Malgré la multiplicité des ajustements possibles, il existe, dans le domaine des apports nutritionnels au plan qualitatif et quantitatif, des limites au-dessous desquelles la croissance et le développement du foetus sont affectés. Différentes données suggèrent qu'un environnement énergétique suboptimal pendant la vie fœtale pourrait induire des adaptations métaboliques et cardiovasculaires à l'âge adulte. A l'inverse, un excès énergétique conduisant à une prise de poids excessive s'accompagne d'une morbidité périnatale accrue et favorise la survenue d'une surcharge pondérale ultérieure chez la mère.
La prise de poids obligatoire - croissance foeto-placentaire, liquide amniotique, développement de l'utérus et des tissus mammaires et expansion sanguine maternelle - est de l'ordre de 7,5 kg. S'y associe une prise de poids variable liée à l'augmentation des liquides extracellulaires, des réserves adipocytaires et des stocks protéiques maternels. Plus de 90 % de la croissance foetale s'effectuent dans la seconde moitié de la grossesse et plus particulièrement au cours du troisième trimestre. Les réserves adipocytaires maternelles, quant à elles, augmentent essentiellement entre la dixième et la vingt-cinquième semaine de gestation, avant que les besoins foetaux n'aient atteint leur pic.
Un gain pondéral de 11 à 16 kg.
Une prise de poids excessive est associée à une augmentation du risque de macrosomie, associée à une augmentation des complications obstétricales et de la mortalité périnatale. Elle contribue également au risque d'obésité ultérieure chez la mère, surtout si la prise de poids excessive a lieu pendant les vingt premières semaines de grossesse. Par ailleurs, une prise de poids restreinte pendant la grossesse diminue le risque de complications liées à l'obésité maternelle.
A l'inverse, une prise de poids insuffisante est associée à une augmentation du risque de retard de croissance intra-utérin (Rciu), d'accouchement prématuré, de petit poids de naissance, de morbidité et de mortalité périnatales et pourrait s'accompagner d'une augmentation du risque cardio-vasculaire à l'âge adulte. C'est au deuxième trimestre que le risque lié à la restriction est le plus grand. Un poids faible de la mère avant la grossesse (IMC < 20 kg/m2) s'accompagne lui aussi d'un risque de Rciu, d'accouchement prématuré et d'hypotrophie. Un gain pondéral suffisamment important pendant la grossesse est susceptible d'atténuer ce risque. Ainsi, un gain de poids de 11,5 à 16 kg est recommandé pour une femme débutant sa grossesse avec un IMC de 19,8 à 26 kg/m2. En cas de grossesse multiple, il convient de tenir compte de la masse supplémentaire de tissus fœtomaternels ; la prise de poids est de 16 à 20 kg chez une femme de poids normal.
Dans tous les cas, il faut préparer la femme à réduire ses apports et à augmenter son activité physique après la grossesse, afin de favoriser le retour au poids prégravidique.
Des adaptations métaboliques.
Les femmes doivent être encouragées à garder une activité physique modérée et à laisser leur appétit guider leur apport énergétique. Elles doivent surtout avoir une alimentation diversifiée et équilibrée.
D'une façon générale, pendant la grossesse, les besoins de tous les nutriments augmentent mais sont en partie couverts par les adaptations métaboliques maternelles. C'est pourquoi dans les pays développés et en dehors des situations particulières (régimes carencés, troubles digestifs, situation socio-économique défavorable), des apports adéquats sont fournis pour la majorité d'entre eux par une alimentation diversifiée telle qu'elle est recommandée en dehors de la grossesse.
Le besoin protéique de l'ordre de 60 g/jour, plus important au cours des deuxième et troisième trimestres qu'en début de grossesse, est largement couvert par l'alimentation habituelle, qui procure généralement plus de 80 g/j, excepté pour des régimes particuliers (végétariens par exemple).
Il existe peu de données concernant l'impact du contenu en lipides et en acides gras de l'alimentation sur le développement foetal. Comme pour la population générale, les recommandations fixent la teneur en lipides à 30 % de la ration énergétique et celles des glucides à 50-55 %. Les acides gras n-3 et n-6 devraient représenter respectivement au moins 0,5 et 3% de l'apport énergétique total.
Une attention particulière doit être portée à la consommation d'iode, de fer, d'acide folique, de calcium et de vitamine D.
Avec des apports moyens de 50 à 100 μg/j, la France fait partie des pays à risque de carence faible à modérée en iode. Au cours de la grossesse, l'augmentation de la clairance rénale et le passage transplacentaire de l'iodure contribuent à entraîner une carence relative. Les apports conseillés pendant la gestation et l'allaitement sont de 200 μg/j. Même modérée, une carence aggrave chez la mère l'état de stimulation thyroïdienne qui se traduit par une augmentation du volume thyroïdien, augmente le risque de survenue d'un goitre et celui d'une hypothyroïdie. Les répercussions de la carence iodée sur la grossesse sont les conséquences de l'éventuelle hypothyroïdie : augmentation des avortements spontanés, de la mortalité périnatale et des petits poids de naissance. Elle peut induire une hypothyroïdie fœtale. Généralement infraclinique et transitoire dans les zones de carence modérée, elle peut être plus sévère en cas de carence importante et s'accompagner d'une déficience intellectuelle et de dégâts neurologiques.
Fer et acide folique.
Concernant le fer, le niveau des apports alimentaires nécessaires pour couvrir les besoins de la grossesse reste l'objet de controverses. Dans l'hypothèse basse, des apports alimentaires de 30 mg/j sont nécessaires si on veut éviter que la femme ne puise sur ses réserves, même si des apports plus faibles sont suffisants pour éviter le développement d'une anémie ferriprive maternelle.
En outre, il existe une association entre anémie ferriprive maternelle en début de grossesse et le risque de prématurité (x 2,6), de petit poids de naissance (x 3) et de mortalité périnatale. Sauf en cas d'anémie ferriprise maternelle sévère, le taux d'hémoglobine du nouveau-né est normal, de même que le contenu en fer du lait maternel. En tout état de cause, la nécessité de puiser sur ses réserves met la femme en situation de présenter plus facilement un déficit dans les suites de la grossesse, en particulier en cas de grossesse multiple ou de grossesses rapprochées.
Les besoins en acide folique sont accrus pendant la grossesse du fait du transfert à l'unité fœtoplacentaire (800 μg soit 5 μg/j) et surtout d'une augmentation du catabolisme des folates à partir du deuxième trimestre. Les besoins supplémentaires sont donc estimés à 200 μg/j et les apports conseillés de 400 μg/j. Au cours de l'allaitement, les apports conseillés sont de 300 μg/j. L'acide folique étant un élément de la synthèse de l'ADN, de la division cellulaire et du métabolisme cérébral, le maintien de taux suffisants est particulièrement important au cours de la grossesse. Même en l'absence d'anémie mégaloblastique, la carence en folates est associée à une augmentation de l'incidence des avortements spontanés, des Rcui, des accouchements prématurés et des petits poids de naissance. De plus, les conséquences d'une carence précoce en folates sur l'embryogenèse et le risque de malformations (défaut de fermeture du tube neural) sont bien établis.
Calcium et vitamine D.
Environ 30 g de calcium sont transférés à l'unité foetoplacentaire au cours de la grossesse, principalement durant le troisième trimestre. Ces besoins sont essentiellement couverts par l'augmentation de l'absorption intestinale du calcium qui précède la demande foetale. En l'absence de carence sévère, celle-ci permet à la mère d'assurer les besoins fœtaux sans qu'elle ait besoin d'augmenter ses apports alimentaires ni de puiser dans ses réserves osseuses. En revanche, pendant l'allaitement, il existe une mobilisation des réserves osseuses qui contribue à couvrir les besoins. Totalement réversible, cette mobilisation ne paraît pas comporter un risque d'ostéoporose ultérieure. En pratique, il suffit que la future mère (excepté s'il s'agit d'une adolescente) continue de suivre les recommandations adaptées à toutes les jeunes femmes, soit un apport de 900 à 1100 mg/j de calcium.
Pendant la grossesse la 1,25-hydroxyvitamine D, forme active de la vitamine D, présente des taux plasmatiques maternels élevés. Synthétisée par le placenta, elle passe cependant mal la barrière placentaire. De ce fait, la 25-hydroxyvitamine D est la seule source de vitamine D du fœtus et constitue le facteur limitant de la synthèse de 1,25-hydroxyvitamine D en période périnatale. La nécessité d'assurer un statut en vitamine D satisfaisant chez la femme enceinte est bien établi. Dans les pays moyennement ensoleillés, il ne peut être question de compter sur les seuls UV et des apports nutritionnels de 10 μg/j (400 UI/j) sont recommandés tout au long de la grossesse.
Avant et pendant la grossesse.
L'importance de l'état nutritionnel prégravidique sur l'évolution de la grossesse et l'impact des déficits dans la période périconceptionnelle sont établis : idéalement, la surveillance nutritionnelle débute avant la conception, à l'occasion de l'arrêt de la contraception par exemple.
La majorité des femmes sont en bonne santé (sans condition interférant avec l'ingestion, la digestion, l'absorption ou le métabolisme des aliments), ont des apports énergétiques adéquats et ont accès à une alimentation variée. Les données disponibles indiquent toutefois qu'un pourcentage non négligeable de femmes françaises en âge de procréer ne consomment pas les apports recommandés pour l'ensemble des nutriments. Cela est particulièrement vrai pour celles qui mangent peu de légumes et de fruits, de laitages ou celles qui limitent les apports en viande. Le plus souvent, de simples conseils suffisent à diversifier et à rééquilibrer l'alimentation. Parfois, une supplémentation est conseillée.
D'après « Nutrition de la femme enceinte et allaitant » de Chantal Simon, « Traité de nutrition clinique de l'adulte », de A. Basdevant, M. Laville, E. Lerebours. Editions Flammarion Médecine et Sciences
L'éviction de l'alcool
L'alcool est un agent tératogène dont les effets sont nocifs à tous les stades de la grossesse. A l'effet toxique direct s'associent souvent des déficits énergétiques et nutritionnels : protéines, vitamines B, acide folique, zinc et vitamine A. Il n'existe aucune information sur la quantité d'alcool pouvant être consommée sans risque au cours de la grossesse, et par mesure de prudence l'abstention totale est recommandée.
La place des supplémentations
L'intérêt d'une supplémentation en iode, en fer, en acide folique et en vitamine D peut se discuter.
Concernant l'iode, le sel iodé est une source complémentaire importante. Dans les zones de carence modérée, une supplémentation à raison de 100 μg/j peut être proposée, surtout si la femme a une thyroïde augmentée de volume.
Concernant le fer, tout le monde s'accorde sur la nécessité d'une supplémentation chez les femmes présentant un déficit ou à risque (adolescentes, grossesses multiples ou rapprochées, antécédents de ménorragies, régimes restrictifs prolongés, milieux défavorisés). L'intérêt d'une supplémentation systématique reste débattu. La supplémentation sélective impose un dépistage précoce de l'anémie ou de la carence en fer avant l'expansion volémique, à l'occasion du premier examen prénatal. Un déficit mineur peut être compensé par une faible dose, généralement bien supportée (30 mg/j) ; alors qu'une anémie ou un déficit patent nécessite une supplémentation de 120 à 150 mg/j.
Par ailleurs, les carences infracliniques d'acide folique sont nombreuses. Une supplémentation de 200 μg/j peut se discuter pendant la grossesse et pendant l'allaitement, en particulier chez les femmes à risque : grossesse multiple, régime restrictif, besoins prégravidiques accrus du fait de la prise de certains médicaments (contraception, anticonvulsivants) ou d'un tabagisme.
En dehors de la grossesse chez l'adolescente ou de régime particulier, la supplémentation calcique n'est pas utile. En revanche, celle en vitamine D est utile. 400 UI/j sont recommandés si la supplémentation est débutée dès le premier trimestre ; 1 000 UI/j sont proposés si la supplémentation est démarrée au troisième trimestre ; une dose unique de 200 000 UI peut être administrée au septième mois.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature