Quand la maltraitance traverse les générations

Une étude chez le macaque écarterait la génétique

Publié le 27/06/2005
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ON A DEJA NOTÉ avec intérêt la maltraitance de parents à enfants se transmet à travers les générations. Les travaux sur la question démontrent que pas moins de 20 à 30 % des enfants maltraités risquent de devenir eux-mêmes des parents maltraitants. Ils montrent aussi que 70 % des adultes maltraitants ont des antécédents de maltraitance précoce dans leur histoire personnelle.
Par quels mécanismes cette transmission morbide s'effectue-t-elle ? Différentes hypothèses existent. Le modèle social prend en compte un apprentissage du comportement, avec des renforcements répétés à partir du modèle présenté par les parents. Selon les théoriciens de l'attachement, c'est le modèle cognitif (représentations mentales et manières de penser) qui prime et influe en retour sur le comportement. La neurobiologie fait présumer que la maltraitance pendant une phase précoce de l'enfance peut produire des altérations à long terme du développement neuroendocrinien et émotionnel. Quelle est la part des facteurs génétiques ?
Pour le savoir, on peut se tourner vers les animaux. Les primates non humains partagent avec les humains cette triste manière d'être.

Captivité, entassement.
On a observé des cas de maltraitance des petits par des mères macaques souffrant de déprivation sociale (captivité, entassement). Les sévices se passent pendant les tout premiers mois de la vie des petits (les mères marchent sur leur enfant, le traînent, le mordent, le jettent, s'assoient dessus). Les conséquences peuvent aller des contusions à la mort. Chez les singes comme chez les humains, le stress psychosocial est un facteur de risque, l'âge de vulnérabilité est similaire, la transmission se fait de mère à fille.
Des chercheurs de Chicago ont mené une étude dans un centre de recherche en primatologie comportant 1 500 singes macaques rhésus.
Ils montrent que les mères qui maltraitent leurs enfants produisent des filles qui font la même chose.
Neuf des seize femelles qui ont été maltraitées pendant leur premier mois de vie par leur mère (qu'elle soit biologique ou adoptive) s'occupent de leur premier enfant en le maltraitant, expliquent les auteurs. Mais cela n'a été le cas d'aucune des femelles élevées par une mère non maltraitante.

La propension à développer un comportement antisocial.
Toutes les femelles maltraitées ne sont pas devenues maltraitantes (ce qui est cohérent avec ce que l'on observe chez les humains). Le facteur génétique pourrait intervenir au niveau de la propension à développer un comportement antisocial ou des troubles de la personnalité à la suite de maltraitance dans l'enfance. A l'inverse, la résilience, ou faculté de surmonter sans morbidité les traumatismes de l'enfance, pourrait elle aussi dépendre de la présence de facteurs protecteurs qui peuvent être biologiques ou environnementaux.
Ces résultats tendent à écarter l'influence génétique pour expliquer la transmission intergénérationnelle de la maltraitance chez les singes rhésus. Ils plaident plutôt en faveur de la résultante d'une expérience précoce.
Maintenant, indiquent les auteurs, il reste à savoir quelle est la part de l'apprentissage social et/ou des altérations physiologiques induite par l'expérience.

« Proc Natl Acad Sci USA », édition avancée en ligne, pp. 9726-9729.

Dr BÉATRICE VUAILLE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7780