IL EST ARRIVÉ, en médecine, que des catastrophes ou des accidents permettent aux connaissances de progresser, par le biais d’une expérimentation humaine bien involontaire. C’est ce à quoi pourrait conduire «l’incident de Camelford» en Cornouailles (Royaume-Uni), survenu en 1988 : en savoir davantage sur l’implication de l’aluminium dans l’apparition d’une maladie d’Alzheimer.
En juillet 1998, 20 tonnes de sulfate d’aluminium ont été déversées accidentellement dans une source d’eau potable. Près de 20 000 personnes ont ainsi consommé une eau dont les concentrations en aluminium étaient de 500 à 3 000 fois plus élevées que cela est toléré (0,2 mg/l). Parmi elles, le cas d’une femme, âgée de 44 ans à l’époque, fait l’objet d’une description dans le « Journal of Neurology, Neurosurgery and Psychiatry ». Elle est décédée en avril 2004, à 59 ans, d’une maladie d’Alzheimer fulgurante.
Détérioration mentale en quelques mois.
En mai 2003, elle avait été vue en consultation pour une détérioration mentale remontant à quelques mois : difficultés à trouver ses mots, dyscalculie pour des opérations simples, hallucinations visuelles. Elle se plaignait en outre de céphalées. Les médecins l’avaient trouvée incapable de nommer des objets, d’obéir à des ordres simples. Un scanner réalisé alors montrait des zones ischémiques de la substance blanche.
En février 2004, survenait une aphasie, avec un tonus augmenté des membres inférieurs. La détérioration a continué jusqu’au décès en avril suivant.
L’examen anatomopathologique a conclu à une forme rare d’angiopathie ß-amyloïde sporadique à début précoce. Elle touchait les vaisseaux du cortex cérébral et leptoméningés (cérébraux et cérébelleux). De plus, des taux très élevés d’aluminium ont été constatés dans les secteurs corticaux les plus atteints. Mais C. Exley et M.M. Esiri, qui rapportent cette observation, précisent : «La présence d’aluminium n’est probablement pas fortuite, mais il est impossible de déterminer son rôle dans la neuropathologie observée.»
Les auteurs admettent bien volontiers qu’il s’agit d’une angiopathie ß amyloïde sporadique ayant évolué sur un mode tout à la fois extrêmement inhabituel et très sévère. Ils ajoutent avoir relevé la présence de corps de Loewy, ce qui a déjà été décrit dans les maladies d’Alzheimer, notamment à début précoce. A l’encontre de l’hypothèse toxique, chez la patiente, son génotype ApoE4 epsilon 4/4 est connu pour être associé à des Alzheimer à début précoce.
L’argumentation en faveur de l’intoxication par l’aluminium ne peut dès lors reposer que sur les données de la littérature. Malheureusement, à la connaissance des médecins britanniques, l’aluminium n’a jamais été dosé au cours des Alzheimer à début précoce, pas plus qu’il n’a été associé au génotype ApoE. Mais des taux élevés d’aluminium cérébral ont déjà été notés, focalement, au cours de la maladie d’Alzheimer. Le métal est impliqué dans l’agrégation des protéines ß amyloïdes en feuillets bêta. «Il est possible que les taux élevés d’aluminium dans le cerveau soient la conséquence de l’exposition antérieure à des concentrations extrêmement élevées dans l’eau de boisson…, mais cela reste à confirmer auprès d’autres personnes parmi celles qui ont été exposées.» Un suivi neurologique, essentiellement au plan cognitif, des « survivants » pourra confirmer l’hypothèse toxique.
Ce cas soulève une question, que pose D.P. Perl (New York), dans un éditorial. Une exposition massive, mais de courte durée, peut-elle avoir été responsable de l’apparition de la neurodégénérescence ? «L’association entre aluminium et maladie d’Alzheimer est une longue histoire pleine de controverses.» Des lapins soumis à des sels d’aluminium ont produit expérimentalement des neurofilaments. Ce qui a conduit à mettre en évidence des taux élevés de ce métal dans le cerveau de patients décédés de maladie d’Alzheimer, tout particulièrement dans les zones riches en neurofibrilles. D.P. Perl l’a même mis en évidence dans les neurones riche en neurofibrilles. Il conclut que la responsabilité d’un excès d’aluminium dans l’environnement dans l’apparition d’une maladie d’Alzheimer demeure pour le moins controversée.
« J Neurol Neurosurg Psychiatry » 2006.
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