LE PALUDISME exerce une pression de sélection majeure sur les populations humaines. Son effet est particulièrement évident dans les mutations des globules rouges, les cellules dans lesquelles les parasites du paludisme se multiplient.
La drépanocytose est répandue dans les régions où sévit le paludisme parce que, à l'état hétérozygote, le trait drépanocytaire (une mutation HbS dans le gène bêta de l'hémoglobine) protège son porteur de la forme sévère du paludisme. Cette sélection positive pour l'hétérozygotie (HbAS) est contrebalancée par la sélection négative pour l'homozygotie (HbSS) qui cause la drépanocytose, une maladie avec anémie chronique et décès prématuré. La fréquence du trait drépanocytaire est ainsi de plus de 15 % en Afrique.
Des études récentes ont confirmé également le rôle protecteur de la thalassémie-alpha+. Cette hémoglobinopathie est due à des mutations réduisant la synthèse de la chaîne alpha de l'hémoglobine. L'état homozygote, qui se manifeste par une anémie microcytaire légère, et l'état hétérozygote, asymptomatique, protègent tous deux contre le paludisme, mais l'homozygotie semble conférer une protection supérieure. La fréquence des mutations thalassémie-alpha+ est généralement supérieure à 10 % dans les régions de paludisme.
Mais s'il est bien établi que l'état HbAS et la thalassémie-alpha+ protègent contre la forme sévère et fatale du paludisme, les mécanismes sous-jacents sont mal compris.
En outre, on ignore complètement si ces traits restent protecteurs lorsqu'ils sont hérités ensemble.
Deux cohortes d'enfants au Kenya.
Williams (hôpital Kilifi, Kenya) et coll. ont étudié cette question dans deux études de cohortes, menées chez des enfants du Kenya.
Dans cette population, 15 % sont porteurs du trait drépanocytaire (HbAS) et la fréquence de l'allèle thalassémie-alpha+ est de 50 %.
Une étude de cohorte de 2 700 enfants, nés entre 1992 et 1995, a surveillé les admissions à l'hôpital pour accès sévères de paludisme. Une seconde étude de cohorte portant sur 370 enfants âgés de moins de 8 ans a surveillé l'incidence d'accès fébrile palustre dans la communauté (paludisme léger).
L'analyse des deux cohortes confirme que chacun des deux états - HbAS et thalassémie-alpha+ homozygote - confèrent une protection à la fois contre les accès palustres légers et les formes sévères nécessitant une hospitalisation.
Cependant, cette protection est perdue lorsque les deux états sont hérités ensemble, et le risque de paludisme à P. falciparum, tant léger que sévère, devient le même que chez les enfants qui n'ont hérité d'aucun des deux traits protecteurs.
Ces résultats sont confortés par l'analyse des taux de parasites dans la circulation sanguine. Ces taux sont connus pour être plus faibles chez les enfants porteurs du trait drépanocytaire, mais non chez les enfants atteints de thalassémie-alpha+. L'analyse montre que l'effet du trait drépanocytaire sur ces densités de parasites est complètement perdu chez les enfants qui ont cohérité la thalassémie-alpha+ homozygote.
Des gènes épistatiques négatifs.
Cela suggère, remarquent les chercheurs, que le génotype HbAS pourrait être plus protecteur qu'on ne le pensait, et qu'il ne pourrait ne pas protéger contre le paludisme seulement lorsqu'il est hérité avec d'autres gènes interférant négativement (gènes épistatiques négatifs).
« En résumé, nos résultats sont compatibles avec l'existence d'une interaction épistatique entre deux affections génétiques fréquentes, une situation qui pourrait expliquer, dans une certaine mesure, la prévalence relative de l'HbAS et de la thalassémie-alpha+ dans les régions endémiques pour le paludisme », concluent les chercheurs.
« Bien que ces effets épistatiques puissent gêner la recherche de nouvelles associations protectrices contre le paludisme, elles pourraient aussi fournir des éclaircissements sur les mécanismes d'action des gènes protecteurs contre le paludisme. »
Ces résultats doivent cependant être vérifiés dans d'autres régions affectées par le paludisme, car le nombre de participants ayant à la fois le trait drépanocytaire et la thalassémie-alpha+ est relativement petit dans l'étude.
« Nature Genetics », 16 octobre 2005, Williams et coll., DOI : 10.1038/ng1660.
Nouvelles questions
Dans un commentaire associé, les Drs Wellems et Fairhurst (National Institute of Allergy and Infectious Diseases, Bethesda) notent que « ces résultats soulèvent de nouvelles questions sur ces hémoglobinopathies et leurs effets sur le paludisme ».
On peut se demander si les mécanismes de protection du trait drépanocytaire et de la thalassémie-alpha+ sont apparents. De plus, pourrait-il exister d'autres interactions épistatiques qui affectent la protection contre le paludisme ?
« La recherche dans ce domaine approfondira notre compréhension des interactions entre l'hôte et le parasite du paludisme », concluent-ils.
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