PRODUIRE de l’artémisinine en grande quantité, rapidement et à moindre coût pour pouvoir traiter les 400 à 600 millions de cas de paludisme recensés chaque année dans le monde. Tel est le défi qu’une équipe de chercheurs de l’université de Californie tente actuellement de remporter. Pour y parvenir, leur stratégie se fonde sur l’utilisation des biotechnologies et d’une usine à médicaments vivante, la levure Saccharomyces cerevisiae.
Dans un article publié par la revue « Nature », Ro et coll. résument aujourd’hui la première phase de leurs travaux. Les chercheurs ont d’ores et déjà réussi à produire une souche de levure capable de synthétiser de l’acide artémisinique, le précurseur direct de l’artémisinine. Cette substance est retrouvée à raison de 4,5 g par 100 g de levures sèches. Pour comparaison, 100 g d’armoise séchée de la variété Artemisia annuaL. ne contient que 1,9 g d’acide artémisinique et 0,16 g d’artémisinine.
Résistances de Plasmodium falciparum.
Par ailleurs, alors que la production de quelques grammes d’acide artémisinique à partir de l’armoise nécessite une culture de plusieurs mois, le précurseur de l’antipaludéen peut être obtenu en seulement quatre ou cinq jours avec les levures. Ro et coll. espèrent encore améliorer le rendement de production de leurs levures de manière que leur système conduise à une réduction significative du coût des traitements à base d’artémisinine.
L’épidémie de paludisme est en pleine expansion. Cette recrudescence est largement liée à la généralisation des résistances du parasite Plasmodium falciparum à la choloroquine et aux autres antipaludéens classiques (sulfadoxine-pyriméthamine et méfloquine). L’artémisinine et ses dérivés (artéméther et artésunate) pourraient permettre de venir à bout de ce problème car la molécule est très efficace, y compris sur les souches multirésistantes. Elle est en outre très bien tolérée, même chez les enfants.
Hauts plateaux chinois et vietnamiens.
Malheureusement, l’artémisinine est relativement difficile à produire. Naturellement, elle ne peut être obtenue qu’à partir de plants d’une variété d’armoise particulière, cultivés dans les conditions de sol et de climat des hauts plateaux chinois et vietnamiens. La capacité actuelle de production est de cinq à six tonnes par an alors que la quantité nécessaire serait de l’ordre de 300 tonnes.
C’est la raison pour laquelle Ro et coll. ont décidé de mettre au point un système alternatif de synthèse de l’artémisinine.
La voie de biosynthèse de l’acide artémisinique peut être divisée en deux parties. Au cours de la première, des sucres simples sont transformés en farnésyl-pyrophosphate (FPP). Les molécules de FPP produites peuvent (i) s’engager dans une voie qui conduira à la formation de stérols ou (ii) être transformées en amorphadiène par l’amorphadiène syntéthase (ADS). Dans la deuxième partie de la voie de biosynthèse, les molécules d’amorphadiène sont oxydées en trois étapes pour finalement donner de l’acide artémisinique.
Introduit dans le génome de la levure.
Ro et coll. ont modifié le génome d’une souche de levure S.cerevisiae de sorte qu’elle produise davantage de FPP. Ils ont également fait en sorte que la quasi-totalité des molécules FPP produites soit transformée en amorphadiène, et non pas en stérol. Les chercheurs ont enfin cloné le gène de la cytochrome monooxygénase responsable de la triple oxydation de l’amorphadiène chez l’armoise et l’ont introduit dans le génome de la levure.
L’ensemble de ces modifications les a conduits à l’obtention de levures qui produisent une quantité relativement importante d’acide artémisinique. La molécule est sécrétée vers l’extérieur des cellules de levure, mais elle reste accrochée à leur membrane. Un système d’élution sur colonne permet de la détacher et de la purifier très facilement.
Ce travail démontre l’intérêt de la levure dans la production de l’artémisinine. Le rendement de production du système tel qu’il existe actuellement est encore trop faible pour être rentable, mais les chercheurs pensent réussir à l’améliorer considérablement.
Ro et coll. insistent en outre sur le fait que le fonctionnement de leur système présente l’intérêt de ne pas dépendre de facteurs ingérables tels que les conditions météorologiques ou le climat politique des régions où l’armoise pousse facilement.
D.-K. Ro et coll., « Nature » du 13 avril 2006, pp. 940-943.
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