur du GLP1 dépend du niveau glycémique, ce qui assure une insulinosécrétion autorégulée. En outre, le GLP1 inhibe la sécrétion de glucagon, ralentit la vidange gastrique, diminue la sécrétion acide gastrique et diminue la prise alimentaire. Les effets sont multiples et, dans l’ensemble, vont dans le bon sens pour la prise en charge du diabète de type 2.

La recherche en thérapeutique s’est alors appliquée à développer des produits susceptibles d’être efficaces chez le patient diabétique de type 2. Le recours au GLP1 lui-même est rapidement apparu comme inefficace du fait de sa demi-vie excessivement courte (de l’ordre de la minute) et de sa dégradation quasi immédiate après injection dans l’organisme. Plusieurs stratégies thérapeutiques ont ensuite été développées : une fondée sur le GLP1 lui-même, consistant à obtenir des analogues résistants ou du GLP1 administré en continu, l’autre tournée vers les dipeptidases, inhibant ces dipeptidases de manière à augmenter la demi-vie du GLP1 naturellement produit.

Les produits en développement.

Des molécules fondées sur l’allongement du GLP1 par d’autres structures de type albumine ou acide gras ont été développées, l’objectif étant essentiellement de ralentir l’élimination par voie rénale. Des traitements par infusion continue de GLP1 se sont aussi montrés efficaces. Mais la mise en évidence dans la salive d’un lézard (Gila Monster) d’une molécule qui avait une analogie importante avec le GLP1, une action agoniste sur les récepteurs du GLP1 et une résistance à la dégradation des dipeptidases a été une découverte majeure. Ce produit (exenatide) est en voie de développement et a fait preuve de son effet dans la prise en charge des patients diabétiques de type 2.

Un autre développement moléculaire s’est fait par la modification de la molécule de GLP1 en lui fixant une chaîne d’acides gras (C16 : acide palmitoyl) qui permettent d’allonger de manière considérable sa demi-vie. Ce produit a lui aussi fait preuve de son effet dans la prise en charge du diabète de type 2.

La stratégie opposée a consisté à développer des molécules susceptibles de ralentir l’action ou d’inhiber les dipeptidases 4. Plusieurs molécules de ce type sont actuellement en cours de développement et ont fait preuve de leur effet chez le patient diabétique de type 2.

Si, en termes de résultats, les premiers essais ne semblent pas montrer de grandes différences entre la stratégie GLP1 ou analogues et la stratégie inhibition de sa dégradation par les dipeptidases, les grandes différences se trouvent dans le fait que le GLP1 et ses analogues doivent être utilisés par voie injectable, alors que les inhibiteurs des dipeptidases peuvent être utilisés par voie orale.

A côté du bénéfice sur le contrôle glycémique chez le patient diabétique de type 2, un certain nombre d’autres effets sont à prendre en compte et à développer sur le plan thérapeutique.

Il s’agit de l’effet pondéral (soit par action directe, soit par modulation de l’appétit) et d’un effet antiapoptotique, et régénérateur des cellules b. Mais il ne s’agit là que d’hypothèses, que des essais prolongés doivent permettre de confirmer ou non.

Les hyperglycémies du matin.

Enfin, l’effet incrétine se caractérise par le fait que le niveau glycémique lui-même influence la sécrétion pancréatique. Cette donnée, peu développée actuellement, peut avoir un intérêt certain dans le cas du diabète de type 2. Celui-ci se caractérise par une tendance à la production hépatique exagérée de glucose, particulièrement en fin de nuit, responsable d’une hyperglycémie de fin de nuit et du réveil. Chacun d’entre nous connaît les difficultés thérapeutiques face à cette situation. Si vraiment le GLP1 est autorégulé par la glycémie, ce problème thérapeutique du contrôle de l’hyperglycémie à jeun (très particulier dans le diabète de type 2) devrait être amélioré.

Au total, au-delà des concepts de médication de l’insulinorésistance et de médication de l’insulinosécrétion, vont apparaître des molécules susceptibles de moduler l’insulinosécrétion elle-même. Bien sûr, pour que ces thérapeutiques soient efficaces, il faut que persiste une fonction pancréatique résiduelle ; elles s’adresseront donc aux patients diabétiques de type 2 tant que ceux-ci possèdent encore une fonction pancréatique résiduelle.

* Université Bordeaux-II

GIN Henri

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8028