Dans le cadre du traitement des rhumatismes inflammatoires comme dans tout autre chapitre de la médecine, les sujets âgés de plus de quatre-vingts ans forment à l'évidence et à plus d'un titre une population à risque, même si, à l'heure où l'espérance de vie augmente chaque année d'un trimestre, on attache désormais davantage d'intérêt à l'âge physiologique qu'à la date de naissance. Fréquemment porteurs de multiples pathologies, intriquées ou non, polymédicamentés, ils sont plus souvent concernés par les effets secondaires des médicaments dont les paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques sont d'autant plus modifiés que le nombre de molécules prescrites est élevé. Tout comme la longueur de l'ordonnance, la fonction rénale mérite une attention toute particulière avant la mise en route d'un traitement au long cours d'un rhumatisme inflammatoire : la clairance de la créatinine, qui doit être systématiquement calculée, est un élément indispensable dont le thérapeute disposera pour espacer, le cas échéant, les prises médicamenteuses. La fonction hépatique, en revanche, très longtemps préservée, n'induira d'adaptations posologiques que dans les cas d'insuffisance cardiaque à retentissement hépatique franc ou d'hépatopathies avérées : hépatites, stéatose, cirrhose, etc.
Au sein de la constellation des rhumatismes inflammatoires, certaines atteintes sont plus spécifiques au sujet âgé : la pseudopolyarthrite rhizomélique, la polyarthrite démateuse de McCarthy et les crises polyarticulaires des rhumatismes microcristallins. D'autres surviennent habituellement plus précocement - polyarthrite rhumatoïde (PR), lupus -, mais peuvent également connaître un démarrage tardif, après 70 ans. La PR revêt alors un aspect un peu particulier, caractérisé par une atteinte plus aiguë, plus violente, touchant souvent les grosses articulations.
Quelles sont alors les armes à la disposition du rhumatologue qui doit prendre en charge le sujet âgé porteur d'une polyarthrite rhumatoïde, dont nous faisons ici notre modèle de description ?
Les AINS font place aux coxibs
En ce qui concerne les anti-inflammatoires non stéroïdiens, on observe chez le sujet âgé un taux de maintenance à un an inférieur à celui qui est noté chez le patient plus jeune. Le premier est en effet plus sensible aux effets secondaires sur le tractus digestif de ce type de médicaments : les complications à craindre intéressent aussi bien la partie haute du tube digestif - sophagite, gastrite, ulcère gastro-duodénal - que la partie basse - sigmoïdite notamment. On utilisera donc les AINS, dont on pourra espacer les prises, en association aux inhibiteurs de la pompe à protons, qui, rappelons-le, ne protègent pas des complications digestives basses.
Les inhibiteurs sélectifs de la COX-2 ont, quant à eux, démontré qu'ils sont mieux tolérés par l'ensemble du tractus digestif. Leur demi-vie longue doit toutefois être prise en compte en cas d'atteinte de la fonction rénale ou d'association à un traitement diurétique ou à un inhibiteur de l'enzyme de conversion. La double protection conférée par l'association coxib + IPP est de plus en plus largement utilisée, par exemple lorsque l'aspirine est prescrite à faible dose dans un cadre de prévention cardio-vasculaire.
Enfin, on ne se méfie jamais assez du cursus médical souvent tortueux du sujet âgé parmi ses divers thérapeutes - MG, cardiologues, rhumatologues... - qui débouche parfois sur la prescription simultanée de plusieurs AINS.
Corticoïdes et méthotrexate restent disponibles
Les corticoïdes ont encore un intérêt certain dans le traitement des formes violentes, aiguës, de la PR et permettent de stopper la crise inflammatoire. Chez le sujet âgé aussi, ils seront prescrits à dose efficace, l'objectif étant toutefois de passer rapidement sous la barre des 7,5 mg par jour, où le risque ostéoporotique et digestif reste limité. La prévention de l'ostéoporose par l'association calcium + vitamine D + médicaments antirésorptifs (bisphosphonates) doit être systématique lors d'une corticothérapie prolongée chez le patient âgé.
Alors qu'ils permettent en général de juguler les PR séronégatives, les corticoïdes seront souvent insuffisants dans le traitement des formes séropositives. Il faudra donc leur associer un traitement de fond. Le plus utilisé reste chez le sujet âgé le méthotrexate qui n'induit, moyennant une surveillance étroite et une adaptation de sa posologie, pas plus d'effets secondaires chez ce dernier que chez le patient plus jeune. On l'utilisera idéalement à faible dose (au mieux 7,5 mg par semaine, 10 mg au maximum), après avoir éliminé, par un dosage de l'albumine, les patients trop carencés, ou porteurs d'hépatopathies, les insuffisants respiratoires et les sujets dont la fonction rénale est trop altérée.
L'hydroxychloroquine sera, quant à elle, maniée avec précaution en raison des altérations de l'épithélium pigmentaire de la rétine avec l'âge et on prendra garde à l'intolérance digestive liée à la salazopyrine.
Biothérapies : attention aux antécédents anciens de tuberculose
Enfin, au chapitre des biothérapies, une métaanalyse récente a démontré que l'étanercept est aussi bien (voire mieux) supporté par le sujet âgé - qui présente notamment moins d'effets secondaires locaux au niveau du point de piqûre - que le patient plus jeune. Et si les complications infectieuses sont plus fréquentes chez le premier, aucune surmortalité ne peut leur être imputée. L'étanercept, comme l'infliximab, ne nécessite aucun ajustement de dose, ses paramètres pharmacocinétiques n'étant pas modifiés par l'âge. Attention toutefois aux antécédents infectieux tels que la tuberculose dans la mesure où l'on sait rarement, après 70 ans, si le traitement a été correctement mené à bien. En outre, l'intradermo-réaction bien souvent anergique chez le sujet âgé rend obligatoire le cliché de thorax avant tout traitement par les anti-TNF.
D'après un entretien avec le Dr Jean Taillandier, hôpital Paul-Brousse, Villejuif.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature