Troubles des apprentissages

Le repérage des dyslexies développementales

Publié le 23/11/2005
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L'APPELLATION « dyslexie développementale » désigne un trouble spécifique d'apprentissage de la lecture. Un sujet est considéré comme dyslexique s'il a un retard en lecture (évalué par un test étalonné) d'au moins dix-huit mois, avec une intelligence normale, en l'absence de carence affective ou éducative majeure , de défaut de scolarisation, de trouble sensoriel (auditif ou visuel) et de bilinguisme familial. La dyslexie fait souvent suite à un trouble du langage oral, de sévérité variable.
La dyslexie développementale, entité médicale reconnue depuis une centaine d'années, ne doit en aucun cas être amalgamée à une problématique beaucoup moins spécifique d'échec scolaire. Elle touche tous les milieux socioculturels, et n'est pas l'apanage de catégories défavorisées.


Etiopathogénie.
Des facteurs génétiques à l'origine de la dyslexie sont fortement suspectés. En clinique courante, le caractère familial du trouble est aisément constatable, de même que la présence d'apparentés porteurs de troubles du langage oral. La prédominance du sexe masculin est démontrée.
Les facteurs psychoaffectifs qui ont pu être invoqués par le passé comme étant à l'origine des dyslexies développementales ne sont plus retenus actuellement. En revanche, ces facteurs jouent un rôle prépondérant comme éléments aggravants. De même, la dyslexie et l'échec qu'elle engendre peuvent provoquer un état dépressif qui va secondairement aggraver le tableau clinique. Ces facteurs psychoaffectifs devront impérativement être pris en compte lors de l'instauration d'une prise en charge.


Classification et description des dyslexies.
Sur le plan théorique, il existe plusieurs modèles cognitifs, génétiques ou développementaux explicatifs de la dyslexie.
La classification la plus répandue se réfère aux modèles cognitifs, et aux fonctions qu'ils considèrent comme impliquées dans l'apprentissage de la lecture. Il existerait deux manières d'appréhender la lecture, ou deux « voies de lecture » utilisées normalement simultanément. La première est dite voie phonologique (ou d'assemblage) ; on l'utilise lors du déchiffrage syllabique ; la seconde est dite voie lexicale (ou d'adressage) ; elle est utilisée lorsqu'un mot est reconnu instantanément par son aspect visuel, cet aspect étant censé être fixé et stocké dans un lexique orthographique interne.
Ces classifications permettent de comprendre la séméiologie des troubles et aident à la prise en charge : en fonction de l'atteinte prédominante, l'orthophoniste choisira les exercices à faire travailler et/ou les moyens de compensation à mettre en place.
Le bilan d'évaluation s'efforcera de caractériser les troubles qui relèvent de la sphère du langage (voie phonologique) et ceux qui appartiennent à la sphère visuelle (voie lexicale). On décrit actuellement plusieurs types de dyslexie selon qu'une ou l'autre des deux voies de lecture (ou les deux) est atteinte.
a) Les dyslexies phonologiques (70 % des dyslexies).
Ici, l'enfant a une faible appréhension de la relation lettre-son. Il éprouve de grandes difficultés à lire des suites de syllabes ou des mots sans signification que l'on trouve dans les batteries de tests (comme rikapé, bradisclatru). De plus, il a tendance à associer à une consonne donnée le son d'une autre (par exemple, au lieu de lire /k/, il lira /g/, confondant ainsi les consonnes sourdes et sonores ; de même, il peut lire « capane » au lieu de « cabane »).
Le passage par la voie de lecture dite phonologique exige du lecteur une transposition des caractères alphabétiques perçus visuellement en leur correspondants linguistiques (ou conversion graphème/phonème). Pour pouvoir accomplir cette tâche, le lecteur doit posséder une certaine conscience de la structure phonologique des mots de la langue parlée. Le dyslexique aurait des difficultés à segmenter les mots (parlés ou écrits) en leurs constituants phonologiques.
Ces enfants présenteraient un trouble spécifique de la perception auditive (dits de perception catégorielle) : ils auraient en particulier des difficultés à discriminer des phonèmes tels que /ba/ et /pa/. Ils éprouvent également de grandes difficultés dans nombre de tâches expérimentales, concernant en particulier la mémoire et l'attention auditives, la rapidité de dénomination.
Ces difficultés peuvent être, dans une certaine mesure, prévenues dès la maternelle, par des exercices portant sur le maniement du langage (jugement de rimes, exercices de suppression de phonèmes dans un mot.)


b) Les dyslexies visuelles, ou « de surface » (10 % des dyslexies).
Ici, c'est la voie de lecture lexicale qui est atteinte et la correspondance lettre-son ne pose pas de gros problèmes, contrairement à la forme précédente. En revanche, l'enfant éprouve des difficultés à stocker des mots irréguliers dans son lexique interne. Ne pouvant les stocker, il est donc obligé de les déchiffrer chaque fois qu'il les rencontre dans un texte comme s'il les voyait pour la première fois. En classe, pour recopier au tableau, il devra parfois s'y prendre pratiquement lettre à lettre, en regardant de multiples fois. Ici, les confusions de lettres concernent des lettres d'aspect visuellement très proche, ou en miroir (il confond /b/ avec /d/, et /p/ avec /q/).
Le trouble serait causé par un défaut de reconnaissance de la forme visuelle du mot. Ces sujets, ne pouvant s'aider de l'apparence visuelle d'un mot pour accéder à sa signification, éprouvent donc une incapacité à automatiser leur lecture. On a l'impression qu'ils ne peuvent récupérer en mémoire la prononciation associée au mot présenté. Plus l'orthographe du mot sera irrégulière, plus la difficulté sera grande.
Ce type de dyslexie est moins fréquent que le précédent, mais beaucoup plus perturbateur pour l'accès à la signification du texte lu, la lecture étant alors très lente, et l'accès à la représentation mentale entravé.


c) Les dyslexies mixtes (20 % des dyslexies)
On parle de dyslexie mixte lorsque les deux voies de lecture semblent touchées. Ce sont les cas les plus sévères, car ces dyslexies combinent les problèmes de deux formes précédentes.
Le traitement est long et délicat, l'enfant ne pouvant s'appuyer sur aucune des deux voies de lecture pour développer des stratégies de compensation. Dans les cas très sévères, le tableau confine à la dyslexie profonde, voire à l'alexie.
Dans une large majorité de cas, les dyslexies développementales s'accompagnent d'une dysorthographie qui peut être très sévère, rendant parfois un texte écrit pratiquement indéchiffrable. On retrouve également souvent une dysgraphie (altération du geste graphique). Des difficultés en mémoire auditive ou visuelle sont souvent également associées.


Le diagnostic.
Il repose sur la clinique, aidée d'un bilan orthophonique et d'un bilan neuropsychologique. S'il doit évaluer, bien évidemment, le langage écrit dans tous ses aspects, le bilan orthophonique ne devra pas négliger l'évaluation du langage oral à la recherche d'éventuelles séquelles de retard de parole ou de langage. Il peut être très facilement réalisé en pratique libérale. Il sera utilement accompagné d'un examen ORL et d'un bilan auditif. Un bilan ophtalmologique et un bilan orthoptique sont également nécessaires.
Le bilan neuropsychologique, compte tenu du peu d'offres en libéral actuellement, est le plus souvent réalisé en milieu spécialisé.


Le traitement.
En l'état actuel des connaissances, il est essentiellement basé sur la rééducation orthophonique, articulée, s'il y a lieu, avec d'autres prises en charge (souvent, soutien psychologique), parfois, psychomotricité ou orthoptie (dans le cas de troubles de la stratégie visuelle). Les méthodes de rééducation sont encore actuellement, empiriques et n'ont pas été validées scientifiquement. Aucune thérapeutique médicamenteuse n'a actuellement fait la preuve de son efficacité.
Quelques principes de base semblent quand même se dégager : l'intervention doit être précoce, l'idéal étant d'intervenir dès la maternelle sur les troubles du langage oral. La rééducation doit être régulière et fréquente (plusieurs fois par semaine), le but à atteindre étant d'automatiser les productions de l'enfant. En outre, il convient de l'aider à contourner son trouble, à développer des mécanismes compensatoires, à utiliser le plus possible ses fonctions préservées. L'utilisation de modalités multisensorielles (visuelle, auditive, tactile, kinesthésique) peut être d'un grand secours.
Il convient d'être vigilant :
- par rapport aux prises en charge peu intensives et peu spécifiques ;
- avant d'interrompre au moment de l'entrée au CP une prise en charge orthophonique mise en place en maternelle pour des troubles du langage oral, car souvent l'enfant aura besoin d'être soutenu pour démarrer l'apprentissage de la lecture.
Les prises en charge pluridisciplinaires (orthophonie et soutien psychologique associé) sont souvent nécessaires et doivent être prolongées plusieurs années.


Quel peut être le rôle du praticien dans ce contexte ?
Le praticien (généraliste, pédiatre ou psychiatre) est confronté essentiellement à des dyslexies-dysorthographies, fréquemment accompagnées de troubles (neuropsychologiques ou psychoaffectifs) associés. Il a un rôle de dépistage si celui ci n'a pas été fait en milieu scolaire.
La consultation est motivée par des difficultés scolaires, des troubles anxieux ou du comportement (parfois des troubles de l'attention, avec ou sans syndrome hyperactif associé), un syndrome dépressif, une phobie scolaire. Le médecin devra souvent repérer une comorbidité : plusieurs problématiques psychologiques, somatiques ou psychosociales peuvent être intriquées, la dyslexie n'en constituant qu'un des éléments.
Si des facteurs psychosociaux ou familiaux contribuent à complexifier le tableau clinique, le risque de méconnaître le diagnostic est important.
Il faudra évoquer une précocité, devant un adolescent de 6e ou de 5e, jusque-là bien adapté scolairement et qui s'effondre au collège car il n'arrive plus à compenser sa dyslexie.
Après l'établissement d'un diagnostic et d'un projet de soins, le lien devra être fait avec l'institution scolaire, par le biais du médecin scolaire. Ce dernier peut prendre les mesures nécessaires à l'adaptation de la scolarité (par exemple, dans le cadre d'un programme d'aide individualisé, prévu par l'Education nationale).
En conclusion, devant tout enfant de primaire ou de collège dont on s'explique mal les difficultés de tous ordres en milieu scolaire et/ou les troubles du comportement, il faut penser à la dyslexie développementale et demander un bilan orthophonique détaillé puis, si besoin, l'adresser à une consultation multidisciplinaire spécialisée.

ITTAC, Villeurbanne,
Centre de référence pour les troubles des apprentissages, hôpital Edouard-Herriot, Lyon et Institut des sciences cognitives, Bron.

>Dr ISABELLE SOARES-BOUCAUD > Pr NICOLAS GEORGIEFF

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7849